Publié le 07 nov 2024Lecture 5 min
SFORL | Cancer de la thyroïde : que faire en cas de récidive ?
Camille JULIEN, Paris
Face à la récidive loco-régionale d’un cancer de la thyroïde, il faut se poser un certain nombre de questions avant de décider de réopérer, ce d’autant qu’il s’agira alors d’une « chirurgie en territoire hostile » du fait d’une première intervention et que le bénéfice en termes de survie globale est quasiment nul.
En premier lieu, il faut s’assurer qu’il s’agit bien d’une récidive. L’imagerie (échographie et PET-scan) du ou des ganglions suspects peut être d’interprétation difficile ; elle doit être réalisée par des spécialistes bien formés. Un ganglion peut être caché entre les muscles sterno-cléido-mastoïdien et sterno-hyoïdien ou derrière la veine innominée ou la jonction sterno-claviculaire(1). Une cytoponction échoguidée permet d’avoir une cytologie et de détecter la présence de thyroglobuline dans le liquide de rinçage ; un taux > 10 ng/mL est en faveur d’une récidive. Toutefois, la cytoponction ne doit être faite que si un traitement est envisagé en cas de positivité. Il ne faut pas hésiter à discuter son indication en RCP(2).
En effet, il faut bien évaluer le rapport bénéfice-risque d’une réintervention. Outre les difficultés d’une chirurgie en terrain hostile déjà évoquée (dissection délicate, néovascularisation, rapports anatomiques modifiés, nerf récurrent et parathyroïdes « noyés » dans le tissu cicatriciel, anxiété des patients déjà opérés, complications post-opératoires plus fréquentes), le risque de l'anesthésie (comorbidités, âge du patient) et de paralysie récurrentielle (professionnels de la voix, paralysie controlatérale) devra être pris en compte et mis en balance avec d’éventuels avantages carcinologiques et psychologiques de l’intervention. La décision doit être prise en RCP avec les spécialistes concernés (endocrinologue, le spécialiste de médecine nucléaire, oncologue, ORL, chirurgien…).
En faveur de la chirurgie : une tumeur > 8 mm, en progression, sans métastase (M0), un patient jeune, l’absence de comorbidité, un cancer réfractaire à l’iode 131, PET+, une forme agressive, une zone non opérée auparavant, l’absence de paralysie récurrentielle.
En défaveur de la chirurgie : une tumeur < 8 mm, stable, M+, un patient âgé, la présence de comorbidités, une tumeur sensible à l’iode 131, PET-négatif, une forme peu agressive (papillaire classique), une zone déjà opérée, l’existence d’une paralysie récurrentielle controlatérale ou d’autres séquelles de la chirurgie précédente(3,4).
Quelles alternatives à la chirurgie ?
En cas de renoncement à la chirurgie, la première option à envisager est de mettre en place une surveillance active. Des données rétrospectives avec un suivi de plusieurs années (2 à 4 ans) font état d’une progression entre 12,5 % et 35 %, avec de nouveaux ganglions métastatiques chez 17,5 % des patients (moins d’un patient sur cinq). 57 à 75 % des patients ont finalement été opérés ; les autres ont eu de la radiothérapie ou ont continué d’être surveillés. Dans la majorité des cas, les ganglions n’ont pas progressé de façon significative pendant 51 mois. Il n’y a pas eu de métastases à distance pendant la surveillance. L’augmentation de la thyroglobuline (≥ 0,5 ng/mL) était un marqueur du risque de progression(5-8). « On ne risque rien à commencer par une surveillance active », a estimé le Dr Dana Hartl (Gustave Roussy).
Autre possibilité, la thermoablation est une technique séduisante mais insuffisamment évaluée. Une injection de sérum physiologique autour de la lésion est pratiquée pour protéger les organes à proximité (carotide, trachée, œsophage, nerf récurrent). La thermoablation permet une réduction en volume de 50 à 95 %, dont on ne sait pas si elle est durable, ni si elle est associée à une réponse excellente (avec thyroglobuline et échographie normales). Des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer la place de cette technique comme alternative à la chirurgie(9,10).
De même, l’injection d’éthanol dans les ganglions est pratiquée par quelques équipes chez des patients soigneusement sélectionnés. Là encore, on manque de données pour juger de son réel intérêt. Bien qu’il n’existe aucune étude comparative, l’injection d’éthanol ferait disparaitre le ganglion dans 87,5 % des cas et la chirurgie dans 94,8 %, avec moins de complications post éthanol (1,2 % vs 3,5 %). La technique implique qu’on réalise une naso-fibroscopie systématique avant et après l’intervention(11,12).
Enfin une nouvelle approche fondée sur la re-différenciation par des thérapies ciblées est à l’étude. Quelques essais prospectifs de faisabilité sur de petites cohortes ont évalué leur intérêt sur les métastases à distance ; on manque de données sur leur action au niveau des récidives dans le cou.
Plusieurs thérapies ciblées sont proposées selon la mutation en cause : mutation BRAF (dabrafénib, tramétinib), mutation RAS (tramétinib). Des résultats préliminaires montrent que dans 60 à 66 % des cas, des ganglions qui ne répondaient plus à l’iode 131, le fixent à nouveau après traitement. Toutefois la réponse tumorale (RECIST) semble moins importante que la fixation de l’iode. On a 38 % réponses partielles à 6 mois (8/21 patients) pour les mutations BRAF et 20 % (2/10 patients) pour les mutations RAS (au prix d’une certaine toxicité dans les 2 cas)(13-15).
« On a besoin d’études complémentaires avant de considérer ces thérapies ciblées comme une option thérapeutique pour toutes les récidives cervicales », a estimé le Dr Dana Hartl.
Les récidives loco-régionales
En dehors des récidives ganglionnaires, il peut y avoir une récidive locale à partir du lit tumoral ou controlatérale ou exceptionnellement dans le reliquat thyroïdien.
Avant de réintervenir, comme pour les récidives ganglionnaires, il faut discuter en RCP la balance bénéfice/risque d’une nouvelle chirurgie.
Les marges sont-elles saines autour de la lésion ? Les organes à proximité sont-ils envahis ?
L’objectif est-il la guérison ou la réduction des symptômes et du risque de complications ? Sera-t-il possible de faire ensuite un traitement à l’iode ou une radiothérapie adjuvante ?
On raisonne organe par organe et en fonction de l’importance de leur envahissement. Au niveau de la trachée (mais aussi du larynx), le choix se fait entre shaving, résection anastomose ou ablation totale. Pour l’œsophage on peut avoir recours à la pose de lambeaux. Un traitement très délabrant ne se justifie pas dans la plupart des cas puisqu’il n’y a pas d’impact sur la survie globale. « Tout cela se discute en RCP avec l’imagerie et les arguments cliniques », a dit le Dr Harlt.
Enfin, une nouvelle approche est à l’étude : proposer une thérapie ciblée néoadjuvante pour pouvoir pratiquer une intervention moins mutilante ensuite : un shaving + une radiothérapie à la place d’une résection-anastomose ou d’une laryngectomie totale. La thérapie peut faire appel à des inhibiteurs sélectifs (visant une mutation et récepteur) ou des multi-kinases ciblant plusieurs récepteurs sur la tumeur(16-19).
« Nous n’en sommes qu’au stade expérimental avec de petites séries, a dit le Dr Harlt. Il faut attendre pour juger de l’intérêt réel de cette approche. »
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