Publié le 12 déc 2023Lecture 11 min
La chimiothérapie intra-artérielle hépatique adjuvante séquentielle des métastases hépatiques d’adénocarcinomes colorectaux pratiquée sans chambre implantée ?
Patrick CHEVALLIER*, Manuel GARGULIO*, Antony SCHEIT*, Inès ORENSTEIN*,**, Mohamed EL ZIBAWI*, Olivier LOPEZ*, Anne-Claire FRIN***, Philippe ONANA***, Delphine OUVRIER***
En France, le cancer colorectal touche plus de 47 000 personnes chaque année et est responsable de 17 000 décès, représentant ainsi le 3e cancer le plus fréquent chez l’homme, le 2e chez la femme, et la 2e cause de décès par cancer(1).
Des métastases hépatiques sont fréquentes, s’observant dans 20 % des cas lors du diagnostic de cancer colorectal, et dans 20 % supplémentaires lors du suivi(2). Elles conditionnent le plus souvent le pronostic, et ne sont pas le plus souvent opérables au moment du diagnostic. Les patients pouvant être traités en intention curative, par une association de chimiothérapie systémique néoadjuvante, chirurgie et/ou traitements thermo-ablatifs ont une médiane de survie voisine de 50 mois(3).
Néanmoins, ces patients récidivent le plus souvent dans les deux premières années et dans la moitié des cas, dans le foie restant(4). Une chimiothérapie systémique adjuvante permet d’augmenter le temps de survie sans récidive, mais des essais randomisés prospectifs n’ont pas montré de bénéfice en termes de survie(5,6).
Contexte de l’utilisation de thérapies intra-artérielles hépatiques
L’infusion intra-artérielle hépatique de thérapies antitumorales a été décrite pour la première fois au début des années 1980(7), et repose sur le rationnel d’une vascularisation préférentiellement artérielle des métastases dès qu’elles mesurent plus de 3 mm de diamètre(8), permettant une exposition tumorale aux drogues supérieure à celle obtenue par voies veineuse ou orale.
L’équipe du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (MSKCC) de New-York a publié depuis la fin des années 1990 de nombreux articles sur la thérapie intraartérielle hépatique des métastases hépatiques, en intention essentiellement adjuvante, et en utilisant exclusivement comme drogue la fluorodéoxyuridine (FUDR)(9,10). Cette drogue est extraite à 95 % par le foie au premier passage, autorisant un temps d’exposition tumoral à la drogue 400 fois supérieur à celui observé par voie veineuse. Elle n’est pas disponible dans l’Union européenne, se perfuse sur plusieurs jours, en règle pendant 14 jours toutes les 5 semaines. De ce fait, la mise en place d’une chambre implantée reliée au système artériel hépatique par voie chirurgicale ou radiologique devient nécessaire, et ceci quel que soit le nombre de séances réalisées.
Cette technique de dispositif artériel hépatique avec chambre implantée se retrouve ainsi dans l’ensemble de la littérature sur ce sujet, à l’exception d’un article publié en 2001, faisant état de la pose de cathéters hépatiques pour chaque séance qui comprenait une perfusion artérielle de FUDR sur 4 jours(11).
Cette thérapie artérielle peut être proposée à titre adjuvant en fonction du degré de risque de récidive tumorale hépatique. Ce risque a été évalué avec de nombreux scores(12). Celui employé par le MSKCC est le « Clinical risk score » reposant sur cinq paramètres côtés 0 ou 1 (tableau 1) avec un bas risque pour un score de 0 à 2 et un haut risque pour un score entre 3 et 5. Le caractère le plus commun à tous ces scores semble être le nombre > 4 métastases traitées, signant un risque élevé de récidive(12). Les résultats de la chimiothérapie intraartérielle adjuvante au FUDR, qui comprend en moyenne de 6 à 7 cycles, paraissent bons avec dans l’expérience du MSKCC, sur 2 368 patients traités de 1992 à 2012, une survie médiane de 67 mois pour la thérapie artérielle versus 44 mois sans thérapie artérielle (p < 0,001). Ce traitement semble profiter le plus dans cet article aux patients ayant un bas risque de récidive, avec des survies médianes de 89 mois avec thérapie intra-artérielle versus 53 mois (p < 0,001)(13). D’autres travaux montrent une réduction à 5 ans de la mortalité liée à la maladie hépatique en cas de traitement artériel hépatique adjuvant (6,8 % versus 14,3 % ; p = 0,007)(14), ainsi que l’absence d’influence de la mutation K Ras sur les résultats(15).
En Europe et, en particulier en France, sous l’impulsion des équipes de l’Institut Gustave Roussy, le FUDR a été remplacé par l’oxaliplatine qui a un ratio d’extraction hépatique de 0,47(16) et qui permet d’obtenir plus de réponses complètes histologiques que lorsqu’il est délivré par voie intraveineuse (33 % versus 10 %)(17).
Les résultats de l’essai français PACHA-01, multicentrique de phase II/III(12) ont été donnés lors du congrès de l’ASCO en 2023(18). Cette étude a évalué des patients ayant été traités en intention curative pour au moins 4 métastases hépatiques de cancers colorectaux et ayant eu un traitement adjuvant, débutant dans les 8 semaines suivant la chirurgie, et comprenant soit un LV5FU2 intraveineux, seul ou associé à une thérapie artérielle hépatique, comprenant au moins 4 cycles d’infusion en 2 heures de 85 mg/m2 d’oxaliplatine.
La médiane de survie globale était significativement supérieure dans le groupe « oxaliplatine intra-artérielle » (74 mois versus 54 mois ; p = 0,056) tout comme la survie sans récidive tumorale hépatique (25 mois versus 12 mois ; p = 0,027). La tolérance était en revanche moins bonne dans le groupe « oxaliplatine intra-artérielle » avec 58 % d’effets secondaires grades III/IV versus 31 % (p = 0,01).
Cette toxicité est multifactorielle, liée essentiellement aux effets secondaires des drogues et à leur mode de délivrance. L’oxaliplatine délivrée en intra-artériel à une toxicité hépatique supérieure à celle observée avec la voie veineuse, avec des lésions hépatiques histologiques sévères dans 66 % des cas versus 20 % en intraveineux(17). Une toxicité accrue, essentiellement biliaire, est aussi observée avec le FUDR.
La morbidité liée directement au dispositif artériel hépatique avec chambre implantable, bien que diminuée en particulier grâce au développement de la pose radiologique en substitution de la pose chirurgicale(19), reste également élevée pour des équipes entraînées, avec 6 à 15 % de complications majeures, correspondant essentiellement à des sepsis, dissections artérielles, thromboses artérielles ou ulcères digestifs, et près de 50 % de dysfonctionnements liés à des occlusions ou migrations de cathéters, ainsi qu’à des perfusions artérielles résiduelles extrahépatiques(20-22). Ces complications ont amené à l’arrêt du traitement pour 6 patients/44 dans l’expérience de Goere et coll. rapportée en 2013(23).
Par ailleurs, cette pose radiologique de cathéter artériel hépatique relié à une chambre implantée est le plus souvent longue, exigeant de nombreuses redistributions artérielles et nécessitant un contrôle en imagerie de la position et de la perméabilité du système artériel avant chacune ou toutes les deux séances.
À ces limites s’ajoute enfin la fin récente de commercialisation du système de chambre implantée utilisé par la majeure partie des équipes de radiologie interventionnelle, ayant amené à la proposition récente, pour ce type de procédure, de modification artisanale de cathéters et à l’utilisation de chambres implantées commercialisées pour d’autres indications(20).
Rationnel de la pose itérative de cathéters artériels hépatiques
En raison de :
– la nécessité d’au plus 6 cycles de chimiothérapie intra-artérielle hépatique le plus souvent ;
– l’infusion rapide de l’oxaliplatine ;
– la morbidité élevée du dispositif artériel hépatique avec chambre implantée ;
– l’arrêt de commercialisation de la principale marque de chambre implantée artérielle ; on peut se demander légitimement si la pose historique d’une chambre implantée artérielle, indispensable pour de longs traitements palliatifs et/ou utilisant le FUDR, reste réellement nécessaire actuellement.
Cette interrogation peut être encore majorée par le fait que toutes les équipes de radiologie interventionnelle viscérale entraînées savent parfaitement que le cathétérisme itératif, à chaque séance thérapeutique, des artères digestives, est en règle rapide, flexible et peu morbide.
Nous rapportons ci-dessous ici notre expérience préliminaire.
Nous avons collecté rétrospectivement les données de 13 patients consécutifs du mois d’août 2013 au mois de septembre 2023, ayant eu la pose itérative d’un cathéter intra-artériel hépatique pour 50 séances de chimiothérapie intra-artérielle à l’oxaliplatine (extrêmes : 1-7) sans implantation de chambre.
• L’indication de cette ligne thérapeutique était adjuvante, après traitement chirurgical et/ou thermoablatif percutané en intention curative de patients ayant une atteinte métastatique hépatique de cancers colorectaux jugés en réponse complète, mais avec un risque de récidive tumorale hépatique élevé du fait de métastases ayant totalement disparu après chimiothérapie systémique préopératoire et/ou d’un traitement instrumental chirurgical ou non chirurgical de plus de 4 métastases hépatiques.
• Le déroulé de la séance thérapeutique était le suivant :
– accueil du patient dans le service d’oncologie médicale et mise en place d’une voie d’abord veineuse dans un dispositif veineux implanté ou périphérique temporaire ;
– transfert en salle d’angiographie interventionnelle avec une seringue autopousseuse prête à être connectée au cathéter artériel ;
– mise en place après anesthésie locale d’un introducteur fémoral droit de 4 F rincé en continu sur une poche de sérum physiologique sous pression ;
– cathétérisme sélectif ou hypersélectif artériel hépatique selon chaque situation avec un cathéter 4 F, avec artériographies hépatiques ;
– embolisation si nécessaire lors de la première séance thérapeutique d’artères à destinée hépatique, si nécessité de ne laisser qu’un seul tronc artériel hépatique pour l’ensemble du foie ;
– embolisation si nécessaire lors de la première séance thérapeutique d’artères à destinée extrahépatique ;
– mise en place d’un microcathéter 2,4 à 2,7 F dans le cathéter porteur avec contrôle scopique de son extrémité ;
– branchement immédiat du microcathéter sur une seringue autopousseuse avec seringue de sérum physiologique au débit de 3-5 ml/min ;
– fixation des cathéters sur la cuisse du patient au moyen d’auto collants transparents (figure 1) ;
– transfert immédiat dans le service de soins et début de la chimiothérapie intraveineuse et intra-artérielle (tableau 2) ; ablation du matériel, compression manuelle artérielle et pansement compressif artériel fémoral au lit du patient en fin de chimiothérapie intra-artérielle par le personnel de radiologie interventionnelle :
– sortie à J1 en l’absence de complications.
Figure 1. Cathéter 4-F et microcathéter coaxial 2.7-F, fixés respectivement sur l’introducteur 4-F et le cathéter avec des autocollants transparents, après avoir vérifié la bonne position de l’extrémité du microcathéter en scopie, et branchés sans délai, en salle d’angiographie, sur une seringue autopousseuse.
• Pour la première séance et comparativement à la technique standard avec pose de chambre implantée, il est nécessaire également de monopédiculiser l’apport artériel hépatique si nécessaire au moyen de coïls. Néanmoins, la durée de cette séance nous semble en moyenne plus courte et, techniquement, plus facile du fait de l’absence de nécessité le plus souvent d’occlure des vaisseaux à destination extrahépatique par le positionnement plus libre de l’extrémité du microcathéter et du fait de l’absence d’implantation de chambre. La plus grande facilité de pose est également liée à l’utilisation plus aisée de cathéters courants comparativement à l’utilisation du microcathéter relié au final à la chambre implantée.
Pour les autres séances, la durée de pose du cathéter pour un opérateur entraîné est le plus souvent < 30 minutes.
Le coût de cette technique est probablement supérieur à la technique de référence en l’absence de complications, le coût supplémentaire du matériel utilisé après la première séance thérapeutique étant supérieur au coût de la chambre implantée et aux coïls supplémentaires utilisés avec la technique de référence. Néanmoins, cette différence peut s’annuler, voire s’inverser si des complications s’observent plus fréquemment avec la technique de référence. Ce même raisonnement vaut également pour la dosimétrie patient et la dosimétrie opérateur. Il est à noter à ce sujet qu’il n’y a pas de données dans la littérature sur les dosimétries opérateurs et patients, ainsi que sur les coûts liés à la pose radiologique standard et à l’entretien de dispositifs artériels hépatiques.
• Dans notre série, nous avons eu un échec technique pour une séance avec d’autres séances ayant pu être faites par la suite pour ce patient.
Nous avons eu une complication majeure liée à la procédure de pose de cathéter, correspondant à une dissection de l’artère hépatique au 3e cycle imposant l’arrêt du traitement mais sans retentissement hépatobiliaire du fait d’un développement immédiat de collatéralités artérielles. Nous avons observé, enfin trois complications mineures : un hématome au point de ponction fémoral ne nécessitant pas de prise en charge spécifique ; un ulcère duodénal probablement lié à l’infusion de chimiothérapie dans une branche artérielle duodénale et traité médicalement ; et une coudure du cathéter obligeant à son repositionnement le jour même en salle d’angiographie.
Ces pourcentages de complications paraissent inférieurs à ceux publiés dans la littérature pour la technique de référence avec un risque de sepsis ou d’occlusion du cathéter quasi nul, peu d’ulcères digestifs et une fréquence très inférieure de dysfonctionnements du système de perfusion artérielle.
On peut noter enfin que pour quelques patients, le traitement peu se limiter à un ou deux cycles en cas de progression rapide, d’effets secondaires liés à la chimiothérapie ou au dispositif artériel. La technique décrite, ici, est un avantage supplémentaire pour ces patients qui au final n’auront pas de chambre implantée pour un bénéfice faible à nul.
En conclusion
La pose itérative de cathéters artériels hépatiques en cas de chimiothérapie adjuvante pour des patients ayant des métastases de cancers colorectaux semble donc présenter des avantages potentiels comparativement à la technique de référence, à l’heure de la communication de résultats positifs de cette approche thérapeutique donnés par l’essai Français PACHA-01(18) et à l’heure de difficultés d’approvisionnement en chambres implantées artérielles (tableau 3).
C’est en effet une technique qui paraît plus rapide, techniquement plus facile, plus flexible avec la pose du cathéter pouvant différer si nécessaire d’une séance à l’autre, engendrant moins de complications, autorisant la correction immédiate et facile de cathéters migrés et pouvant participer dans les centres universitaires à l’apprentissage des médecins juniors.
Les coûts des dosimétries potentiellement également plus élevés, sont probablement au final voisins ou inférieurs du fait de la survenue de moins de complications ou dysfonctionnements.
La seule limite paraissant plus difficile à contourner est la nécessité d’une proximité entre la salle d’angiographie et le service de soins, même si le microcathéter peut rester branché plusieurs dizaines de minutes sur la seringue autopousseuse lors du transport.
*Centre de radiologie interventionnelle oncologique et viscéral, hôpital Archet, CHU de Nice.
**Service d’Imagerie interventionnelle, CHU d’Angers.
***Service d’oncologie digestive, hôpital Archet, CHU de Nice.
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