Environnement
Publié le 10 juil 2023Lecture 7 min
La radiologie interventionnelle et l’écologie : où en sommes-nous et surtout où allons-nous ?
Alexandre NÉROT, service de radiologie, hôpital d’Annecy
Une métaphore fréquente du problème écologique futur correspond au fait de « foncer dans un mur ». La question qui en découle domaine par domaine est : quelles actions envisager aujourd’hui sur notre activité de radiologie interventionnelle (RI) pour justement éviter le vrai impact plus tard ? Certaines causes de pollution sont cachées et leur importance peut varier selon plusieurs ordres de grandeur. Toute personne ayant mis les pieds dans un bloc opératoire aura remarqué la montagne de déchets produits par chacun des actes, ce volume ne représente pourtant que la partie émergée de l’iceberg. Enfin, si nous continuons la métaphore, s'intéresser à comment faire mieux pour l'écologie aujourd'hui sans s’intéresser à l'impact de l'écologie sur notre activité dans le futur c'est être heureux d'avoir arrêté d'appuyer sur la pédale d'accélérateur sans s'intéresser à la présence d’un frein.
Les répercussions de la radiologie interventionnelle sur l’environnement
L’écologie est un terme hybride et les répercussions de notre activité peuvent se mesurer sur plusieurs plans :
– l’impact des gaz à effet de serre, mesurés en équivalent CO2 (éqCO2), responsables du réchauffement climatique : effets secondaires arrivant avec un retard de plus de 20 ans après les émissions ;
– la consommation de ressources : eau potable (nécessaire aux productions de notre matériel et dont les produits de contraste), plastiques, métaux rares nécessitant des mines de plus en plus polluantes, matériaux non recyclables, etc. ;
– les pollutions chimiques liées aux production et déchets : extraction dans les mines, alliages non recyclables, produits souillés, produits de contraste rejetés dans la nature, etc. ;
– l’érosion de la biodiversité, déjà plus qu’entamée (environ 70 % des insectes volants ont disparu en Europe en 30 ans), mais dont le lien avec la radiologie interventionnelle (RI) est plus indirect, tout comme les points suivants : la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone stratosphérique et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.
Nos connaissances sur chacun de ces domaines sont en progression mais il existe un délai entre les travaux scientifiques pionniers et leur compréhension par le public. Ainsi, l’un des premiers rapports officiels d’importance mondiale correspond au rapport Meadows et Al : « Limits To growth » datant de 1972(1).
Depuis cette date, la RI a développé les premières angioplasties avec un ballon, les premiers stents, les premières cimentoplasties, etc. mais quels progrès ont été réalisés pour limiter nos consommations et se préparer à des périodes plus frugales ?
Ce rapport a analysé la consommation des ressources, la population, les ressources disponibles et la pollution engendrée. Il a prédit comme résultat le plus probable un « incontrôlable et soudain déclin de la population et des capacités industrielles ». Les données de 1972 prévoient ce déclin vers 2030 et les mises à jour successives (la dernière date de 2021) confirment ces résultats(2) (figure 1). Si en 1972, l’écologie pouvait consister à améliorer l’avenir de nos enfants, aujourd’hui il s’agit de nous en plus des générations futures.
Figure 1. Les pollutions cachées liées à l’activité de radiologie interventionnelle (RI).
Nous verrons, en première partie de cet article, quels leviers d’action nous disposons pour diminuer notre empreinte, devoir pratique et moral. Ceci aura pour effet secondaire bénéfique de gagner en résilience afin de préparer la décroissance (voulue ou imposée) que nous traiterons en deuxième partie.
Faire mieux : arrêter d’appuyer sur l’accélérateur
La pollution en équivalents CO2
Pour réduire notre impact environnemental, il faut aller au-delà des déchets visibles et prendre en compte le cycle de vie complet des produits. L’analyse du cycle de vie estime l’impact cumulé d’un produit depuis l’extraction des matières premières jusqu’à l’élimination en fin de vie, en passant par la production et l’utilisation.
Dans un service de radiologie interventionnelle, la plus grande source d’émissions de gaz à effet de serre est invisible, il s’agit de la climatisation (49 % en éqCO2), suivie par la production et le transport d’articles chirurgicaux jetables (40 % en éqCO2), la charge électrique des équipements et de l’éclairage (7 %), le transport du personnel (2 %) et l’élimination des déchets (2 %) (figure 2)(4).
Figure 2. Prévisions de l’évolution de l’environnement, de l’économie et de la population tirées d’une mise à jour de 2014(3).
Cette étude ne prend pas en compte le transport des patients, pourtant responsable de plus de 3 fois les émissions liées à l’électricité d’après le rapport pour « Décarboner la santé » du Shift Project(5).
L’une des plus grandes économies consiste à réduire les taux de renouvellement de l’air des salles d’opération lorsqu’elles sont inoccupées (et donc permettre leur démarrage facilement en cas de besoin). D’autres stratégies simples et peu coûteuses sont efficaces comme éteindre les lumières et l’informatique, garder les portes fermées, recycler, se déplacer à vélo.
Ces stratégies réduisent non seulement notre impact, mais aussi impliquent le personnel et renforcent l’idée que l’énergie et l’eau sont des ressources à économiser(6).
Le matériel
Si le matériel ne représente pas la majorité des GES (40 % + 2 %), il participe en plus à la consommation des ressources et à une pollution supplémentaire lors de son incinération.
Des actions sont possibles en local et rapidement : en RI, 76 %(7) des 8 kg(8) de déchets produits par une opération moyenne sont recyclables. Ceci concorde avec le fait que 80 % des déchets totaux sont représentés par les emballages(9).
Parmi les moyens d’action :
– créer des packs d’équipement efficaces pour éviter les emballages uniques ;
– informer, sachant que dans près de 50 % des cas, le premier frein au recyclage est l’absence d’information(10).
Chercher à consommer moins puis recycler ce qui a été utilisé sont deux actions synergiques. Nous pouvons citer le cas d’un hôpital qui en proposant le recyclage de ses poubelles a également diminué de 50 % la quantité de poubelles totale(11).
L’imagerie
Spécifique à notre spécialité, nous devons intégrer l’impact de nos machines. L’ensemble des techniques d’imagerie serait responsable à lui seul de près de 1 % des GES d’un pays développé. Rapporté par examen et en cycle de vie, ce coût diffère entre chaque technique(12) :
– une échographie : 1 kg d’équivalent CO2 ;
– un scanner : 6 kg d’équivalent CO2 ;
– une IRM : 20 kg d’équivalent CO2.
Ceci s’explique par la consommation électrique des machines(13) :
– un scanner consomme environ 25 MWh/an (soit 5 foyers de 4 personnes), dont seulement 13 % correspondent au temps d’activité (rayonnement), le reste provient de son état de veille et du refroidissement ;
– une IRM de 1,5 T consomme environ 100 MWh/an, dont 60 % en activité. Le reste provient du refroidissement permanent des salles.
Préparer la décroissance : avoir un plan B
Dans la plupart des pays, le secteur de la santé est le premier secteur de services en termes d’empreinte carbone et sa taille est comparable à celle du secteur alimentaire (environ 10 % des GES)(11). Les empreintes carbone exclusivement de la santé des pays comme la Chine et les États-Unis se classeraient respectivement à la 10e et à la 14e place.
La santé par sa pollution participe aux risques liés aux problèmes de pollution et de réchauffement climatique.
Ce cercle vicieux pèse une double problématique sur le monde de la santé qui devra dans un futur proche faire plus avec moins.
La raréfaction en pétrole (le pic pétrolier est déjà derrière nous) associée à la raréfaction des métaux dans les mines auront pour conséquence de diminuer l’accès aux ressources, les échanges internationaux et de bloquer les lignes de production actuelles. Plus que l’adaptation a posteriori des pratiques, avoir un plan B correspond à l’anticipation des problématiques de demain : obligatoire car dans un monde en décroissance les biens médicaux ne seront plus guidés uniquement par leur coût mais plutôt par leur simple disponibilité. Pour cette raison, nous pensons que nous ne pourrons plus pratiquer la même médecine à court terme.
Le problème matériel
Les pénuries croissantes sont actuellement de causes multiples mais nous font apercevoir ce qu’un manque généralisé pourrait provoquer par la suite.
Les pays moyennement à faiblement développés gèrent ces pénuries de façon pragmatique : le ré-usage(15). Le réemploi de matériel à usage unique n’est pas autorisé par la loi européenne mais au-delà du problème juridique et du risque infectieux évidents(16), cette méthode se fait sans garantie qualitative, le matériel comme les sondes n’étant pas prévu pour une réutilisation.
Nous distinguons deux cas séparés de réusage non prévu et qui nécessitent une adaptation des matériaux pour supporter l’autoclave ou une désinfection chimique :
– le matériel propre et non usagé, mais déstérilisé par erreur (arrivant dans 75 % des procédures vasculaires(17) ;
– le matériel usagé, possédant un statut single-use.
L’innovation frugale
Actuellement 90 % des produits et services conçus ne profitent qu’à 10 % de la population mondiale(18). Pourtant, les problématiques des pays en voie de développement peuvent inspirer des alternatives, probablement plus simples et efficaces. Le low-tech remplacera-t-il l’hypertechnologie ?
Bien que la sobriété ne fasse pas partie du cahier des charges de l’innovation « frugale », celle-ci vise à trouver des conceptions utilisant moins de ressources, tout en atteignant des performances comparables, évitant les caractéristiques superflues et se concentrant sur les besoins essentiels(19,20).
L’exemple du FAIR-Embo s’apparente à une innovation frugale, basée sur l’usage de fils de suture comme matériel d’embolisation pour permettre la RI dans les pays émergents(21).
Cette alternative sûre, disponible et bon marché devra inspirer la recherche d’alternatives aux autres techniques de RI. De même, nos machines et le business plan qui leur est lié pourraient nécessiter une adaptation : 40 % des équipements dans les pays en développement ne sont pas en usage (contre 1 % dans les pays développés). Les causes les plus fréquentes de mise hors service sont le manque de pièces de rechange, de consommables et d’accessoires nécessaires(22).
Au-delà du fait de renforcer l’accès médical actuel dans les pays faiblement développés, de nouvelles technologies plus robustes, conçues spécifiquement pour les contextes à faibles ressources, participeront à notre résilience future : bientôt lors d’une panne du scanner, la pièce ne pourra pas provenir de l’autre bout du monde en urgence par avion.
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