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Publié le 29 juin 2024Lecture 8 min

Tumeur desmoïde : ce que le radiologue interventionnel doit savoir sur cette rare et étrange pathologie

Julien GARNON, Roberto LUIGI CAZZATO, Pierre-Alexis AUTRUSSEAU, Julia WEISS, Gregory BERTUCCI, Jean CAUDRELIER, Guillaume KOCH, Afshin GANGI, service de radiologie interventionnelle, CHU de Strasbourg

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une tumeur desmoïde correspond à une prolifération fibroblastique des parties molles caractérisée par un haut potentiel infiltratif local mais sans potentiel métastatique.

Tumeur desmoïde : de quoi parle-t-on ?   Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une tumeur desmoïde correspond à une prolifération fibroblastique des parties molles caractérisée par un haut potentiel infiltratif local mais sans potentiel métastatique. Il s’agit d’une tumeur rare, représentant moins de 3 % des tumeurs des parties molles, dont l’incidence est estimée entre trois et cinq cas pour un million, avec un pic autour de 30-40 ans et une prédominance féminine. Les tumeurs desmoïdes sont majoritairement sporadiques et de localisation dans ce cas plutôt extra-abdominales. Environ 10 % de ces tumeurs surviennent dans le cadre de la polypose adénomateuse familiale et sont alors volontiers de topographie intra-abdominale. Les tumeurs desmoïdes peuvent être multifocales. Un facteur déclenchant, comme un traumatisme local, une chirurgie ou une grossesse, est parfois retrouvé. Même s’il s’agit de lésions bénignes, les tumeurs desmoïdes doivent être suivies dans des centres experts en oncologie des parties molles compte tenu de leur caractère infiltratif, pouvant même diminuer l’espérance de vie dans certaines localisations (cou, thorax par exemple), et du type de traitement lorsque ce dernier est indiqué.   Tumeur desmoïde et facteurs génétiques   Le développement d’une tumeur desmoïde est liée au dérèglement du contrôle de laβ-caténine, un protooncogène impliqué dans la croissance de plusieurs tumeurs. Les tumeurs desmoïdes sporadiques sont associées à des mutations du gène CTNNB1, alors que les tumeurs familiales sont secondaires à des mutations du gène APC, ces mutations étant mutuellement exclusives. Certains sous-types de mutations du gène CTNNB1, notamment la mutation S45F, sont associés à un pronostic moins favorable.   Ce qui a tout changé dans la prise en charge d’une tumeur desmoïde : la compréhension de la maladie !   Jusque dans les années 2000, la prise en charge d’une tumeur desmoïde était similaire à celle d’un sarcome avec chirurgie d’exérèse large en zones saines, éventuellement associée à une radiothérapie postopératoire. Compte tenu de la morbidité chirurgicale et du fort taux de résections incomplètes et de récidives postopératoires, la chirurgie de première intention a été progressivement remise en question. Cela a permis d’avoir plus de recul et de mieux comprendre l’évolution spontanée de cette maladie. Plusieurs cohortes, y compris prospectives, ont ainsi montré qu’un pourcentage significatif de ces tumeurs desmoïdes pouvait se stabiliser spontanément (de l’ordre de 30 %), voire régresser (jusqu’à 25 %). Cela pourrait expliquer pourquoi une large étude portant sur plus de 700 patients n’a pas montré de différence significative en termes de survie sans événement intercurrent à 2 ans entre la chirurgie et la surveillance simple. Toutes les guidelines actuelles recommandent ainsi la surveillance active avec imagerie tous les 2-3 mois comme première étape du « traitement ». Pour mieux comprendre le potentiel évolutif et réserver le traitement aux formes le nécessitant formellement, c’est-à-dire évolutives sur au moins deux ou trois contrôles consécutifs sur une période d’un an ; à moins que la tumeur ne soit localisée dans une zone à risque (cou, thorax, mésentère), auquel cas un traitement plus précoce peut être retenu. Les traitements ont beaucoup évolué ces dernières années et il est indispensable pour le radiologue interventionnel de bien connaître toutes les options, ce afin de retenir la bonne indication du traitement percutané lors de la discussion multidisciplinaire.   Les traitements non radiologiques   Les traitements locaux qui ne sont plus considérées comme option de première intention Comme discuté précédemment, la chirurgie est associée à une forte morbidité et à un contrôle local non satisfaisant. La chirurgie ne doit donc aujourd’hui plus être une option thérapeutique de première ligne. La quasi seule indication résiduelle est celle d’un traitement de 2e ligne si la morbidité est jugée faible (typiquement les localisations pariétales abdominales). Et même pour ces indications, la plupart des centres experts préfèrent de plus en plus proposer un traitement par radiologie interventionnelle. Concernant la radiothérapie, le taux de contrôle local rapporté est intéressant mais la morbidité et le risque de sarcome radio-induit ne sont pas négligeables. Son utilisation doit ainsi être réservée à des cas très spécifiques, typiquement des tumeurs en progression ne répondant pas au traitement systémique et non éligibles à un autre traitement local.   Les traitements systémiques qui ne sont plus considérés comme efficaces Historiquement, les anti-inflammatoires non stéroïdiens et l’hormonothérapie (anti-œstrogènes) étaient considérés comme thérapeutique pour les tumeurs desmoïdes, ces dernières exprimant des récepteurs œstrogènes et COX-2. Le niveau de preuve étant faible, ces traitements ne doivent plus être administrés à visée antitumorale selon les dernières recommandations.   Les traitements systémiques potentiellement indiqués Les deux principales classes de traitement systémique recommandées sont la chimiothérapie et les inhibiteurs de la tyrosine kinase. Plusieurs protocoles de chimiothérapie peuvent être proposés selon l’agressivité de la maladie, incluant principalement l’association dite faible dose par méthotrexate et vinblastine ou vinorelbine ; la vinorelbine orale seule et la chimiothérapie plus classique à base d’anthracycline avec laquelle la réponse est plus rapide et meilleure. Les traitements par chimiothérapie sont typiquement discontinus, avec reprise possible en cas de nouvelle évolution de la maladie après arrêt du traitement. Plusieurs études prospectives ont démontré l'efficacité de certains inhibiteurs de la tyrosine kinase (sorafénib, pazopanib, imatinib et sunitinib) dans la prise en charge des tumeurs desmoïdes. Contrairement à la chimiothérapie, ces traitements sont administrés de manière continue jusqu’à la progression ou l’apparition d’effets secondaires (risques notamment d’hypertension artérielle ou de dysfonction thyroïdienne, potentiellement problématiques chez une population jeune). D’autres traitements systémiques sont étudiés, notamment les inhibiteurs Wnt, les inhibiteurs de la g-sécrétase et le sirolimus et pourraient représentés d’autres options thérapeutiques. Certaines études s’intéressent également à l’immunothérapie, même si les tumeurs desmoïdes n’expriment pas PD-L1 et peu PD1.   Les traitements par radiologie interventionnelle L’ablation chimique par acide acétique, ainsi que l’ablation par radiofréquence ou micro-ondes, publiées sous forme de case reports ou de très petites cohortes, ne semble pas offrir la puissance et la précision requise aux traitements de ces tumeurs le plus souvent larges et situées à proximité de structures à risque. Les deux techniques les plus largement rapportées dans la littérature sont les ultrasons focalisés de haute intensité (HIFU) et la cryoablation, les deux techniques permettant un monitoring en temps réel de la zone d’ablation par thermométrie pour les HIFU et par visualisation de la glace pour la cryoablation. Compte tenu de sa plus grande accessibilité et de la possibilité de traiter des tumeurs de plus de 10 cm en une seule session, la cryoablation est l’option numéro un dans la plupart des centres experts prenant en charge des tumeurs desmoïdes. Plus de 200 cryoablations ont été rapportées dans la littérature, la plus grosse cohorte incluant 84 patients de manière rétrospective. Dans cette cohorte de Bouhamama et coll., la survie sans progression à 3 ans était de 68 %. Une métaanalyse de 9 articles par Vora et coll., a retrouvé des taux de survie sans progression de 84,5 % à 1 an et 78 % à 3 ans. Une revue systématique par Cazzato et coll., n’incluant que les études utilisant mRECIST pour l’évaluation du traitement (5 études), a retrouvé des taux de survie sans progression de 85,1 à 85,8 % à 1 an et de 77,3 à 82,9 % à 3 ans. Enfin la seule étude prospective étudiant l’efficacité de la cryoablation dans le traitement des tumeurs desmoïdes non intra-abdominales (CRYODESMO-01) a rapporté un taux de non-progression à 1 an de 85,8 %, avec 28,6 % de réponse complète et 26,2 % de réponse partielle, et la taille tumorale identifiée comme seul facteur pronostique péjoratif significatif. Le déficit neurologique semble être la complication majeure la plus fréquente de ce traitement. Plus récemment, deux cohortes rétrospectives de 11 et 24 patients traités par chimio-embolisation (doxorubicine DEB-TACE) transartérielle ont été publiées notamment pour ces cas contre-indiqués à la cryoablation. Les résultats sont encourageants et basés sur l’efficacité de la doxorubicine systémique sur les tumeurs desmoïdes (non utilisée en pratique clinique compte tenu de la toxicité cardiaque). Il pourrait s’agir d’une voie d’avenir nécessitant bien sûr plus de données.   Au final, quand le radiologue interventionnel doit-il se manifester en RCP ?   Même si la cryoablation est mentionnée comme traitement de 2e, voire 3e intention sous le terme d’« investigational treatment » dans l’algorithme proposé par le Desmoid Tumor Working Group en 2020 (figure 1), la radiologie interventionnelle est de plus en plus considérée comme traitement de première intention d’une tumeur desmoïde si techniquement possible. La cryoablation donne des résultats similaires à la chirurgie avec une moindre morbidité, un moindre coût et la possibilité de retraiter si besoin. Dans leurs recommandations sur la prise en charge des tumeurs des parties molles, Gronchi et coll. mentionnent clairement la cryoablation comme traitement local des tumeurs desmoïdes. Ainsi, la cryoablation peut aujourd’hui être considérée comme l’option de traitement local numéro 1 des tumeurs desmoïdes. Figure 1. Algorithme de traitements (simplifiés) d’après le Desmoid Working Group en 2020.   La vraie question est de décider entre un traitement médical et la cryoablation lorsqu’un traitement est requis. Dans leurs recommandations de 2020, le Desmoid Tumor Working Group recommande la chirurgie comme première option lorsque la morbidité du geste est jugée limitée. Lorsqu’un traitement incomplet est anticipé, d’autres options doivent être préférées (figure 1). En l’absence de données prospectives comparant la cryoablation au traitement médical (en attendant CRYODESMO-02 dont les inclusions ont débuté, figure 2), il faut probablement appliquer le même principe à nos traitements. Lorsqu’une tumeur desmoïde en progression semble traitable complètement et ce avec un faible risque de complications (typiquement les localisations abdominales pariétales ou les ceintures), la cryoablation est une excellente option (possiblement la meilleure). La cryoablation à visée de débulking (traitement incomplet) peut être discutée si le traitement systémique n’est pas efficace ou non toléré, et si la tumeur ne grossit pas de manière exponentielle et dans une zone à risque, auquel cas une radiothérapie sera probablement plus adaptée. Cette approche est recommandée par les toutes dernières guidelines du National Comprehensive Cancer Network (NCCN) sur les tumeurs des parties molles sorties en janvier 2024. La localisation intraabdominale doit rester une contre-indication à la radiologie interventionnelle jusqu’à preuve du contraire. Figure 2. Critères d’inclusion et d’exclusion de l’étude CRYODESMO-02.

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