Focus
Publié le 12 déc 2023Lecture 5 min
Pratiques en thermoablation du rachis : revue systématique de la littérature
Julien GARNON, service d’imagerie interventionnelle, CHU de Strasbourg
L’ablation thermique au niveau du rachis est pratiquée depuis plus de 20 ans. Le traitement antalgique des métastases douloureuses résistantes à la radiothérapie était l’indication initiale principale de ce type de traitement. Compte tenu de son efficacité dans d’autres organes comme le foie et le poumon, la radiofréquence monopolaire était la modalité d’ablation la plus rapportée dans la littérature pour les premières ablations osseuses, y compris au niveau du rachis. D’autres modalités comme la cryoablation et le micro-ondes ont été progressivement intégrées comme alternative à la radiofréquence dans plusieurs organes, dont l’os et notamment le rachis. Par ailleurs, certaines machines utilisant la radiofréquence bipolaire ont été développée plus spécifiquement pour le rachis avec comme objectifs de diminuer les risques d’atteinte thermique de la moëlle épinière ou de la queue de cheval, tout en optimisant l’ablation à proximité du mur postérieur. Parallèlement, les indications de traitement se sont également élargies à la prévention des complications des métastases osseuses (skeletal related events) et au contrôle tumoral local dans certaines maladies oligométastatiques/oligoprogressives. Le but de cet article est de refléter l’évolution des pratiques en ablation thermique rachidienne à travers une revue de la littérature.
Matériels et méthodes
Une revue de la littérature médicale anglophone a été effectuée sur les bases de données Pubmed et Medline sur la période 2002-2021 en utilisant les mots clés « spine AND ablation » et « bone metastases AND ablation ».
Sélection des articles
Les critères d’inclusion pour cette revue étaient les suivants :
– étude prospective ou rétrospective ; incluant au minimum 4 tumeurs rachidiennes (sacrum compris) traitées ;
– par ablation thermique percutanée (cryoablation micro-ondes, radiofréquence, laser) ;
– sans ou avec stabilisation osseuse (cimentoplastie et/ou vissage) associée ; avec possibilité d’extraire les données concernant la modalité d’ablation et le nombre de niveau(x) rachidien(s) traité(s).
Les case reports, les études animales, les revues systématiques et les métaanalyses ont été exclus.
Analyse des données
Pour chaque papier, ont été analysés (si disponible) :
– le type de publication : année de publication et design de l’étude ;
– les caractéristiques des patients et des lésions : nombre de patients, de tumeurs et de procédures ; âge et sexe des patients, taille tumorale, localisation dans la colonne vertébrale et dans la vertèbre (corps vertébral ou arc postérieur) ;
– l’indication de traitement : traitement palliatif et/ou contrôle tumoral local ;
– les modalités du geste : type d’anesthésie, modalité de guidage, modalité d’ablation, utilisation complémentaire de mesures de protection, cimentoplastie associée.
Résultats
Après screening, 61 études ont été incluses pour analyse complète des données. Sur ces 61, 33 ont rempli les critères d’inclusion et ont donc été analysées.
Types de publications
Les études étaient rétrospectives dans 20 (60,6 %) articles et prospectives dans 4 (12,1 %). Le design de l’étude n’était pas donné pour les 9 (27,3 %) publications restantes. Ainsi, 22 (66,7 %) publications n’incluaient que des traitements au niveau du rachis et 11 (33,3 %) des traitements rachidiens et extra-rachidiens.
Caractéristiques des patients et des lésions
Un total de 1 061 tumeurs rachidiennes ont été traitées chez 784 patients. Le nombre de tumeurs traitées selon différentes périodes temporelles est représentée en figure 1. Ainsi, 217 (27,7 %) patients étaient des femmes, 210 (26,8 %) étaient des hommes et le genre n’était pas spécifié pour 357 (45,5 %) patients. L’âge moyen calculé à partir des données de 399 (50,9 %) patients était de 62,8 ans. Les histologies les plus fréquentes étaient le cancer du poumon et le cancer du sein.
Figure 1. Nombre de tumeurs traitées par périodes de temps.
Les tumeurs étaient localisées au niveau du rachis cervical pour 14 (1,3 %) lésions, du rachis dorsal pour 335 (31,6 %) lésions, du rachis lombaire pour 354 (33,4 %) lésions et du sacrum pour 128 (12,1 %) lésions. Pour 230 (21,6 %) lésions, la localisation n’était pas précisée. Les tumeurs étaient localisées dans le corps vertébral pour 518 (48,8 %) lésions, dans l’arc postérieur pour 26 (2,5 %) lésions et n’étaient pas localisables pour 517 (48,7 %) lésions.
Indication de traitement
Le traitement palliatif de la douleur était l’indication principale, rapporté pour 881 (83 %) tumeurs. Le contrôle tumoral local était rapporté pour 85 (8 %) tumeurs et la double indication (traitement palliatif et contrôle local) pour 22 (2,1 %) tumeurs. L’indication de traitement n’était pas spécifiée pour 73 (6,9 %) tumeurs. Toutes les publications rapportant le contrôle local comme objectif de traitement dataient de 2015 ou plus tard.
Modalités du geste
• Anesthésie
Au total, 372 (35,1 %) des tumeurs étaient traitées sous sédation consciente, 322 (30,3 %) sous anesthésie générale et 227 (21,4 %) sous anesthésie locale. Pour 69 (6,5 %) tumeurs, le traitement était fait sous anesthésie générale ou sédation consciente sans précision. Pour 71 (6,7 %) tumeurs, le type d’anesthésie n’était pas spécifiée.
• Modalité de guidage
L’imagerie de guidage a inclu le scanner pour 413 (38,9 %) tumeurs, la scopie pour 116 (10,9 %) tumeurs, le CBCT pour 86 (8,1 %) tumeurs, une combinaison scanner-scopie pour 58 (5,5 %) tumeurs, une combinaison scopie-IRM pour 11 (1 %) tumeurs et une combinaison scanner-IRM pour 14 (1,3 %) tumeurs. Pour 356 (33,6 %) tumeurs, le scanner ou la scopie étaient utilisées sans plus de détails et pour 7 (0,7 %) le type de guidage n’était pas précisée.
• Modalité d’ablation
L’ablation était réalisée en radiofréquence bipolaire (bRFA) pour 368 (34,7 %) tumeurs, en radiofréquence monopolaire (mRFA) pour 276 (26 %) tumeurs, en micro-ondes (MWA) pour 283 (26,7 %) tumeurs, en cryoablation (CA) pour 123 (11,6 %) tumeurs et en laser pour 11 (1 %) tumeurs. Le type de modalité d’ablation selon différentes périodes temporelles est présenté en figure 2.
Figure 2. Évolution de l’utilisation des modalités de guidage selon différentes périodes de temps.
• Mesures de protection
Six différentes méthodes de thermoprotection ont été rapportées dans la littérature : 1) hydro- ou carbodissection des structures neurologiques ; 2) mesure de la température locale avec un thermocouple ; 3) monitoring neurophysiologique ; 4) examen neurologique perprocédure en cas de traitement sous sédation ou sous anesthésie locale ; 5) monitoring de l’iceball en IRM et 6) thermométrie IRM. Les techniques pouvaient être associées, la combinaison d’une dissection et de la mesure de la température locale étant l’association la plus fréquente. Cinq des 6 études avaient, comme le contrôle local, pour objectif de rapporter l’utilisation d’au moins une mesure de thermoprotection.
Sur 912 tumeurs dont les données étaient disponibles, 710 (77,9 %) étaient ablatées sans mesure de thermoprotection et 202 (22,1 %) avec au moins une technique de thermoprotection (figure 3). Sur ces 202 tumeurs, 137 (67,8 %) étaient traitées avec une seule technique de protection, 64 (31,7 %) avec 2 techniques et 1 (0,5 %) avec 3 techniques. L’utilisation des techniques de thermoprotection selon différentes périodes temporelles est présentée en figure 4.
Figure 3. Types de techniques de thermoprotection sur les 202 tumeurs traitées avec protection.
Figure 4. Nombre de cas traités avec thermoprotection selon différentes périodes temporelles.
• Injection de ciment
Une cimentoplastie postablation a été réalisée pour 736 des 875 (84,1 %) tumeurs traitées, selon les données disponibles.
Discussion
Cette revue de la littérature montre une augmentation constante du nombre de tumeurs rachidiennes traitées par ablation thermique depuis 2002. Environ la moitié des tumeurs traitées l’ont été après 2015. Si les traitements sont principalement réalisés à visée palliative, le contrôle tumoral local semble être une indication croissante et permet notamment d’intégrer l’ablation à l’algorithme de traitement des patients oligométastatiques ou oligoprogressifs.
Sur le plan technique, cette revue souligne l’importance d’un support anesthésique afin de permettre une analgésie per- et postprocédure adaptée. L’imagerie de guidage semble varier selon les pratiques des opérateurs. Il faut rappeler que la combinaison d’une imagerie scopique temps réel et d’une imagerie 3D (par combinaison scannerscopie ou CBCT) permet le guidage le plus précis. Le type d’ablation a largement évolué au cours des deux dernières décennies. Si la radiofréquence monopolaire était initialement utilisée, les deux modalités qui voient leurs utilisations augmenter rapidement sont la radiofréquence bipolaire et le microondes, qui permettent une ablation rapide mais dont les protocoles d’ablation ne sont pas codifiés et dont la sécurité reste à démontrer. La cryoablation est moins utilisée au niveau du rachis qu’en extra-rachidien, probablement du fait de la mauvaise visualisation de l’iceball dans le rachis et du temps nécessaire entre la fin de l’ablation et l’injection de ciment. Même si les complications sont rares, elles peuvent être potentiellement sévères avec plusieurs cas de paraplégie. La tendance est à l’utilisation de plus en plus fréquente des techniques de thermoprotection, même si elles restent encore aujourd’hui sous-utilisées. Enfin, l’injection de ciment est quasiment systématique, l’ablation exposant au risque de fracture (seule exception : traitements sur l’arc postérieur).
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