Publié le 30 mar 2022Lecture 5 min
Inflammation induced by incomplete radiofrequency ablation accelerates tumor progression and hinders PD-1 immunotherapy
Lambros TSELIKAS, Institut Gustave-Roussy, Villejuif
L'ablathermie par radiofréquence (RF) permet non seulement la diminution du volume tumoral, mais également l’induction ou la stimulation d’une réponse immunitaire antitumorale. La combinaison d’un traitement local par RF avec une immunothérapie par voie systémique, notamment en utilisant des inhibiteurs anti-PD(L)1, pourrait avoir des effets synergiques.
Une ablation incomplète, afin de préserver une partie des antigènes tumoraux spécifiques a parfois été promu comme étant plus immunogène, et réalisé dans certaines études(1).
Dans cette étude aussi bien clinique que préclinique publiée dans Nature Communications en 2020, Shi et coll. évaluent l’impact sur la réponse immunitaire d’un traitement incomplet par RF (iRFA)(2).
Observation clinique
Dans une cohorte de 551 patients consécutifs traités par RFA pour des métastases hépatiques d’un cancer du côlon, une étude cas-témoins avec 43 patients présentant une tumeur résiduelle sur le site d’ablation (dans les 4 mois post-ablation) et 43 patients avec une ablation complète ont été évalués. Ils étaient appariés sur le sexe et l’âge. Les principaux facteurs de risque d’ablation incomplète étaient ceux retrouvé classiquement, à savoir : une taille maximale de la tumeur > 3 cm, un contact avec une veine porte ou le hile et la proximité avec le tube digestif. Le temps à l’occurrence d’une nouvelle métastase et la survie globale étaient significativement plus courts dans le groupe iRFA en comparaison avec les patients ayant bénéficié d’une ablation complète. En analyse multivariée, le caractère incomplet de l’ablation était significativement associé, de façon indépendante, à un temps à nouvelle métastase et une survie globale plus courts.
Étude préclinique et description mécanistique
Deux modèles murins syngéniques de cancer du côlon ont été utilisés (lignés cellulaires CT26 et MC38 sur des souris Balb/c ou C57BL/6). Des ablations partielles ont été réalisées avec de la RF (iRFA). Les souris bénéficiant d’une iRFA présentaient une diminution initiale du volume tumorale, mais une réaugmentation qui était supérieure à celle des souris du groupe contrôle (sans traitement par RF). De plus dans le groupe iRFA, il existait plus de métastases (péritonéales et pulmonaires) et la survie globale était significativement plus courte que le groupe sans traitement.
L’ iRFA est donc délétère par rapport à l’absence de traitement.
Il est très intéressant de noter, qu’en réalisant une RFA du tissu sous-cutané (non tumoral), ce phénomène de stimulation de la progression tumorale (par rapport aux souris non traitées) n’était pas observé.
Par ailleurs, bien que les modèles CT26 et MC38 soient sensibles aux anti-PD1 (clone J43, BioXcell) administrés par voie intrapéritonéale, les souris ayant reçu une iRFA deviennent résistantes aux anti-PD1. Cette observation a également été confirmée sur un modèle de cancer primitif du foie (Hepa1-6).
Afin de comprendre le mécanisme de cette stimulation tumorale après iRFA, une analyse transcriptomique a été réalisée, montrant des profils d’expression de gènes différents entre les souris traitées par iRFA et les contrôles non traités. Les gènes de la réponse inflammatoire, de la migration leucocytaire, de l’hypoxie et de la cicatrisation, ainsi que CCR2, étaient ceux principalement concernés. Les gènes codants pour les DAMPS (Damage-associated molecular pattern molecules), les cytokines pro-inflammatoires et les gènes immunosuppresseurs étaient également surexprimés dans le groupe iRFA. Ces résultats indiquent que l’ablation incomplète induit un phénotype immunosuppresseur dans le microenvironnement tumoral.
Afin de comparer ces phénomènes post-RFA en fonction du caractère complet ou partiel de l’ablation, un modèle avec un marquage du TNFa avec de la luciférase a été réalisé (BALB/C-TG (TNFa-luc)- Xen, et inoculé avec des CT26. À J3, dans les deux groupes, une zone avec une forte expression de TNFa a été observée au contact de la zone d’ablation. Cette surexpression de TNFa disparaissait à J9 dans le groupe de RFA complète, mais persistait chez les souris ayant eu une iRFA.
L’analyse de l’infiltrat immunitaire a montré qu’à J3 post-ablation incomplète une réaction inflammatoire importante a été observée, riche en CD45+, principalement constituée de cellules myéloïdes (CD11b+). Cette augmentation était observée aussi bien dans les populations de MDSC neutrophiliques (CD11b+Ly6Ghi), que les monocytiques (CD1b+ LY6Chi) et les macrophages CD11b+F4/80+.
Une augmentation des nMDSC et des mMDSC était également observée dans le sang, mettant en évidence l’induction d’une inflation systémique.
La caractérisation des populations macrophagiques montrait un phénotype M2 (CD11b+F4/80+ CD206+) dans le groupe iRFA, en comparaison avec le groupe non traité.
Une analyse de la fonctionnalité des lymphocytes T, après iRFA a également montré la diminution globale des CD3+, de la proportion de CD4+ et CD8+, ainsi que la diminution du rapport CD8+/Treg (CD4+FoxP3+) dans la tumeur résiduelle. Une diminution de la proportion de CD8+ secrétant du granzyme B et de l’interféron gamma (INFg), ainsi que de la population CD8+PD1+ corroborent la baisse de la fonction T antitumorale.
En prélevant les cellules myéloïdes (CD11b+) et en les réinjectant avec des cellules tumorales, une accélération de la croissance tumorale était observée par rapport au groupe témoin (CT26 toutes seules). Le taux de CD8+, granzyme B+ et de lymphocytes T INFg CD8+ était significativement plus faible, montrant ainsi que l’infiltration par des cellules myéloïdes post-iRFA de tumeurs était très immunosuppressive. Le rôle de CCL2 et de TNFa a été analysé plus en détails suite aux résultats de l’analyse de RNAseq. La perte de CCL2, ou l’inhibition de TNFa, induit un ralentissement de la progression des tumeurs résiduelles et du potentiel métastatique à distance. L’adjonction d’un antagoniste de CCR2 (RS504393, Tocris), récepteur du CCL2, administré par voie sous-cutanée, permet de surmonter la résistance aux anti-PD1 induite par une iRFA, avec une diminution de la croissance tumorale et du nombre de métastases à distance.
Au final, aussi bien en clinique que sur des modèles murins, une ablation tumorale incomplète par RF induit une stimulation tumorale secondaire, responsable d’une progression rapide de la maladie, une résistance aux anti-PD1 et une survie plus faible. Le mécanisme immunosuppresseur implique la voie du CCL2 (CCR2) activé par le TNFa et les cellules myéloïdes immunosuppressives infiltrant le microenvironnement tumoral post-iRFA.
En conclusion, il semble licite d’avoir toujours comme objectif une ablation tumorale complète et ce même chez des patients qui bénéficient d’un traitement par anti-PD(L)1. Par ailleurs, la combinaison avec un inhibiteur de l’axe CCL2/CCR2 semble être une voie prometteuse pour palier à cette immunorésistance induite.
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