Publié le 28 mar 2023Lecture 10 min
Utilisation des réseaux sociaux : avantages, dangers et cadre légal en radiologie interventionnelle
Léo RAZAKAMANANTSOA*, Lorenzo GARZELLI**,***, Farouk TRADI****
Véritable avancée technologique, l’utilisation des réseaux sociaux au sein des espaces publics n’est pas dénuée de risques, particulièrement dans le cadre de notre profession médicale. Cet article propose quelques pistes de réflexion à intégrer pour le radiologue interventionnel avant de s’engager dans l’aventure du « social networking ».
Une utilisation ubiquitaire
L’utilisation des réseaux sociaux dans le monde reste croissante. À titre d’exemple, 59 % de la population mondiale se connecte tous les jours à travers les réseaux sociaux. En France, les données de la société canadienne Hootsuite, leader dans le marketing des réseaux sociaux, estiment à 52,6 millions le nombre d’utilisateurs de réseaux sociaux (soit 80 % de la population totale) avec un temps moyen d’utilisation de 1 heure 46 min par jour (en croissance) et une utilisation quasi exclusive sur smartphone. À l’échelle de la population française, les réseaux sociaux les plus utilisés sont dans l’ordre : Facebook, Whatsapp, Instagram, Snapchat, Tiktok, Twitter, Pinterest et LinkedIn(1). Bien qu’il n’existe pas de données très précises sur la participation aux réseaux sociaux des radiologues interventionnels français, ce sujet a été largement étudié à l’étranger où, à titre d’exemple, une étude australienne portant sur 265 radiologues interventionnels a démontré la possession d’un compte sur les réseaux sociaux chez 72 % des participants (191/265), avec une prédominance pour LinkedIn puis Facebook, Researchgate et Twitter(2) (figure 1).
Figure. Panel représentatif des différents réseaux sociaux disponibles pour le radiologue interventionnel
(figure originale du Dr Farouk Tradi à l’occasion des Journées Francophones de Radiologie Diagnostique & Interventionnelle 2022).
L’effondrement du modèle paternaliste de la relation médecin-malade
La relation entre un praticien et son malade évolue. Anciennement dissymétrique, le modèle de relation paternaliste opposait d’un côté le soignant ayant le savoir scientifique, la technicité, le recul nécessaire pour apprécier son efficacité, au patient qui ne connaissait de sa pathologie que ses symptômes et son ressenti. L’avènement des réseaux sociaux a bouleversé cet état de connaissance. L’accès au contenu de la connaissance médicale pure est désormais immédiat grâce au développement d’internet. De nombreux réseaux sociaux proposent aujourd’hui de la vulgarisation médicale qui s’étend de la rencontre entre patients à l’exposition aux techniques opératoires du radiologue interventionnel pour les plus immersifs. Des plateformes à but lucratif ou non (parfois même des laboratoires pharmaceutiques) se sont développées pour répondre directement à ces nouveaux besoins. Pour les médecins, ces réseaux ont un avantage indéniable : divulguer de l’information médicale afin de recruter les patients dans leur structure de soin. Cette différence de connaissance considérée comme antérieurement impondérable vient peu à peu s’estomper et peut s’accompagner d’une augmentation des exigences modifiant la relation médecin-malade qu’un radiologue interventionnel peut entretenir avec son patient.
Le médecin n’est pas uniquement jugé sur ses compétences médicales comme l’a montré l’étude EUROPEP qui a investigué, chez les patients, leurs critères de choix de praticiens(3). Les critères les plus significatifs étaient : une durée suffisante de consultation, une réponse rapide en cas d’urgence, une confidentialité des informations transmises, une exhaustivité des réponses aux différentes questions, une liberté de parole lors de la consultation, une capacité du médecin à se tenir à jour et la recommandation par d’autres spécialistes. Les réseaux sociaux ont fait émerger le concept de « e-réputation » chez les soignants. Bon nombre de patients des grandes métropoles sont avides d’évaluation des praticiens à la manière de structures de soins dans la presse, par exemple. Les radiologues sont sur ce point mieux protégés que leurs confrères médecins généralistes ou spécialistes libéraux des systèmes de notations sauvages (exemple des étoiles de Google) car ils sont souvent adossés et protégés par une structure de soins publique ou privée et non indépendants. Le glissement de cette philosophie de performance par système de notation via les réseaux sociaux, déjà très développé et incontournable dans le réseau de l'hôtellerie ou de la restauration par exemple, se propage petit à petit au sein du corps médical avec des médecins pouvant se sentir impuissants et démunis face à un certain dénigrement en ligne, sans parler du préjudice possible en termes d’activité de soins.
Une vitrine pour la structure de soins et le praticien ?
Les réseaux sociaux peuvent s’avérer être une véritable « e-vitrine » pour exposer les dernières innovations d’une structure de santé, voire de son plateau technique interventionnel. Ils peuvent permettre une mise en valeur de l’expertise, de l’innovation et ce, afin d’informer confrères et patients dans le périmètre environnant. Le développement du réseau très haut débit, notamment le développement du Plan France très haut débit 2025, permet l’accélération de l’équipement du territoire en fibre optique et ainsi la tenue de webinaires en direct ou la retransmission d’interventions en temps réel, voire de conférences internationales ayant un impact national ou international. Enfin, ces réseaux sociaux sont vecteurs de recrutement ou de rencontre des futurs internes, assistants, praticiens hospitaliers, voire collaborateurs ou associés. Il y est exposé le plateau technique, le type d’intervention pratiqué, les activités cliniques associées et parfois les avantages en nature ou financiers.
Les réseaux sociaux, un incontournable de la pédagogie ?
La tranche d’âge des 13-24 ans est sans commune mesure la plus consommatrice de réseaux sociaux. L’éducation a largement investi ces réseaux afin de diffuser l’information au plus grand nombre. De véritables stratégies de communication ont été mises en place par les universités françaises avec des postes clés de stratégie digitale, afin de concurrencer les universités étrangères anglo-saxonnes ou asiatiques qui elles ont adopté ce modèle avec presque une décennie d’avance. En santé, le contenu est adapté aux étudiants en proposant des formats courts et concis, afin d’exposer innovations ou portraits des praticiens, voire d’unité de soins. L’intérêt est double car il permet la pédagogie tout en décuplant la diffusion de l’information via les réseaux sociaux internes des étudiants.
En radiologie interventionnelle, nous savons que l’enseignement facultaire et l’exposition des étudiants à cette surspécialité médicale de façon précoce dans leur parcours sont des déterminants clés pour le choix de cette spécialité(4).
Les sociétés savantes ont également investi dans la « social » pédagogie en communiquant, par le biais de sociétés juniors, du contenu théorique et pratique à l’international (European Trainee Forum [ETF] issue de la Cardiovascular and Interventional Radiological Society of Europe [CIRSE] ou à l’échelle nationale (Jeunes radiologues interventionnels [JuRI]), Jeunes en neuroradiologie interventionnelle [JENI] ou encore Société française d’imagerie cardiaque et vasculaire diagnostique et interventionnelle junior [SFICV junior], par exemple – liste non exhaustive). Ces réseaux sociaux sont devenus incontournables pour les séminaires et congrès médicaux qui mettent en valeur leur programme pour cibler le maximum de praticiens.
Les réseaux sociaux, un outil de lutte contre l’isolement ?
Pour le radiologue interventionnel, les réseaux sociaux sont particulièrement utiles comme outil de partage. Ils sont utilisés pour coopérer sur des techniques opératoires, partager des astuces : l’essai d’un nouveau matériel, par exemple, mais également les résultats et complications d’une intervention. Consécutives aux publications, de nombreuses réactions peuvent être suscitées allant des félicitations à la critique et générant parfois des discussions enrichissantes et parfois entre médecins d’horizons géographiques différents.
Les réseaux sociaux reposent parfois sur l’utilisation de messageries instantanées qui permettent l’échange immédiat de messages textuels, de fichiers, de photographies ou de vidéographies, dans un groupe de personnes restreint où il est attendu des réponses rapides (Groupe d’échange en radiologie interventionnelle [GuERI] utilisant la plateforme Telegram, par exemple). Elles permettent également la demande d’avis, la discussion sur le planning, le partage d’information et s’avèrent utiles dans le cadre d’une même unité de soin, mais également pour les praticiens exerçant seuls ou de manière isolée géographiquement permettant de ne pas limiter l’information et la connaissance au coût et à la distance.
Cependant, une réflexion est à porter sur le risque de cyberdépendance. En effet, les réseaux sociaux et les notifications de smartphones nourrissent l’hyperconnexion des internautes avec l’apparition d’un véritable circuit de récompense dopaminergique potentiellement vecteur d’addiction et de labilité émotionnelle(5). La quantité d’informations disponible étant illimitée, le médecin peut se sentir dépassé et se heurter à des exigences personnelles et professionnelles intenables jusqu’à ressentir un véritable « burn out »... Enfin, l’exposition à la pratique d’autres professionnels peut conduire un radiologue interventionnel à une dépréciation de l’estime de soi, voire à des sentiments de frustration de ne pas bénéficier de résultats, d’une expertise, d’un réseau ou d’un plateau technique équivalent.
Cependant, grâce à leur dématérialisation, les réseaux sociaux permettent une déconstruction des barrières de communication en permettant des échanges rapides et instantanés avec des praticiens de notoriété publique, dès lors qu’ils possèdent une identité virtuelle.
Un cadre légal et des règles de bonne conduite
Bien consciente du développement des réseaux sociaux, l’Union européenne a adopté en 2022 deux règlements européens : le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) dans une optique de régulation des réseaux sociaux. En France, le Conseil d’État est la première institution publique à proposer une analyse de ce dispositif et émet des propositions opérationnelles pour une utilisation efficace, en donnant plus de contrôle à l’utilisateur et en garantissant la protection des droits et des victimes. Le Conseil de l’Ordre national des médecins a publié en 2011 un guide de déontologie médicale sur le web et en 2018 un guide de réputation numérique dans le but de garantir la qualité de la médecine et de renforcer la qualité de la relation médecin-patient. Ces guides sont particulièrement adaptés à la radiologie interventionnelle.
Tout d’abord, le médecin est soumis aux dispositions des articles 13 et 14 du Code de déontologie médicale (R.4127-13, R.4127-14 du CSP) l’informant de la nécessité d’une prudence vis-à-vis des répercussions de ses propos auprès du public, notamment en évitant de promouvoir des thérapeutiques, procédés ou techniques non scientifiquement étayés. Il doit, par son récit, faire preuve de discernement entre l’hypothétique, la recherche et les données issues de la science. Concernant son identification, chaque médecin doit s’exprimer en son nom, voire en pseudonymat, mais sous couvert que son identité réelle puisse être recouvrée. En effet, l’article R.4127-31 du CSP précise que tout médecin qui agirait de manière à déconsidérer la profession peut répondre devant les juridictions disciplinaires même si l’acte a été commis en dehors de son exercice professionnel. Concernant sa communication, elle doit être juste, peut être teintée d’humour ou d’émotion, mais ne doit en aucun cas dénoter de la moquerie, de l’ironie blessante, de la stigmatisation sociale, de l’injure publique, voire de la diffamation. Cette assertion est particulièrement sensible dans la mesure où les réseaux sociaux ne doivent pas être sièges de tribunaux publics, lieu de règlement de compte entre centres ou spécialités. Le médecin doit également refuser toute sollicitation de patients désireux de faire partie de ses relations en ligne, la relation patients-médecins devant rester dans l’empathie et la neutralité des affects. Concernant la divulgation de récits de consultation ou d’acte interventionnel mettant en jeu les patients, le médecin est tenu de transposer les circonstances, lieux et identités des patients concernés afin qu’eux-mêmes et leur entourage n’aient pas la capacité de se reconnaître. Le cas échéant, le patient dispose de tout moyen pour aboutir à une suppression de l’information, le viol de l’anonymat d’un patient étant passible de sanction pénale.
Enfin, le Conseil national de l'Ordre des médecins précise que le financement personnel de site web ou de compte de réseaux sociaux ne peut faire mention de liens publicitaires de quelle que nature qu’ils soient et qu’il ne peut pas être hébergé par des sociétés à vocation industrielle, associative, commerciale, pharmaceutique ou autres qui pourraient compromettre son indépendance. Cependant, cet argument est à mettre en miroir avec la capacité, l’intérêt et la complexité de mise en place de financements indépendants notamment via les institutions publiques. Récemment, sous l’insufflation conjointe de l’Autorité de la concurrence et du Conseil d’État, l’interdiction générale et absolue de la publicité pour le corps médical a été abolie pour être conforme à l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui interdit les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union. Un décret du 22 décembre 2020 du Code de déontologie médicale apporte ainsi de nouvelles précisions à ce propos qui peuvent être translatées à l’usage des réseaux sociaux. L’article R.4127-13 du CSP abolit l’interdiction d’attitude publicitaire, mais l’article R.4127-19 maintient la notion d’interdiction de la pratique de la médecine comme un commerce(6). L’article R. 4127-19-1-I précise que tout médecin est libre de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice.
Les modalités de communication légales précisées par cet article sont les suivantes : être loyale, honnête et ne pas faire appel à des témoignages de tiers, avec une impossibilité de reposer sur des comparaisons avec d’autres médecins ou établissements et n’incitant pas un recours inutile à des actes de préventions et de soins(7). Le radiologue interventionnel peut, par tout moyen, communiquer au public ou à des professionnels de santé à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique, et ceci avec prudence et mesure. Enfin, le Code de déontologie médicale précise les contours des interdictions en vigueur avec l’interdiction d’un référencement payant du réseau social, une comparaison entre structure ou praticiens, toute forme d’évaluation, de notation ou de commentaire permettant une comparaison de l’acte, du tarif ou du délai de prise en charge, ainsi que l’acceptation d’un site commercial ou d’un bandeau publicitaire sur son compte de réseau social(8).
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