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Publié le 29 juin 2022Lecture 6 min

Gestion du risque hémorragique en radiologie interventionnelle oncologique

Stéphanie BÉCAMEL, Julien FRANDON, service de radiologie et imagerie médicale, CHU Caremeau, Nîmes ; université de Montpellier-Nîmes

L’intérêt de la radiologie interventionnelle, notamment dans le domaine de l’oncologie, est de proposer des actes diagnostiques ou thérapeutiques moins invasifs que la chirurgie ou inaccessibles à celle-ci. Cependant, elle n’est pas sans risque. Nous avons notamment été amené à repenser l’approche des patients en radiologie interventionnelle, dont le nombre d’actes est en constant développement, devant l’augmentation de la prévalence des patients sous antiagrégants ou anticoagulants.

La prise en charge de ces patients doit donc mettre en balance deux risques antagonistes : le risque hémorragique et le risque thromboembolique pour une prise en charge optimale du patient. D’autant plus que l’incidence des événements thromboemboliques augmente chez les patients présentant une pathologie cancéreuse. Pour ne citer que quelques exemples, l’incidence globale des thromboses veineuses profondes et des embolies pulmonaires serait de 1 pour 200 patients, soit environ 5 fois plus élevée que dans la population générale. L’objectif de cette mise au point est de tenter de déterminer les situations où l’augmentation du risque hémorragique n’est pas acceptable et doit conduire à une modification des thérapeutiques péri-procédurales.   Évaluation du risque thromboembolique du patient (tableau 1) Le risque à l’arrêt du traitement est très différent selon l’indication qui a motivé sa prescription. Si le patient présente une fibrillation auriculaire (FA), le risque thromboembolique est élevé en cas d’antécédents d’accident ischémique transitoire (AIT), d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’embolie pulmonaire (EP) systémique ou un score de CHAD2DS2-VASc ≥ 3 (score initialement validé dans le cadre de l’initiation d’un anticoagulant oral chez des patients présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire) (tableau 2)(1). Si le patient a une maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV), le risque thromboembolique est élevé en cas d’accident (TVP et/ou EP) datant de moins de 3 mois, ou de MTEV récidivante idiopathique (nombre d’épisodes ≥ 2, au moins un accident sans facteur déclenchant). Si l’accident date de moins, d’un mois le risque est encore plus élevé. De même, tous les patients porteurs d’une prothèse valvulaire mécanique cardiaque sont considérés comme à haut risque thrombo-embolique(1). Si globalement le cancer est reconnu comme un facteur favorisant de la thrombose, le degré de risque varie sensiblement en fonction du type de cancer, du stade de la maladie et du traitement reçu. Schématiquement, parmi les tumeurs solides, les plus thrombogènes sont les cancers du pancréas, du côlon, de l’ovaire, du cerveau et du poumon. Cependant, en raison de leur fréquence élevée, des tumeurs associées à un moindre risque, comme celles du sein ou de la prostate, sont responsables d’une grande partie des événements thromboemboliques liés au cancer. D’autre part, le risque d’événements thromboemboliques augmente entre le stade localisé et le stade métastatique, qui est beaucoup plus thrombogène. Enfin, le traitement du cancer peut lui-même augmenter le risque de thrombose : la chirurgie, la chimiothérapie et l’hormonothérapie, certains anti-angiogéniques, la présence d’un cathéter intravasculaire ou même des modules utilisés dans les soins de support, comme l’érythropoïétine recombinante, sont associés à une augmentation de l’incidence des événements thromboemboliques(1). Évaluation du risque hémorragique du patient La stratification du risque hémorragique du patient dépend de ses antécédents, de ses thérapeutiques en cours et de son bilan sanguin. Un des scores les plus utilisé et les mieux validé, chez les patients de moins de 80 ans, est le score HAS-BLED, dont le risque hémorragique est élevé si ≥ 3. À noter cependant que ce score n’a été bien étudié que dans le cadre de la FA sans maladie valvulaire mitrale et que très peu d’investigations ont été conduites en contexte per-geste mais qu’il est employé par analogie (tableau 3)(1,2). Par ailleurs, chez les patients de plus de 80 ans, le score HEMORR2HAGES est préféré mais également validé uniquement chez des patients présentant une FA sans maladie valvulaire mitrale avec très peu d’investigations en contexte per-geste (tableau 4)(1,2). Évaluation du risque hémorragique de l’acte de radiologie interventionnelle L’évaluation du niveau de risque hémorragique de l’acte de RI, selon trois catégories, permettra par la suite de déterminer le bilan sanguin à prescrire, ainsi qu’un éventuel relais anticoagulant, en fonction également du niveau de risque thromboembolique et hémorragique du patient lui-même et de son type de traitement : antiagrégants plaquettaires (AAP), anticoagulants injectables, antivitamine K (AVK), anticoagulants oraux d’action directe (AOD)(3) (tableau 5). Le taux de succès des traitements en mono-électrode diminue fortement dès lors que la tumeur traitée est > 3 cm. Ceci explique la tendance à l’augmentation du nombre d’électrodes utilisées par procédure. Augmenter le nombre de ponctions pour obtenir des volumes d’ablation plus importants a nécessairement un impact sur les risques de complications. Il y a quelques années, on parlait d’une relation claire entre le risque hémorragique, le nombre de passages et le calibre des aiguilles utilisées. Actuellement, on considère que ni le nombre ni le calibre des applicateurs utilisés ne semblent impacter de façon significative le risque de complication hémorragique des ablations réalisées par voie percutanée. La sécurité des gestes d’ablation impliquant plusieurs ponctions a aussi certainement bénéficié d’une élévation globale du niveau d’expertise des opérateurs sans oublier l’apport déterminant des améliorations et des avancées réalisées dans le domaine de l’imagerie de guidage et de la fusion multimodale(4). Aussi, la plupart des actes de chimioembolisation, cryoablation ou de radiofréquence simple sont actuellement classés parmi les actes à risque hémorragique modéré. Seuls, les actes de radiofréquence complexe sont classés parmi les actes à risque hémorragique élevé. Concernant la plupart des actes de RI suscités, il est conseillé de réaliser en systématique un bilan de coagulation avec INR-TP + plaquettes, dont les valeurs seuils minimales attendues sont : TP > 50 % ou INR < 1,5 fois la normale, TCA < 1,5 fois le TCA normal et un taux de plaquettes > 50 000/UL(5). À noter, une spécificité des patients porteurs d’une maladie hépatique chronique. Même si le TP est diminué et qu’il est associé à une thrombocytopénie, il n’existe pas d’augmentation du risque de saignement. De même, il n’existe pas d’indication ni de consensus concernant la transfusion, du fait d’une faible réponse (séquestration rapide des plaquettes SPM) et d’une augmentation du risque de surcharge circulatoire transfusionnelle associée à une élévation des pressions portales et donc une augmentation du risque de saignement. Concernant les AAP : un arrêt de 5 jours avant l’acte avec relais par Kardegic® 75 mg le lendemain de l’arrêt est nécessaire pour Plavix®, Duoplavin® et Brilique®. L’arrêt sera de 7 jours pour Efient®. Seul le Kardegic® 160 mg sera relayé par du 75 mg 3 jours avant l’acte, sans arrêt(6). Les anticoagulants injectables de type HBPM, seront arrêtés 12 heures avant l’acte si pris à posologie préventive ou 24 heures avant l’acte si pris à dose curative. Les HNF par voie intraveineuse en seringue électrique (IVSE) seront quant à eux arrêtés 4-6 heures avant l’acte et le délai sera prolongé entre 8-12 heures si injectés par voie sous-cutané(7). Les AVK (Previscan®, Coumadine®, Sintron®, Minisintron®), seront arrêtés 5 jours avant l’acte et un relai sera effectué par de l’héparine à dose curative 3 jours avant l’acte, si le patient présente un risque thromboembolique calculé élevé (INR < 2)(8,9). Si la plupart des AOD (Xarelto®, Eliquis®, Lixiana® et Bevyxxa®) seront arrêtés 3 jours avant l’acte, le Pradaxa® sera stoppé 5 jours avant l’acte si Cockroft compris entre 30-49 mL/min ou 4 jours avant si Cockroft > 50 mL/min, du fait de son élimination principalement rénale. Le relais par héparine à dose curative sera discuté au cas par cas, uniquement chez des patients à haut risque thromboembolique, à débuter 12 heures après l’arrêt de l’AOD. À noter, si les AOD présentent des similitudes pharmacocinétiques, avec une concentration < 10 % de la Cmax, après 4 demi-vies, il existe cependant une importante variabilité pharmacocinétique interindividuelle, rendant la concentration plasmatique minimale non connue et donc augmentant le risque hémorragique, d’où la nécessité d’une fenêtre thérapeutique(8,9).

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