Technologie
Publié le 30 mar 2022Lecture 7 min
Thermométrie pour le monitoring des ablations tumorales : mythe ou réalité ? L’aventure de Certis Therapeutics
Sophie AUFORT, Clinique du parc, Groupe CRP, Castelnau-le-Lez
Le rêve absolu du radiologue interventionnel réalisant des actes de destructions tumorales percutanées serait d’avoir la certitude que son traitement a été complet pendant la procédure. Mais il doit attendre actuellement plusieurs semaines, avant d’étudier s'il n’existe pas de résidu tumoral sur l’imagerie de contrôle. Obtenir une température cible provoquant la mort cellulaire est l’objectif de toute thermo-ablation. Il existe un outil d’imagerie permettant cette quantification de température : c’est la thermométrie IRM. Mais jusque-là, vous vous demandez si c’est applicable en pratique clinique... Bienvenue dans l’aventure de Certis Therapeutics.
La start-up française Certis Therapeutics a été créée en 2019 par Stéphane Chemouny (fondateur et ancien dirigeant de l’éditeur de logiciel Intrasense) et Bruno Quesson (directeur de recherche au CNRS). Elle s’appuie sur des travaux de recherche, réalisés au sein de l’IHU Liryc de Bordeaux, sur la thermométrie sous IRM. La société a été primée à diverses reprises, en particulier par le Grand prix du ministère de la Recherche (i-lab) en 2019 et le Premier prix de l’innovation de la Société française de radiologie en 2020. Elle emploie aujourd’hui 11 personnes, effectif qui devrait doubler d’ici 18 mois, suite à une levée de fonds réalisée dans le courant de l’été dernier.
Certis Therapeutics est le premier acteur industriel à commercialiser une solution de thermométrie IRM en temps réel et en 3D, multi-organes (y compris organes mobiles), et compatible avec la plupart des techniques de thermoablation (RF, micro-ondes, laser, HIFU). Les cibles prioritaires de la société sont les tumeurs du foie, du cerveau, du rein et de la prostate. À moyen terme, des applications en cardiologie seront proposées. La société ambitionne également de développer ses propres dispositifs d’ablation qui seront optimisés pour l’IRM et conformationnels (c’est-à-dire que ces derniers permetteront de réaliser des ablations de formes complexes).
Sur un organe tel que le cerveau, l’innovation apportée par Certis Therapeutics par rapport aux offres existantes consiste à utiliser et à analyser des séquences rapides – de type Echo Planar – ce qui permet de couvrir un volume complet (10-15 coupes) toutes les 1 à 2 secondes. En comparaison, les concurrents ont des flux généralement de seulement 3 coupes non jointives toutes les 8 secondes. Cette approche 3D temps réel révolutionne le workflow de traitement et garantit la qualité du geste avec une vision complète de la zone cible à ablater, ainsi que des tissus environnants à préserver.
Sur des organes mobiles tels que le foie, Certis Therapeutics est le seul acteur du marché à proposer une solution de ther- mométrie temps réel. Il est intéressant de préciser que la technologie princeps utilisée par l’entreprise a été développée au sein d’un établissement d’étude de rythmologie cardiaque et validée – en pré- clinique – sur de l’ablation cardiaque ; en comparaison tous les autres organes sont beaucoup plus simples à monitorer en thermométrie IRM.
Pourquoi faire des ablations sous IRM ?
Plusieurs études(1) démontrent que l’IRM a une plus grande sensibilité dans la détection de très petites lésions, de sorte que l’acquisition préopératoire peut entraîner un changement significatif dans la planification de l’imagerie. Ainsi, d’autres lésions primitives suspectes ou métastases hépatiques peuvent être révélées au début de l’intervention et pourront faire l’objet d’une prise en charge directe. Enfin, l’IRM est la seule modalité d’imagerie permettant de suivre l’évolution de la température en 3D et en temps réel. Cette information est cruciale quand il s’agit d’estimer la taille de la lésion thermique.
L’entreprise a choisi de faire ses premiers développements cliniques sur les cancers du foie. Une quinzaine de patients ont déjà bénéficié, depuis l’automne 2021, d’un monitoring per-procédure au cours de thermoablations de tumeurs hépatiques. Ces cas ont été étudiés au sein de l’équipe de radiologie interventionnelle IRM de l’hôpital universitaire de Munich (Allemagne), dirigé par le Pr Seidensticker. Dans cette étude clinique, les ablations sont réalisées par des techniques de micro-onde de marque Medwaves, sur IRM Siemens 1.5 T MAGNETOM Aera VE11E. Bien que l’essai ait été réalisé avec des machines Siemens, la solution Certis Therapeutics aura naturellement vocation d’être compatible avec l’ensemble du parc IRM français en 2022, notamment avec les IRM Philips et General Electric.
L’objectif à terme de la société est de proposer des workflows dédiés à chaque organe, combinés à des modalités d’ablation prenant en compte les caractéristiques et les contraintes de l’ablation spécifique de chaque tumeur.
Historique de la mesure de la température et de la dose thermique sous IRM
Température et séquence PRFS
La thermométrie sous IRM a été développée à la fin des années 1980(2). Dès lors, des travaux de recherche avaient mis en évidence deux mécanismes permettant de produire des cartes de température : d’une part, la relation linéaire de la température et de la relaxation spin-réseaux (relaxation T1) et, d’autre part, la relation linéaire de la vitesse de précession des protons avec la température(3). Au cours de la dernière décennie, la seconde méthode aussi nommée en anglais « Proton Resonance Frequency Shift (PRFS) » a été favorisée de par sa rapidité, sa simplicité d’implémentation et sa sensibilité de mesure(4,5). La technique de la PRFS consiste à acquérir une série temporelle d’images de phase et de considérer que la variation de phase entre deux instants est proportionnelle à la variation de température entre ces mêmes instants. Cette relation reste valide pour tous les tissus mous non adipeux(6).
Notion de dose thermique (CEM43)
En thermothérapie, la CEM43, de l’anglais Cumulative Equivalent Minutes at 43°C, est un indice permettant de décrire la dose thermique reçu par un tissu. Initialement proposé par Stephen Sapareto et William Dewey en 1984(7), cet indice permet de convertir une durée d’exposition à une température déterminée en durée équivalente à la température de référence de 43 °C, pour un même effet biologique. Cette métrique permet donc de pouvoir définir des seuils au-delà desquels nous pouvons considérer que le tissu a été détruit.
Workflow (tableau 1)
Planification du geste
Avant le jour du traitement, les images préopératoires utilisées pour le diagnostic (scanner ou IRM) peuvent être chargées dans le logiciel. Le radiologue peut alors analyser les images avec différents contrastes, pour identifier des zones critiques et segmenter l’organe et la lésion à traiter à l’aide d’un outil de segmentation dédié.
L’intervention
Le jour du traitement, le patient est endormi à l’extérieur de la salle IRM, et maintenu sous anesthésie générale durant toute la procédure. La procédure débute par une imagerie anatomique 3D pondérée en T1, permettant d’obtenir une référence anatomique.
Le radiologue peut alors effectuer un recalage de cette imagerie sur les imageries préopératoires. Le radiologue insère l’aiguille d’ablation jusqu’à la tumeur à traiter. Cette insertion se fait sous IRM. Un opérateur positionne le point d’entrée de l’aiguille, ainsi que le point de cible (tumeur) sur la console IRM. En salle, le geste du radiologue est guidé par un affichage sur un écran dédié de 3 coupes orthogonales réalisées le long de l’axe de ces deux marqueurs de position. Cette étape est relativement longue à l’heure actuelle – 30 à 40 min – et est largement optimisable. Alternativement, un positionnement de l’aiguille d’ablation sous échographie pourrait être envisagé.
Une nouvelle imagerie 3D pondérée T1 est réalisée pour confirmer la position finale de l’aiguille d’ablation avant de réaliser le traitement (figure 1).
La procédure d’ablation peut alors commencer et dure généralement moins de 10 min. Les images de température et de dose thermique vont être affichées tout au long de la procédure dans la salle IRM pour le radiologue. Plusieurs coupes (typiquement 12 couvrant un volume de 48 mm) sont positionnées sur la zone à traiter. Deux méthodes d’acquisition sont alors envisageables : soit le volume est répété à intervalle régulier, soit le volume est synchronisé sur le rythme respiratoire du patient (figure 2). Dans le premier cas de figure, des méthodes de corrections de mouvement sont automatiquement appliquées pour figer l’organe dans l’image. Dans le cas de la synchronisation respiratoire, le mouvement du foie est figé.
Suivi postopératoire
Une imagerie de lésion a été réalisée pour les besoins de l’étude à J+1 ou J+2 après la procédure d’ablation avec injection d’agent de contraste (figure 3). Bien que provisoire, cette imagerie nous permet déjà d’apprécier la réussite de la procédure, ainsi que la correspondance entre la dose thermique et la lésion thermique. Des imageries ultérieures seront réalisées à plus long terme pour avoir le résultat final.
La suite ?
L’équipe de Certis Therapeutics est en passe de démontrer que la thermoablation guidée par IRM est opérationnelle, y compris pour ces cibles en mouvement comme les tumeurs du foie.
Il n’y a pas d’éléments bloquants à son intégration à la routine clinique :
– nous savons depuis longtemps, notamment en imagerie pédiatrique, que l’anesthésie générale en IRM est totalement réalisable ;
– il existe déjà des matériels d’ablation marqués CE compatibles IRM pour toutes les techniques d’ablation ;
– le temps d’occupation de la salle IRM – sur les exemples mentionnés plus haut – n’excède pas 1 heure ;
– certaines équipes utilisent des scanners dédiés spécifiquement à leur activité de radiologie interventionnelle ; pourquoi ne pas militer pour des IRM dédiées à l’activité interventionnelle, afin de ne pas pénaliser les patients en attente de diagnostic ?
L’aventure continue du côté de Certis Therapeutics. De nouveaux partenaires cliniques et d’experts sont nécessaires pour améliorer ses workflows et valider ses produits. Une start-up issue de l’écosystème national, félicitée par notre ministère de la Recherche et par le Prix de l’innovation de la SFR, doit tout naturellement travailler avec des équipes de radiologie interventionnelle françaises, dont l’excellence est largement reconnue au niveau international ! Repoussons encore les limites de la RI, en inventant avec nos entreprises innovantes françaises, de nouvelles solutions pour optimiser les prises en charge de nos patients !
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