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Technologie

Publié le 03 oct 2022Lecture 7 min

Chimioembolisation à pression bloquée : une nouvelle ère pour la chimioembolisation hépatique ?

Anthony DOHAN, Raphael DAUTRY, Alexandre LUCAS, Maxime BARAT, Hôpital Cochin, service de radiologie, Paris

La chimioembolisation artérielle après occlusion du flux à l’aide d’un microcathéter à ballon (B-TACE) est définie comme la perfusion d’émulsion d’agents chimiothérapie avec du Lipiodol® suivie de particules de gélatine (B-cTACE) ou de billes chargées (b-DEM-TACE), après l’occlusion des artères nourricières par un microcathéter à ballon. Bien que les essais contrôlés randomisés comparant l’effet thérapeutique et le pronostic de la B-TACE à ceux des autres techniques de chimioembolisation classiques fassent défaut, les données rétrospectives suggèrent que la B-TACE est un traitement très prometteur dans certaines indications spécifiques.

▸ Les différents types de chimioembolisation hépatique   La chimioembolisation (CHE ou TACE en anglais) reste à ce jour le traitement de référence pour le traitement du carcinome hépato-cellulaire (CHC) au stade intermédiaire, c’est-à-dire stade B de classification BCLC (Barcelona Clinic Liver Cancer). Il s’agit de patients ayant plus de 3 tumeurs dans le foie ou bien de 1 à 3 tumeurs dont au moins une mesure > 3 cm. Elles ne causent aucun symptôme et n’envahissent pas les gros vaisseaux hépatiques. Le score de Child- Pugh est A ou B. Le score de l’Eastern Cooperative Oncology Group (ECOG) est 0, c’est-à-dire que le patient n’a pas de limitation dans ses activités quotidiennes. On distingue : – la C-TACE : CHE conventionnelle consistant en l’injection d’une chimiothérapie émulsionnée avec un « vecteur » qui est le Lipiodol®, puis de l’embolisation le plus souvent par de petits fragments de gélatine, ou des microsphères calibrées ; – le DEB-TACE ou DEM-TACE : CHE avec des billes chargées en chimiothérapie qui servent à la fois de vecteur et d’agent embolisant. Les avantages théoriques étant un relargage plus progressif de la chimiothérapie et donc une meilleure tolérance que la C-TACE ; – la B-TACE : CHE en utilisant un ballon d’occlusion pour arrêter le flux en amont de la région traitée. La CHE pouvant alors être conventionnelle (B-cTACE) ou avec des billes chargées (b-DEB-TACE).   ▸ Pourquoi obturer le flux lors d’une chimioembolisation ?   La première CHE hépatique avec ballon d’occlusion a été rapportée en 1991. Les avantages supposés de cette technique sont multiples : – l’obstruction du flux artériel en aval du ballon va faire diminuer la pression du flux sanguin en intratumoral, et induire l’ouverture de shunt intrahépatique. Cette redistribution du flux sanguin intrahépatique, peut donc permettre d’augmenter la concentration intratumoral de drogue cytotoxique(1) (figure 1) ; – l’occlusion de l’artère va empêcher le reflux de chimiothérapie et de matériel d’embolisation en dehors de la cible. ▸ Comment faire un B-TACE en pratique ?   La courbe d’apprentissage pour l’utilisation d’un microcathéter à ballon est courte. Il existe plusieurs cathéters et microcathéters à ballon. Il est aussi possible d’utiliser un ballon compliant dit de « modeling » comme cathéter pour l’injection la chimiothérapie. A contrario, on ne doit pas utiliser de ballon non compliant, c’est-à-dire les ballons d’angioplastie qui ont une importante force radiale et risquent de léser l’artère. L’Occlusafe® (Terumo Europe NV, Leuven, Belgium) est le microcathéter le plus couramment utilisé pour la CHE hépatique et pour lequel nous avons le plus de données cliniques à ce jour. Il combine plusieurs avantages dans cette indication : il s’agit d’un microcathéter de la famille du Progreat® (Terumo Europe NV, Leuven, Belgium), ayant donc une navigabilité similaire à ce dernier. Il s’agit d’un microcathéter de petit diamètre (2,0 Fr), ce qui permet un cathétérisme intrahépatique très distal. Du fait de son petit diamètre, il est impératif d’utiliser un microguide 0,14 Fr, les microguides de tailles supérieures ne passant pas dans la lumière du microcathéter. Habituellement, les microballons sont surtout utilisés pour le « modeling », c’est-à-dire l’embolisation d’un anévrysme intracrânien en protégeant l’artère porteuse par un ballon compliant qui va empêcher le matériel d’embolisation de sortir de l’anévrysme et d’aller emboliser la lumière du vaisseau. Les microballons utilisés sont d’habitude à simples lumières, c’est-à-dire qu’ils sont inflatés une fois en place en injectant un mélange eau/contraste par la seule lumière, puis maintenus gonflés par la présence d’un microguide qui obstrue la lumière. Ils se dégonflent au retrait du microguide. Il est donc nécessaire d’avoir un deuxième microcathéter pour réaliser l’embolisation, le canal opérateur du microballon n’étant pas disponible. L’intérêt d’avoir un microcathéter double lumière est donc de pouvoir gonfler le ballon d’occlusion et de pouvoir travailler par la lumière principale de ce ballon. L’inconvénient est que la lumière du canal du ballon est très réduite, ce qui rend la procédure de gonflage et dégonflage assez longue, surtout quand on travaille par voie radiale avec un microcathéter de 150 cm. Il est important de purger le ballon sur son mandrin afin de ne pas abîmer celui-ci en le gonflant, puis de créer une dépression pour retirer toutes les bulles d’air, ce qui est une étape cruciale, afin de s’assurer une bonne visualisation du ballon lors de l’inflation. Le ballon doit être gonflé avec 0,1 ml d’un mélange de sérum physiologique et de produit de contraste (1:1) et va occlure des vaisseaux jusqu’à 4 mm de diamètre (figure 2). D’autres microcathéters à ballon avec une double voie existent, mais ils sont pour la plupart de plus gros calibres et ne passent pas dans la lumière d’une sonde diagnostique de 4 ou 5 Fr, mais plutôt dans des sondes de 6 Fr.   ▸ Les résultats cliniques   La B-TACE est pratiquée depuis plus d’une décennie. Les études ont mis en évidence : – une importante concentration en Lipiodol® et une chimiothérapie dans les lésions(2) ; – des améliorations du taux de réponses complètes à un mois par rapport à la c- TACE : dans une série rétrospective multicentrique de 325 patients (234 c-TACE vs 91 b-TACE) dans les CHC de taille intermédiaire (3 à 5 cm), la B-TACE a montré une supériorité significative dans l’obtention d’une RC : 72,3 % vs 54,1 %, respectivement ; p = 0,047. Il n’ a cependant pas été trouvé de supériorité en termes d’efficacité pour les CHC < 3 cm, ni pour les volumineux CHC > 5 cm qui gardent un mauvais pronostic avec les deux techniques, mais l’effectif de ces deux sous-groupes était trop faible pour montrer une différence si elle existe(3). Les patients traités par B-TACE avaient un taux de retraitement à 6 mois significativement inférieur à celui de la cohorte C-TACE : 12,1 % contre 26,9 %, respectivement ; p = 0,005. Le taux de retraitement plus faible (statistiquement significatif) de la cohorte B-TACE après une seule procédure, réduit le risque de complications dues à de multiples TACE, qui pourrait aggraver le pronostic du patient ; – aucune différence en termes de taux de complications n’a été rapportée entre la BTACE et la C-TACE(4) ; – la survie sans récidive semble plus prolongée avec la B-TACE(5) ; – une concentration d’yttrium-90 plus importante est obtenue avec la B-TACE en cas de radiothérapie sélective interne (SIRT) dans les zones traitées. Aucune étude prospective randomisée n’a montré de supériorité clinique mais nous disposons d’un sérieux faisceau d’arguments basé sur des études rétrospectives.   ▸ Les bonnes indications   • Les bonnes indications semblent donc être les lésions pour lesquelles les résultats de la c-TACE ne sont pas optimaux, en particulier pour les lésions > 3 cm. Il paraît licite de proposer la B-TACE quand le nombre de pédicules nourriciers (feeders) à cathétériser est limité. • La B-TACE permet de protéger des branches lorsqu’il y a un risque de reflux dans une zone non-cible (figure 3). • L’utilisation de deux microballons a été décrite pour réaliser l’embolisation des branches incathétérisables en protégeant en amont et en aval de la naissance de cette branche(6). Cette technique a, par exemple, été utilisée avec succès pour des embolisation dans le lobe caudé, dont l’artère nourricière peut être excessivement difficile à cathétériser. Afin de monter deux microcathéters à ballon dans l’artère hépatique, il est nécessaire soit de faire deux abord fémoraux (l’un au-dessus de l’autre par exemple, afin de ne faire qu’une seule compression pour les deux introducteurs) en 4 ou 5F, soit d’utiliser un cathéter de plus grand diamètre (7F), ce qui augmente le risque de complications au point de ponction. • Comme les microballons de modeling, les microcathéters à ballon peuvent être utilisés pour protéger une branche tout en injectant par un autre microcathéter, par exemple au cours d’une SIRT (exemple : injection des microbilles au yttrium-90 dans l’artère hépatique droite tout en protégeant la branche sectorielle postérieure par un microballon, afin de ne traiter que le secteur antérieur, lorsqu’il y a de nombreuses branches et qu’on ne peut pas faire des injections sélectives dans chacune de celles-ci). • Les lésions uniques volumineuses avec une contre-indication à la SIRT, par exemple en cas de shunt pulmonaire important, peuvent être traitées par B-TACE (figure 4). ▸ Perspectives   Une étude récente a évalué l’Occlusafe® dans le cadre de traitement par SIRT (b-SIRT). Cette étude a comparé 7 patients traités par b-SIRT et 24 patients par SIRT et a mis en évidence une plus importante activité moyenne chez les patients traitées par b- SIRT vs SIRT (151,6 Gy ± 53,2 vs 100,1 Gy ± 43,4 ; p = 0,01)(7). L’utilisation d’un microcathéter à ballon dans la SIRT semble donc être une perspective intéressante, et ce d’autant plus dans les cas où le cathétérisme est difficile et qu’il y a un risque de reflux des microbilles. Enfin, à ce jour, aucune étude n’a comparé la B-TACE à la SIRT dans les grosses lésions ayant peu de pédicules nourriciers, et donc pour lesquelles les deux techniques semblent appropriées.

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