Grand angle
Publié le 03 oct 2022Lecture 9 min
La voie artérielle radiale en oncologie interventionnelle : rationnel et technique
Maxime RONOT, Lorenzo GARZELLI, Lucas RAYNAUD, Marco DIOGUARDI BURGIO, Valérie VILGRAIN, Jules GREGORY Service de radiologie, hôpital Beaujon (AP-HP nord), Clichy ; Université Paris Cité, Centre de recherche sur l’inflammation, UMR1149, Paris
La voie radiale consiste en la création d’un abord sécurisé de l’artère radiale soit distale (dans la tabatière anatomique), soit proximale (à la face interne du poignet). Cette voie d’abord est utilisée pour des interventions intra-artérielles depuis plus de 30 ans, surtout en cardiologie. Si les interventions de radiologie interventionnelle abdomino-pelviennes (comme la chimioembolisation hépatique, la radioembolisation, les embolisations pelviennes, etc.) étaient historiquement réalisées par voie fémorale, l’intérêt pour la voie radiale est aujourd’hui grandissant.
▸ Les avantages de la voie radiale
La voie radiale présente plusieurs avantages par rapport à l’abord fémoral. Tout d’abord, il s’agit d’un site superficiel et compressible. Plusieurs essais multicentriques cardiologiques dont l’essai RIVAL(1) ont ainsi montré qu’un abord artériel radial réduisait le taux de complications vasculaires majeures en comparaison à un abord fémoral. La métaanalyse de 12 essais randomisés (5 055 patients) publié par Karrowni et coll. a rapporté ainsi un taux de saignement majeur de 1,4 % (contre 2,9 % pour la voie fémorale ; OR : 0,51 ; IC 95 % : 0,31-0,85 ; p = 0,01) et un taux de saignement au point de ponction de 2,1 % (contre 5,6 % ; OR : 0,35 ; IC 95 % : 0,25-0,50 ; p < 0,001)(2).
Ensuite, elle est plus confortable pour les patients, sans faire de compromis sur le taux de succès technique. Ceci a été largement démontré en cardiologie interventionnelle, et depuis reproduit pour certaines interventions d’oncologie interventionnelle.
Deux essais randomisés ou comparatifs ont été menés pour la chimioembolisation, dans lesquelles 81 % et 83 % des patients préféraient la voie radiale(3,4). Ce chiffre atteignait 97 % dans une étude sur la radioembolisation(5).
Des données observationnelles ont également rapporté une durée d’hospitalisation plus courte. En effet, la voie d’abord artérielle fémorale requiert souvent une hospitalisation complète ou au minimum 6 heures d’immobilisation en cas d’utilisation d’un dispositif d’occlusion vasculaire. À l’inverse, la voie d’abord artérielle radiale rend plus facile une hospitalisation de jour. Ceci a des conséquences sur les coût de santé. Mamas et coll. ont conduit une étude médico-économique portant sur 323 656 patients ayant une intervention de cardiologie interventionnelle entre 2010 et 2014 en Angleterre(6). Les auteurs ont montré que le choix de la voie radiale était 25 % moins coûteux que la voie fémorale, et que 75 % de cette économie provenait de la réduction de la durée d’hospitalisation. Au total, 13 millions de livres sterling étaient économisés en 4 ans, et les auteurs estimaient l’économie à environ 33 millions si la voie radiale était adoptée partout en 1re intention.
De telles données manquent pour l’oncologie interventionnelle, en particulier en France. Toutefois, des données médicoéconomiques concordantes venant des États-Unis, de Chine ou encore de Pologne suggèrent que les résultats seraient très probablement les mêmes, à quelques ordres de grandeur prêt.
▸ Les possibles risques de la voie radiale
La crainte principale associée à la voie radiale est la survenue d’un accident ischémique cérébral. Les données dont nous disposons viennent de la cardiologie interventionnelle. Elles montrent qu’il n’existe pas de différence de risque d’accident ischémique entre les voies fémorales et radiales, ni entre l’abord radial droit ou gauche. Dans l’essai RIVAL cité plus haut, le taux d’AVC ischémique était de 0,6 % pour la voie radiale contre 0,4 % pour la voie fémorale (p = 0,30)(1). Une métaanalyse récente incluant 17 essais randomisés (> 12 000 patients) confirmait ces résultats(7). Bien sûr, ces données doivent être considérées avec précautions car le risque théorique d’accident cérébral ischémique pour les interventions d’oncologie interventionnelle abdominale est nul (en absence de manipulation dans la crosse de l’aorte bien entendu).
Une autre question concerne la dosimétrie. Toutefois, si les données sont plus discordantes, il convient de retenir que les études portant sur des interventions d’oncologie interventionnelle abdominales rapportaient une dose similaire, voire moindre, avec la voie radiale(3,4).
Enfin, d’autres données suggèrent que les interventions réalisées par voie radiale sont plus longues que par voie fémorale. L’analyse séparée de trois études portant sur le traitement de tumeurs hépatiques ne montrait pas de différence entre les voies d’abord(3,4,8). Toutefois, la métaanalyse de ces mêmes études, menée par Chen et coll. a conclu à une durée plus longue par voie radiale(9) principalement liée au temps de préparation initiale. Notons enfin que l’étude de lezzi et coll. suggérait une courbe d’apprentissage relativement courte (de l’ordre de 20 interventions), au terme de laquelle les durées d’interventions devenaient similaires à la voie fémorale(10).
▸ La voie radiale en pratique
En radiologie interventionnelle abdominopelvienne, l’abord radial gauche est préféré au droit car la distance jusqu’au vaisseau cible est moindre (100 cm jusqu’à l’artère hépatique commune, soit 10 cm de moins qu’à droite), et parce que le cathéter n’est pas positionné en travers des gros vaisseaux à destinée cérébrale pendant l’intervention, ce qui limite théoriquement le risque d’embolie cérébrale ou de formation de thrombus. Nous avons vu toutefois que les données disponibles ne soutiennent pas cette intuition. La tortuosité de l’aorte et l’angulation marquée entre l’artère sous-clavière et l’aorte descendante sont les principales causes d’échec. Une analyse précise des scanners disponibles est donc importante lors de la planification.
Avant de commencer, considérons quelques chiffres. Le diamètre moyen de l’artère radiale est de 3,1 mm et 2,8 mm chez les hommes et les femmes adultes respectivement(11). Nous recommandons de réaliser une échographie du patient lors de la consultation en amont pour juger de la faisabilité de l’abord radial. Le recours au test d’Allen modifié avec oxymètre de pouls, recommandé par certains auteurs pour s’assurer de la reprise efficace de l’arcade palmaire par l’artère ulnaire, est discuté. Valgimigli et coll. ont en effet démontré la sécurité de l’abord radial chez les patients ayant un test de Allen anormal(12). Dans notre expérience, ce test n’est pas utilisé.
Il est théoriquement possible de travailler avec des introducteurs allant jusqu’à 7-French, mais il est conseillé d’utiliser un matériel de calibre adapté à celui de l’artère et si possible hydrophile. En pratique, 86 % des hommes et 73 % des femmes peuvent recevoir un introducteur 6-French. Si le diamètre externe de l’introducteur est supérieur au diamètre interne de l’artère, une réduction sévère du flux artériel n’est observée que dans seulement 13 % des cas. Dans notre pratique, nous privilégions les introducteurs 5-French long dédiés, qui présentent une diminution du diamètre externe et un maintien du diamètre de la lumière interne.
En fonction du calibre de l’artère (qui doit raisonnablement être > 1,5 mm), l’abord radial est proximal ou distal, ce dernier devant être favorisé autant que possible. En effet, les données disponibles montrent que l’abord distal (dans la tabatière anatomique, main en pronation pendant l’intervention), qui permet une hémostase locale plus rapide, est associé à un risque moindre d’occlusion de l’artère radiale, et à une diminution théorique du risque d’ischémie de la main(13,14). En revanche, même si le calibre de l’artère est similaire à celui dans le poignet(15), la ponction est plus difficile du fait d’un artère plus tortueuse à ce niveau. Le guidage échographie est indispensable.
• La ponction
La ponction est donc réalisée sous guidage échographique afin de diminuer le risque d’échec et de complication (figure). L’anesthésie locale est importante, et doit être réalisée le plus tôt possible et être superficielle pour réduire le risque de spasme artériel(16). Après la mise en place de l’introducteur, un « cocktail » de médicaments est administré par voie intra-artérielle (généralement dérivés nitrés, inhibiteurs calciques et héparine) pour prévenir le spasme artériel et réduire le tonus vasculaire. Bien qu’il existe de nombreuses recommandations, il n’y a pas de consensus sur le mélange idéal. Nous utilisons 3 000 UI d’héparine, 200 μg de nitroglycérine et 2,5 mg de vérapamil. Il faut noter que le vérapamil provoque une sensation de brûlure lors de l’injection. Une hémodilution et une injection lente sont donc conseillées.
• Le positionnement
Le bras du patient peut être positionné de plusieurs façons, selon l’agencement de la salle. Une option consiste à positionner le bras à 75-90 °, presque perpendiculairement à la table en utilisant un appui-bras dédié, ce qui permet d’accéder plus facilement au vaisseau mais peut être inconfortable lors des échanges de cathéters et gênant pour les acquisitions à faisceau conique (cone beam) ou scannographiques (4D-CT). Nous préférons croiser le bras du patient et poser sa main gauche sur l’aine droite, pour travailler dans une position similaire à l’abord fémoral, ce qui permet notamment de positionner les cathéters et les guides sur le champ stérile recouvrant le patient. Dans ce cas, un appuicoude dédié est mis en place pour favoriser le confort du patient. Pour la sélection des cathéters, outre la longueur adaptée (110- 125 cm), leur angulation doit être suffisante pour s’engager dans l’aorte descendante tout en permettant un cathétérisme non traumatique de l’artère cible. Les microcathéters doivent mesurer au moins 150 cm de long et les guides au moins 180 cm.
En fin d’intervention, l’hémostase non occlusive est une technique clé pour limiter le risque de thrombose de l’artère radiale. L’étude PROPHET (Prevention of Radial Artery Occlusion Patent Hemostasis Evaluation Trial) menée en 2008 a montré que cette technique était supérieure à la pression occlusive. Cette hémostase non occlusive est généralement réalisée à l’aide d’un bracelet compressif gonflable dédié, habituellement laissé en place 30 à 90 minutes.
▸ Risque de spasme et d’occlusion de l’artère radiale
Le spasme de l’artère radiale survient dans 20 à 30 % des interventions selon les données de la littérature. Certains facteurs de risque ont été proposés, comme le sexe féminin, l’âge plus jeune, la sensation de douleur pendant la ponction, le fait de réaliser plusieurs ponctions, la présence d’un diabète, ou encore l’utilisation d’un introducteur non hydrophile(17,18). Dans notre expérience, le spasme survient beaucoup plus rarement, surtout du fait de l’utilisation de vasodilatateurs locaux(19).
L’occlusion artérielle au décours d’une intervention est rapportée dans 1 à 10 % des cas. Les taux sont faibles en cas d’utilisation d’introducteurs 5-French (1 %) plutôt que 6-French (6-10 %), de bracelets pneumatiques, et bien sûr si les patients reçoivent un traitement anticoagulant(20). Ici encore, notre expérience est que cet événement reste exceptionnel.
▸ Conclusion et perspectives
Même si le nombre d’études publiées (voir, par exemple, le tableau 1 pour les études intéressant les embolisations hépatiques) et le nombre de patients traités par un abord radial en oncologie interventionnelle augmentent, les appréhensions persistent parmi les radiologues interventionnels. Une enquête menée par Lezzi et coll. auprès de 187 praticiens européens et américains a montré qu’un peu plus de 50 % d’entre eux utilisaient la voie radiale, mais que ce chiffre était < 20 % des médecin européens. La voie radiale était plus volontiers utilisée chez les praticiens plus jeunes ou moins expérimentés, sans influence de la modalité d’exercice (privé/public). Les principaux arguments en faveur de cet abord étaient le confort et la possibilité d’une prise en charge ambulatoire. Les principaux freins ou obstacles ressentis étaient une courbe d’apprentissage jugée longue (42 %), un manque de formation (32 %), le risque de complications neurologiques (31 %), des interventions plus longues (31 %) et l’exposition au rayons x plus grande (28 %)(21). Nous avons vu que ces idées sont fausses ou déformées, et doivent être dépassées. La demande de formation est en revanche un défi auquel nous devons répondre.
L’abord artériel radial est pertinent en radiologie interventionnelle abdominopelvienne puisqu’il limite le risque de complication vasculaire au point de ponction sans pour autant compromettre le succès technique des interventions. Il permet une réduction des coûts, en favorisant les parcours ambulatoires. Les risques de complications, notamment ischémiques cérébrales, semblent exceptionnels. Enfin, et surtout, l’abord radial est largement plébiscité par les patients. On ne saurait négliger ce dernier point quand on sait l’importance du confort et de la qualité de vie des patients traités pour un cancer.
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