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Grand angle

Publié le 28 mar 2023Lecture 21 min

Médecine basée sur les preuves et radiologie interventionnelle oncologique - Pourquoi est-ce difficile ? Peut-on faire mieux ?

Jules GRÉGORY, Maxime RONOT, service de radiologie, hôpital Beaujon AP-HP Nord, Clichy Université Paris Cité, Centre de recherche sur l’inflammation, UMR1149, Paris

La médecine basée sur les preuves (l’Evidence-Based Medicine, EBM) correspond à l'utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures preuves scientifiques disponibles pour prendre des décisions concernant les soins de chaque patient. Elle est intrinsèquement liée à la qualité des soins, définie par l'OMS comme le degré avec lequel les soins de santé aux individus et aux populations atteignent le résultat attendu et sont conformes aux données actuelles de la science(1). Cet article a pour objectif de décrire et de discuter des particularités méthodologiques de la médecine basée sur les preuves en radiologie interventionnelle (RI) oncologique.

L'EBM ne se résume toutefois pas aux connaissances scientifiques. Elle y associe l’expertise clinique individuelle, c’est-à-dire les compétences et le jugement acquis par l’expérience et la pratique, et les préférences du patient. Trouvant ses origines philosophiques dès le IXe siècle, l’EBM est le fruit d’une construction historique complexe et a fait l'objet de débats, comme l’a montré la récente pandémie de maladie à Coronavirus. La production et l’interprétation de la preuve scientifique restent un sujet brûlant pour les chercheurs, les soignants, les patients, les autorités et les financeurs.   L’invention des essais contrôlés randomisés Une étude évaluant les effets de la streptomycine dans le traitement de la tuberculose, le Medical Research Council Streptomycin Trial(2) il y a près de 70 ans, a marqué l’avènement des essais contrôlés randomisés (ECR). La randomisation a été pensée comme une solution aux problèmes des erreurs systématiques liées à la sélection des patients et à la présence de facteurs de confusion. Sous réserve d’une randomisation de qualité, d’un suivi comparable des groupes randomisés et d’une évaluation non biaisée des critères de jugement (si besoin en aveugle), la méthodologie de l’ECR est considérée comme la référence dans la hiérarchie des méthodes pour évaluer l’effet d’un traitement. Elle permet de comparer directement un bras interventionnel dit « expérimental » (nouveau traitement, nouvelle approche, nouvelle combinaison) à un bras dit « contrôle » en minimisant et contrôlant au maximum les biais. Il est alors considéré que les différences observées entre les bras sont uniquement liées à la différence d’intervention entre eux. Ceci permet théoriquement d’approcher la causalité. Il existe ainsi plusieurs types d’ECR, utilisés pour des objectifs différents(3). Une distinction peut être faite entre les essais explicatifs, qui cherchent à évaluer si une intervention est réellement efficace chez l’humain, par exemple : un nouveau traitement ou une nouvelle indication. Dans ce cas-là, l’essai a besoin d’être réalisé dans les conditions de démonstration les plus performantes pour le traitement ; et les essais pragmatiques, qui visent à évaluer l’intérêt pratique d’un nouveau traitement déjà démontré comme efficace en comparaison à d’autres déjà existants, en mettant en balance avantages et inconvénients des différents traitements, afin d’aider à la prise de décision clinique. La formulation explicative ou pragmatique de la question de la recherche est déterminante pour le choix des patients, des critères de jugement, des modalités de traitement, de suivi et des méthodes de comparaison. Le premier ECR en radiologie interventionnelle (RI) date de 1985. Il a évalué la chimioembolisation intra-artérielle pour le traitement du carcinome hépatocellulaire(4). La spécialité a ensuite progressivement adopté cette technique d’évaluation pour de nouveaux traitements ou pour des innovations techniques. Si l’on s’intéresse toujours aux traitements du carcinome hépatocellulaire, les traitements de RI pratiqués en routine, quels que soient le stade ou le type (ablation percutanée, traitements endovasculaires), reposent sur des ECR(5). Pourtant le rapport de la RI à l’EBM peut apparaître ambivalent. On peut avancer certaines explications à cela : – d’une part les limites entre les soins et l’expérimentation ne sont pas toujours claires. Cela tient notamment dans le degré de l’innovation : à quel moment les modifications du soin courant deviennent-elles suffisamment importantes pour justifier une étude formelle et le consentement éclairé du patient à participer à une recherche ? – d’autre part, il y a l’image plus ou moins consciente du sensationnel dans notre discipline. C’est, dans une certaine mesure, l’opinion selon laquelle le statut éthique ou réglementaire est dépassé par la prouesse technique, elle-même parfois associée à un contexte clinique exceptionnel.   La notion de traitement non pharmacologique Les traitements de RI font partie de la catégorie des traitements non pharmacologiques (TNP). Ils sont définis comme toute intervention ne correspondant pas à l’administration seule d’un médicament. Les TNP sont aussi bien des interventions techniques (comme en RI ou en chirurgie) ou des interventions participatives comme la rééducation ou la psychothérapie. Il est intéressant d’intégrer la RI aux TNP pour considérer les problématiques méthodologiques communes pour la réalisation d’un ECR. Une première est liée à la source de financement. Alors qu’une part importante des ECR portant sur des traitements médicamenteux reçoivent un soutien financier d’un organisme à but lucratif, un grand nombre des TNP, à l’exception de certains dispositifs implantables ou thérapeutiques injectables, ne reposent que sur des financements publics ou des budgets très limités. Par ailleurs, les prérequis réglementaires des TNP sont moins encadrés que pour les médicaments. Pour nombre de TNP, dont les interventions de RI, il n’y a pas d’exigence propre pour la diffusion de l’intervention. Ainsi, nombre d’entre eux sont diffusés sans avoir été rigoureusement évalués. Ensuite, l’aveugle – qui est une mesure importante pour limiter le risque de biais des ECR – est relativement aisé à respecter pour les traitements médicamenteux. Il l’est généralement beaucoup moins pour les TNP, que ce soit pour le patient, le soignant ou l’évaluation du critère de jugement. Une solution alternative est celle d’un évaluateur aveugle, à condition que le critère de jugement soit adapté à cette mesure. Les TNP sont des interventions complexes, c’est-à-dire constituées de multiples composantes et étapes, souvent dépendantes les unes des autres, et qui ne sont pas simples à individualiser. Chacune peut avoir une influence sur l’efficacité et la sécurité du traitement. De ce fait, ces interventions sont difficiles à standardiser et à décrire dans les ECR, et donc à reproduire d’un essai à l’autre ou dans la pratique clinique. De plus, chaque étape d’une intervention peut souvent être réalisée de différente manière. L’intitulé d’une intervention (par exemple « chimioembolisation ») regroupe alors de fait un grand nombre de combinaisons parfois hétérogènes (figure 1). Figure 1. Représentation d’une intervention de chimioembolisation intra-artérielle hépatique illustrant la complexité d’une intervention radiologie interventionnelle (RI).   Contrairement aux traitements médicamenteux pour lequel l’effet du soignant est considéré comme secondaire, les TNP sont influencés par l’expérience du ou des soignant(s), par exemple du radiologue interventionnel, et par l’expertise du centre(6-8). Les variations entre les opérateurs et les centres peuvent interférer avec l’effet thérapeutique. Enfin, si l’intervention du TNP nécessite en elle-même une étude particulière, afin d’identifier ses dimensions essentielles qui auront une influence sur l’efficacité et la sécurité, elle ne doit pas faire oublier que cette même intervention est influencée par d’autres composantes de la prise en charge, comme la prise en charge anesthésique ou périopératoire (figure 2). Figure 2. Différentes composantes d’une intervention de radiologie interventionnelle (RI).   Ces problématiques méthodologiques exercent donc une influence majeure sur la réalisation et l’interprétation des ECR de TNP et donc de RI. Pourtant ces éléments méthodologiques reçoivent souvent peu d’attention, ce qui en fait un sujet d’intérêt à part en entière pour tout soignant impliqué dans la réalisation des traitements de RI(10).   Faut-il toujours réaliser des ECR en radiologie interventionnelle ? Une question particulièrement difficile dans l’évaluation d’une innovation de RI est de savoir si un ECR est nécessaire et, dans l’affirmative, quand celui-ci doit être réalisé. À l’instar de la chirurgie, une innovation en RI peut être définie comme « une intervention nouvelle ou modifiée qui diffère de la pratique actuellement acceptée, dont les résultats n’ont pas été décrits, et qui peut entraîner un risque pour le patient »(11). Évidemment, toutes les innovations ne se valent pas, et une taxonomie à trois niveaux de l’innovation dans les soins interventionnels a été proposée. Elle va de la simple modification d’un outil (par exemple, un microcathéter) à la révolution des équipements (par exemple, les « stents retrievers » pour la thrombectomie artérielle d’un accident vasculaire cérébral en urgence), en passant par la révolution de la science (par exemple, le principe d’asepsie)(12). L’adoption d’une innovation dans la pratique courante peut être définie par l’augmentation du nombre total de radiologues interventionnels pratiquant l’intervention au fil du temps, évolution qui continuera jusqu’à ce qu’elle soit adoptée, ou rejetée par la communauté. D’un point de vue conceptuel, il y a peu d’arguments contre la réalisation d’ECR au début du développement d’une innovation, bien qu’une évaluation supplémentaire puisse être appropriée. Pour une nouvelle intervention, il peut toutefois être difficile de décider quand passer d’un stade exploratoire précoce de développement à une investigation formelle. Si l’on procède trop tôt, les contraintes d’un ECR peuvent entraver l’innovation(9) ; une évaluation par ECR trop précoce peut aussi conduire à l’évaluation d’une intervention dans une forme non aboutie, immature et peu standardisée, les résultats reflétant alors le stade du développement et de l’apprentissage, et non l’effet thérapeutique de l’intervention(13). À l’inverse, si l’on procède trop tard, l’innovation peut être déjà largement diffusée et adoptée entravant ainsi les conditions nécessaires pour la réalisation et l’analyse d’un essai randomisé. Le paradigme de la diffusion d’une innovation est sociologique. Wilson et coll. ont proposé un modèle d’adoption d’une innovation en chirurgie permettant d’identifier un « point de bascule » qui signifie le début du pic de diffusion de l’innovation, généralement après que les premiers : 10 à 20 % d’utilisateurs l’aient adoptée(14). C’est cette période qui est l’occasion d’une évaluation par ECR, bien que l’innovation puisse ne pas être complètement au point, car l’étape suivante est celle de l’adoption « définitive » de l’innovation par la communauté médicale du fait de l’accélération rapide du nombre d’adoptants. Après ce point ou plutôt cette période de bascule, il n’est plus possible de procéder à une évaluation formelle par ECR car l’innovation est déjà, à tort ou à raison, adoptée. Autrement dit, ce point de bascule définit la loi selon laquelle « il est toujours trop tôt (pour une évaluation rigoureuse) jusqu’à ce que, malheureusement, il soit soudainement trop tard ». Une représentation graphique peut être proposée en s’inspirant des innovations chirurgicales (figure 3). Figure 3. Courbes d’adoption d’une innovation de radiologie interventionnelle (RI). Chaque courbe hypothétique représente l’adoption d’une innovation pour une innovation donnée (adaptées de Barkun et coll.(12)).   Pour décrire et évaluer une innovation de RI, il faut pouvoir, à l’instar du développement des médicaments, réussir à individualiser les différentes étapes conduisant à l’adoption et à la mise en pratique de cette innovation. Ces étapes peuvent être définies non seulement par le développement de l’innovation, mais aussi par l’étape de l’évaluation que chacune représente. Ces caractéristiques, propres à chaque stade, sont fondées sur les éléments suivants : – Quel est le niveau de perfectionnement de la nouvelle technique ? (c’est-à-dire, y a-t-il encore une courbe d’apprentissage ?) ; – Une réglementation éthique spécifique est-elle nécessaire ? ; – Quel est le nombre de patients nécessaire ? ; – Quels sont le nombre et les caractéristiques des radiologues interventionnels qui l’utilisent ? Bien que la plupart des innovations suivent numériquement ces étapes, une technique bien développée peut également commencer à un stade plus avancé de son développement ou sauter une étape par la suite. Inversement, certaines innovations peuvent être bloquées dès le premier stade.   Comment interpréter les ECR en radiologie interventionnelle ? Pour évaluer l’utilité d’un ECR pour leurs patients, les radiologues interventionnels, comme tout soignant, se demandent : Ces conclusions sont-elles crédibles ? Comment cette recherche s’applique-telle à ma pratique ? La première question concerne l’intégrité scientifique de la recherche elle-même – dans quelle mesure une erreur systématique est minimisée dans l’ECR ? – c’est sa validité interne. La seconde s’applique à la généralisation de la recherche – dans quelle mesure les résultats de l’ECR constituent une base correcte pour la transposition à d’autres circonstances ? – c’est sa validité externe. • La validité interne d’une étude est l’exactitude de ses conclusions concernant les effets d’une intervention sur un groupe donné de patients dans la situation spécifique de l’ECR. Elle dépend à la fois de la conception et de la conduite de l’ECR. Pour qu’une étude ait une validité interne, la différence entre les traitements comparés doit être la seule source des différences de résultats. Une étude peut manquer de validité interne si les différences de résultats sont dues à d'autres facteurs que la différence entre les traitements comparés. Ces facteurs de confusion peuvent correspondre à une distribution inégale des caractéristiques des patients influençant le pronostic, à des différences dans l’exécution de l’intervention testée, ou à une mesure incohérente des critères de jugement. Ce manque de contrôle crée un biais qui empêche le clinicien de croire que ce que conclut l’étude s’approche de la réalité de l’effet. C’est cet enjeu qui est au cœur de la validité interne. • La validité externe concerne l’applicabilité des conclusions d’une étude au monde réel, en dehors des conditions imposées par l’essai. Il s’agit du caractère généralisable de la recherche, de la façon dont un soignant peut se fier aux conclusions d’une recherche pour les appliquer aux patients dans sa pratique. Parfois appelée « application de la recherche », elle dépend non seulement de la conception et de la conduite de l’essai, mais aussi de la manière dont il est rapporté et perçu par la communauté. Les études qui manquent de validité interne ne produisent pas des preuves fiables et ne peuvent donc pas être généralisées ; elles n’ont donc pas de validité externe. Mais les études à validité interne peuvent manquer de validité externe si elles laissent les soignants incapables de juger s’ils peuvent utiliser les connaissances produites par l’essai ou si les conditions de l’essai ont été définies d’une telle manière qu’elles rendent ces résultats non applicables à la pratique en dehors de l’essai (« Cela ne correspond pas à ma pratique »). Le manque de validité externe est considéré comme l’une des principales raisons pour lesquelles les soignants n’utilisent souvent pas les traitements que la recherche montre pourtant comme étant supérieurs(15) ou, au contraire, continuent d’utiliser des traitements n’ayant pas démontré leur bénéfice. • De nombreux biais compromettent la validité externe et la validité interne des ECR. Un biais correspond à une erreur systématique qui compromet la capacité d’une étude à se rapprocher de la vérité. Le dictionnaire Oxford English Dictionary définit le biais comme une « prédisposition à » ou un « préjugé ». Ainsi, le risque de biais dans un ECR peut être défini comme le risque de prédisposition en faveur du groupe de l’intervention testée ou, au contraire, en faveur du groupe témoin. Les biais dans les ECR conduisent à sur- ou sous-estimer la véritable efficacité ou les effets indésirables d’une intervention(16). Les biais peuvent survenir lors de la mise en place et la réalisation de l’essai, lors de l’interprétation de ses résultats ou bien après la fin de l’essai. Ils peuvent être favorisés par des facteurs extérieurs à l’essai. Ils peuvent être inconscients, délibérés, voire inévitables, mais il ne s’agit pas d’une variabilité due au hasard. Les biais prennent de nombreuses formes, dont certaines sont subtiles et difficiles à détecter sans un examen attentif. Une prise de conscience des diverses formes de biais peut aider le soignant à juger de la validité interne et externe d’une étude. Ce n’est qu’en sachant reconnaître et évaluer les biais que les radiologues interventionnels pourront appliquer de manière fiable les résultats de la recherche à leur pratique. Ainsi, si l’on prend l’exemple des ECR évaluant la chimioembolisation intraartérielle pour le traitement du carcinome hépatocellulaire, près de deux tiers n’ont donné lieu à aucun résultat publié, que ce soit sur la plateforme du registre ou dans une revue scientifique(17). La sous-déclaration des résultats des essais est une cause majeure de gaspillage de la recherche médicale, car les résultats de recherche inaccessibles n’aident ni les patients ni les cliniciens. S’agissant toujours des ECR portant sur la chimioembolisation, la moitié d’entre eux n’étaient pas enregistrés sur un registre en ligne, et lorsqu’ils l’étaient, un tiers d’entre eux présentaient des discordances importantes entre les critères de jugements principaux enregistrés et publiés, avec pour 7 % un biais de mention sélectif favorisant les résultats de l’ECR(18). Enfin, comme dans nombre de spécialités, en particulier techniques, la « nouveauté » est facilement à la mode. Les radiologues interventionnels, qu’ils soient soignants ou soignants-chercheurs, ressentent cette incessante nécessité d’innover, non seulement pour le bien de leurs patients, pour repousser les limites du soin, mais aussi par défi, voire possiblement pour conserver ou améliorer leur image.   Comment évaluer la qualité d’un ECR ? La notion de « qualité » d’une étude n’est pas bien définie mais se rapporte à la mesure dans laquelle sa conception, sa conduite, son analyse et sa présentation sont appropriées pour répondre à sa question de recherche. De nombreux outils permettent d’évaluer la qualité des essais randomisés, notamment des échelles (qui notent les essais) et des checklists (qui évaluent les essais sans produire de score). En 2005, la collaboration Cochrane a produit un outil dédié à l’évaluation des ECR, la « risk of bias tool » largement diffusé et adopté par la communauté des chercheurs(19), qui a remplacé la notion d’évaluation de la qualité des ECR par celle de l’évaluation du risque de biais. Cette distinction importante vient de fait que la qualité peut inclure des caractéristiques de l’étude (comme le calcul de la taille de l’échantillon) qui ne sont pas intrinsèquement liées à un biais dans les résultats de l’étude. La « risk of bias tool » prend en compte les biais survenant à différentes étapes d’un essai (appelés domaines de biais), qui ont été choisis sur la base de preuves empiriques et de considérations théoriques. Une nouvelle version a été produite en 2019, la « risk of bias tool 2 », qui fournit un cadre pour évaluer le risque de biais dans une seule estimation de l’effet de l’intervention rapporté par un essai randomisé. Elle est structurée en cinq domaines de biais : – du processus de randomisation ; – des déviations par rapport aux interventions prévues ; – des données manquantes pour les critères de jugement ; – de la mesure du critère de jugement ; – de la sélection du critère de jugement rapporté. Chaque dimension comprend différentes questions conduisant à des jugements de « faible risque de biais », « quelques préoccupations » ou « risque élevé de biais ». L’objectif final de cet outil est d’obtenir un jugement global du risque de biais de l’ECR étudié, afin de stratifier les ECR en particulier lors d’une synthèse quantitative des résultats que sont les métaanalyses. Ainsi pour évaluer les biais associés au ECR et leur influence sur la validité interne et externe, les radiologues interventionnels ont besoin d’informations sur le processus de randomisation, la réalisation des interventions, la présence et la gestion des données manquantes pour les critères de jugement, la mesure et la sélection du critère de jugement rapporté. Ils doivent prendre également connaissance des conflits d’intérêts. Le besoin d’information des radiologues interventionnels n’est pas différent de celui des autres spécialités impliquées dans des ECR. Ce qui est différent, réside dans les particularités liées aux interventions complexes réalisées, et au comparateur tantôt chirurgical tantôt médical, à la difficulté de l’aveugle, au caractère multi-étapes et souvent multi-disciplinaire des interventions, à la difficulté de standardiser les interventions et de randomiser les patients. Le radiologue interventionnel planifiant un ECR fait face aux problématiques inévitables relatives à la sécurité des patients, à la faisabilité, au coût et au choix stratégique des interventions à évaluer par ECR du fait d’un environnement en continuelle mutation, en particulier en oncologie.   Mettre les résultats des ECR en perspective Si l’on revient à la conception de l’EBM, un des changements notables de ces décennies, en particulier dans le domaine de l’oncologie, est le développement d’un important arsenal thérapeutique. Les cliniciens peuvent et doivent alors choisir le traitement le mieux adapté à leur patient. Ces traitements évalués par des ECR indépendants permettent d’obtenir une estimation de l’effet thérapeutique dans chaque essai. Or, les estimations de l’effet du traitement varient d’un essai à l’autre. Il est donc nécessaire de synthétiser les résultats de l’ensemble de ces essais afin d’obtenir une estimation la moins biaisée possible de l’effet thérapeutique. Ce besoin de synthèse est actuellement renforcé par la croissance des données médicales. En 2010, 75 nouveaux ECR étaient publiés chaque jour, avec comme conséquence estimée la nécessité pour un médecin de lire 17 articles/j pour être à jour dans sa discipline(21), tâche pour le moins difficilement accessible. Un changement de paradigme a consisté à examiner l’ensemble des essais randomisés s’étant intéressé à la même question clinique. Ainsi, Archibald Leman Cochrane, épidémiologiste anglais, a attiré l’attention de la communauté scientifique sur la nécessité de disposer de résumés, régulièrement mis a jour, rapportant l’efficacité des interventions médicales(20). Les revues systématiques et les métaanalyses, par leur approche scientifique rigoureuse, permettent de répondre à cette nécessité de synthétiser les connaissances disponibles. Dans le domaine de la RI oncologique, nombre de pratiques reposent sur des métaanalyses, y compris en comparaison avec d’autres traitements non pharmacologiques. Là encore si l’on prend l’exemple du carcinome hépatocellulaire, l’intégration de la chimioembolisation dans les recommandations internationales de prise en charge du carcinome hépatocellulaire ne s’est faite qu’après synthèse de l’évidence(24). S’agissant de l’ablation percutanée par radiofréquence, il existe plus de 20 métaanalyses la comparant à la résection chirurgicale.   Perspectives en RI : comment faire mieux ? Les ECR et leur synthèse constituent certes la référence pour évaluer l’efficacité et la sécurité d’une intervention médicamenteuse. Néanmoins, il est désormais bien établi qu’ils ne peuvent répondre à tous les besoins. Les limites des ECR sont liées aux conditions strictes de réalisation de l’intervention, ne correspondant pas à la réalité du traitement des patients ; la durée de suivi, souvent restreinte, empêche de mesurer les résultats sur la santé à long terme ; et la faible diversité de la population tend à sous-représenter certaines populations de patients.   Améliorer la culture de l’EBM en radiologie interventionnelle Le rapport de certains radiologues interventionnels à l’EBM peut apparaître ambivalent. Cela tient à de nombreux éléments liés à la culture scientifique individuelle, au rapport entre science et technique, à la hiérarchie faite entre l’expérience personnelle (considérée comme plus réelle) et les productions scientifiques, à la volonté de défendre et de promouvoir notre spécialité dans un environnement considéré comme médicalement concurrentiel, à la promotion plus ou moins consciente de la prouesse technique. La communauté radiologique interventionnelle a fait beaucoup de progrès dans la formation à l’EBM et son intégration dans la réflexion médicale. Ces progrès doivent être poursuivis et renforcés.   Les études observationnelles sont importantes en RI C’est pour cela que les études observationnelles ont toujours joué un rôle important dans la production de la preuve scientifique(25). Ces études observationnelles sont caractérisées par l’absence d’intervention directe. Au lieu de cela, la relation entre une exposition et une variable de la maladie est évaluée de manière rétrospective ou prospective. Ces études présentent bien entendu leurs propres limites, principalement liées à l’incapacité ou à la difficulté de contrôler les facteurs de confusion. Ainsi, les données autodéclarées par les patients, la sélection de la population de patients recrutés, les perdus de vue dans les études rétrospectives peuvent en effet introduire des biais. Parmi les méthodes d’études observationnelles, les études issues de base de données de registre dites de « vie réelle » ou de « vraie vie » apportent des informations complémentaires aux ECR, en particulier pour les effets indésirables, à condition qu’elles soient bien conçues et contrôlées(26). À cette fin, les études issues de registres doivent être conçues avec la même rigueur que les ECR : critères de jugements précis, critères d’inclusion et d’exclusion, et périodes bien définies. Le risque élevé de biais de sélection et d’attrition doit être pris en compte dans la conception de l’étude et les résultats doivent être interprétés avec précaution, car ce type d’étude ne peut établir aussi solidement que les ECR si les résultats observés le sont du fait du hasard ou d’un effet réel. Quand bien même les registres fournissent une évaluation réaliste d’une intervention en pratique, les études basées sur des registres nécessitent des analyses complexes et une interprétation minutieuse. Le choix des traitements observés dans la pratique quotidienne est influencé par les caractéristiques du patient (par exemple : la gravité de la maladie, les traitements antérieurs, les comorbidités), du clinicien (expérience, centre de pratique), et les conditions de couverture par l’Assurance maladie ou les recommandations nationales. Tous ces éléments peuvent influencer les résultats d’intérêt. Les biais de sélection, également appelés prescription sélective et confusion par l’indication, peuvent conduire à ce que les patients les plus malades soient traités avec des traitements plus récents, et lorsque ces patients ont de moins bons résultats en raison de leur maladie sous-jacente, cela peut être interprété à tort comme un effet du traitement. Comme toute recherche clinique de qualité, il est essentiel de comprendre comment les patients sont traités, si les traitements et les résultats d’intérêt sont enregistrés de manière précise et fiable pour tous les patients, et s’il y a une répétition des perdus de vue. Il est donc important d’identifier les potentielles sources de biais, et la valeur d’un registre qui peut être renforcée en fournissant une évaluation quantitative de la mesure dans laquelle les biais ont pu affecter les résultats (par exemple, par des analyses de sensibilité). Ainsi, les études basées sur les registres doivent être conçues comme complémentaires des ECR et non conceptualisées selon un ordre hiérarchique. La radiologie interventionnelle (RI) a été pionnière dans le domaine des registres, en particulier grâce à l’impulsion des sociétés savantes internationales. Des registres internationaux structurés ont été mis en place : on peut notamment citer le registre de la Société européenne de RI et cardiovasculaire pour la radiothérapie interne sélective (CIRT)(27). Il existe également une initiative de la société américaine de RI qui a lancé en 2020 le métaregistre VIRTEX pour la construction de registres pour l’ensemble des spécialités de RI concernant des interventions ou des pathologies : biopsie, vertébroplastie, filtre cave, embolisation prostatite et utérine, pathologie artérielle périphérique, thrombose veineuse.   Le concept de Texbook Outcome Comme évoqué dans la première partie de cet article, les traitements de RI oncologique sont complexes : leur modélisation est difficile et leur réalisation hétérogène. C’est une des sources de critiques émises notamment par d’autres spécialistes plus habitués au traitements pharmacologiques, et possiblement en partie responsable de l’image, analogue à celle de la chirurgie dominée pendant des décennies par des opinions d’experts (« écoles »), d’une discipline ne reposant pas sur les preuves. S’appuyant sur l’exemple des traitements du carcinome hépatocellulaire, nous avons vu que ce n’était pas le cas. Pour autant, la poursuite de l’effort de standardisation de nos interventions, en recherche et pratique clinique, est une étape fondamentale dans le développement de notre discipline. On peut citer comme exemple le développement d’un outil de standardisation, Textbook Outcome pour la radiothérapie interne sélective(28). Cet outil de mesure composite « tout ou rien » est un indicateur complet, combinant tous les indicateurs pertinents avant, pendant et après l’intervention. C’est un moyen simple d’identifier l’intervention qui peut influencer le résultat d’un patient traité. Pour les soignants, il fournit des informations sur la façon dont le traitement est effectué et peut donc guider l’amélioration de la qualité. Pour les patients, il peut représenter leurs chances d’obtenir le résultat le plus favorable dans un centre spécifique. Pour les parties prenantes, il peut être un indicateur significatif de la confiance dans les traitements non pharmacologiques innovants et être d’une grande aide dans le processus de certification de la qualité. Pour les chercheurs, il renforce la cohérence entre les études, garantissant que les interventions réalisées sous le label radiothérapie interne sélective sont comparables.

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