publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Polémique

Publié le 03 oct 2022Lecture 6 min

Charles Dotter et la naissance des thérapies guidées par imagerie

Léo MIGNOT, CED UMR 5116, Université de Bordeaux

Apparue dans les années 1960 dans le domaine vasculaire, la radiologie interventionnelle a progressivement connu une diversification de ses champs d’application, notamment en oncologie depuis la fin des années 1990. Elle est ainsi utilisée dans la lutte contre le cancer, tant dans son versant diagnostique (biopsie) qu’avec le développement d’actes à but thérapeutique (destruction de tumeurs par radiofréquence ou micro-ondes, chimioembolisation, etc.). Aujourd’hui intégrée dans le traitement de nombreuses affections, la radiologie interventionnelle est née sous l’impulsion de Charles Dotter qui fait figure de père fondateur de la spécialité. En détournant le cathéter de son usage initial et en s’en saisissant comme d’un potentiel outil thérapeutique, Charles Dotter est à l’origine de l’angioplastie transluminale percutanée (ATP), qui marque la naissance des thérapies guidées par imagerie. Bien qu’innovante, la technique a connu une diffusion et une reconnaissance lentes et tardives qui invitent à se replonger dans les premières heures de son développement.

Communément présenté comme le « père de l’interventionnel », Charles Theodore Dotter est un radiologue américain né à Boston le 14 juin 1920. S’il consacre les premières années de sa carrière au cathétérisme diagnostique, c’est davantage pour sa contribution au développement d’une nouvelle technique médicale, l’angioplastie transluminale percutanée (ATP), qu’il est aujourd’hui considéré comme l’une des figures emblématiques de la discipline. En effet, sa création constitue l’acte de naissance des thérapies guidées par imagerie et de la radiologie interventionnelle.   ▸ Le détournement du cathéter   L’histoire de la technique débute en 1963, avec ce qui aurait pu ne rester qu’une mésaventure lors de la prise en charge d’une patiente atteinte d’une sténose de l’artère rénale(1,2). Alors que Dotter cherche à réaliser un aortogramme abdominal afin de visualiser l’affection par imagerie, il passe par mégarde le cathéter utilisé pour l’intervention à travers l’occlusion. Le chemin créé par le passage de l’instrument débouchant le vaisseau, suffit à rétablir la circulation sanguine dans la zone. C’est donc par inadvertance, alors même qu’il cherche à réaliser un cliché diagnostique, que le radiologue réalise pour la première fois un acte thérapeutique. Dotter ne manque pas de réaliser le potentiel de cet « accident » et envisage de systématiser le recours au cathétérisme pour le traitement de telles affections. Rapidement, il imagine de nouvelles utilisations possibles du cathéter, en dehors de ses limites habituelles d’emploi. En juin 1963, il présente ses réflexions lors du Czechoslovak Radiological Congress et affirme que « le cathéter angiographique peut être plus qu’un simple outil passif destiné à la seule observation diagnostique ; utilisé avec un peu d’imagination, il peut devenir un « important instrument chirurgical »(3). Il s’agit là d’une innovation par catachrèse, une situation dans laquelle on utilise un instrument « en lui conférant un autre usage que celui auquel il est initialement destiné »(4). Auparavant utilisé dans une perspective diagnostique, le cathéter est ici mobilisé comme un outil permettant d’agir sur la structure des vaisseaux.   ▸ Les premières applications   La proposition de Dotter constitue une rupture car elle invite la radiologie à franchir la frontière du diagnostic afin de constituer une nouvelle offre thérapeutique. Dès 1964, il met ses idées en application avec l’aide de son interne, Melvin Judkins. La toute première intervention est réalisée le 16 janvier sur Laura (figure 1), une femme de 82 ans atteinte de gangrène au niveau de son pied gauche et d’ischémie du membre inférieur(5). Constatant que les différentes affections ont pour origine une sténose de l’artère fémorale superficielle, le radiologue décide de tenter une intervention. Après avoir eu recours à la technique de Seldinger pour mettre en place le matériel nécessaire, il réalise avec succès une dilatation de la sténose à l’aide d’un guide et de cathéters de différentes tailles, lui permettant ainsi d’augmenter progressivement le diamètre du matériel utilisé. Plus tard, au cours de la même année, Dotter et Judkins publient leurs résultats dans Circulation(6) et y décrivent l’utilisation du cathétérisme sous guidage des moyens d’imagerie pour le traitement des sténoses de l’artère fémorale superficielle. ▸ Une reconnaissance tardive   Bien que cette publication marque la naissance de l’ATP et des thérapies guidées par imagerie, sa diffusion auprès de la communauté médicale a été relativement lente. Cité 51 fois durant les 14 années suivant sa parution, ce n’est qu’en 1979 que le nombre de références à l’article connaît un sursaut et atteint depuis une moyenne annuelle d’une cinquantaine de citations. Il s’agit là d’un phénomène connu en scientométrie sous le terme de sleeping beauty(7) et qui caractérise une publication ignorée sur une longue durée (période de « sommeil ») avant de recevoir soudainement de nombreuses citations. Elle est ainsi « réveillée » par un auteur (le « prince ») y faisant référence dans un autre article – ici, A. Grüntzig avec une publication en 1979 dans le New England Journal of Medicine(8). Dans le cas présent, l’étude de la production scientifique permet néanmoins de constater que ce sommeil fut relativement agité(9), ce qui laisse supposer que la période fut traversée par une controverse médicale concernant cette technique.   ▸ Les réticences initiales   En effet, malgré la publication de ses résultats, les premières tentatives de Dotter restent froidement accueillies dans le champ médical et se confrontent aux réticences de certains confrères. Lorsqu’il commence à recruter des patients, ces derniers lui sont majoritairement adressés par des médecins généralistes ou des spécialistes de médecine interne, les chirurgiens étant pour leur part fermement opposés à l’usage de la technique(5). Que ce soit parce qu’ils considéraient la pratique de l’ATP comme dangereuse ou par peur que celle-ci ne puisse à terme concurrencer leur spécialité, la plupart d’entre eux étaient peu enclins à considérer ces procédures comme un traitement valable et recommandable(10). Un patient fut, par exemple, adressé par un chirurgien ayant inscrit en gras sur le dossier la consigne « Visualize but do not try to fix »(2) (figure 2). En ordonnant de « visualiser », de poser le diagnostic, tout en interdisant de tenter un traitement, le chirurgien intimait à Dotter de rester à « sa place », tentant ainsi de maintenir le radiologue dans son titre d’« imageur » et augurant des luttes de territoire à venir. ▸ Une médiatisation à double tranchant   La stratégie médiatique déployée par Dotter s’avère par ailleurs être à double tranchant. Afin de promouvoir ses procédures, ce dernier s’engage rapidement dans une campagne de communication mobilisant l’ensemble des supports de presse accessibles. Il fait l’objet d’articles dans des journaux locaux et se soumet à des entretiens radiodiffusés et télévisées. C’est cet activisme qui lui permet initialement de faire connaître son travail et de recruter des patients intrigués par ces nouvelles techniques(5). L’afflux de patients se voit d’ailleurs renforcé par la publication d’un photoreportage portant sur Dotter et l’angioplastie dans le magazine Life, un hebdomadaire américain d’audience nationale(11). Cette médiatisation croissante s’accompagne toutefois d’un revers non négligeable : elle a pour partie contribué à renforcer les réticences des autres spécialités et a parfois propagé une image inquiétante du personnage et de ses méthodes auprès du grand public. Le reportage publié dans Life constitue à ce titre un élément cristallisateur dans la mesure où il met en avant l’excentricité du caractère de Dotter et la dimension peu conventionnelle de ses travaux(12). De plus, les photographies utilisées en illustration sont loin de présenter Dotter à son avantage. Les portraits conservés dans l’article sont plus proches de la figure stéréotypée du savant fou que de celle – davantage respectable – du médecin au calme alcyonien. En conséquence, le radiologue se verra affublé du surnom de « crazy Charlie », dont il aura bien du mal à se défaire(2,5).   ▸ Père et mythe fondateur   Dotter n’en demeure pas moins le père fondateur de l’interventionnel et s’est vu récompenser par les médailles d’or de la Radiological Society of North America et de l’American College of Radiology. Si bien que son statut emblématique a parfois pu éclipser ses contemporains et successeurs à qui l’on doit en grande partie l’acceptation des techniques au sein du champ médical – tels que Grüntzig et bien d’autres. Dotter fait ainsi également office de mythe fondateur de la radiologie interventionnelle, en ce qu’il a fourni une figure de proue historique autour de laquelle les radiologues réalisant des gestes thérapeutiques guidés par imagerie ont pu chercher à se rassembler pour faire vivre la spécialité.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème