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Onco-cardiologie

Publié le 18 oct 2024Lecture 5 min

Myocardite sous immunothérapie : s’intéresser à la troponine T

Kévin-Elliott KALALA SIKALY, cardiologue, Toulouse

Plus de la moitié des patients avec un cancer solide vont avoir une immunothérapie au cours de leur prise en charge oncologique. La toxicité cardiaque des immunothérapies peut se traduire par l’apparition de myocardite/de myotoxicité cardiaque potentiellement grave. Après avoir éliminé un diagnostic différentiel possible en cas d’élévation de troponine, il faudra s’intéresser plus particulièrement à la troponine T en cas de suspicion de myocardite secondaire aux inhibiteurs de point de contrôle car c’est un biomarqueur sensible d’événements CV majeurs. Explications.

Avec une mortalité historiquement élevée sur les premières séries jusqu’à 25-50 %(1), la cardiotoxicité des immunothérapies ne doit pas être négligée. L’incidence des myocardites immunomédiée est estimée entre 0,04 % et 1,14 %(2). En ce qui concerne la mécanistique, celle-ci est liée à l’infiltration de lymphocytes T au niveau du muscle cardiaque et des cardiomyocytes. Le spectre des myocardites sous « immune checkpoint inhibitors » (ICI) s’échelonne selon plusieurs grades de toxicité, du grade 1 étant la myotoxicité cardiaque asymptomatique, jusqu’au grade 4 décrivant une myocardite menaçant le pronostic vital. Il n’est cependant pas toujours aisé d’arriver à ce diagnostic, une élévation de troponine sous immunothérapie pouvant être liées à d’autres causes (anémie, sepsis, insuffisance rénale chronique, coronaropathie, arythmie, etc.) et il devient impératif pour les cardiologues de pouvoir raisonner lors d’une élévation de troponine sous immunothérapie afin de s’orienter vers le diagnostic adéquat.   Comment gérer une élévation de troponine sous immunothérapie ? Toute élévation de troponine sous immunothérapie n’est pas nécessairement une myocardite immuno-induite, l’enjeu étant de s’orienter en fonction de l’interrogatoire et des examens paracliniques. • La première étape est de s’interroger quant au délai de survenue entre le début de l’immunothérapie et l’élévation de troponine, la majorité des myocardites sous immunothérapie survenant dans les 12 premières semaines (3 premiers mois) de traitement, et beaucoup plus rarement après la 20e semaine. La présence d’une bi-immunothérapie confère un surrisque en comparaison à une mono-immunothérapie. Le prérequis de cette étape est bien sûr d’avoir dosé une troponine préthérapeutique afin de disposer d’une valeur de référence. • La deuxième étape est de situer le caractère asymptomatique ou symptomatique de l’élévation de troponine, afin de ne pas méconnaître une myosite ou un syndrome myasthénique-like associé (ptosis/ troubles de la déglutition/ dysphonie), qui s’ils sont présents, sont très évocateurs de myocardite immunomédiée (présence d’un overlap syndrom avec atteinte myosite/myasthénique-like dans 30 à 40 % des cas des myocardites sous immune checkpoint inhibitor). Cette atteinte musculaire et myasthénique-like est importante à rechercher car elle peut être responsable d’une partie de la mortalité par insuffisance respiratoire en lien avec une dysfonction diaphragmatique. Parallèlement, un dosage des CPK est nécessaire pour mesurer l’étendue d’une éventuelle atteinte myositique associée ; ainsi qu’un dosage de principe des biomarqueurs d’autres organes potentiellement cibles d’une réaction immunologique aux inhibiteurs de checkpoint (TSH, bilan hépatique notamment, voire bilan surrénalien). Il conviendra également de s’intéresser conjointement aux diagnostics différentiels possibles ayant pu concourir à cette élévation de troponine, afin de ne pas méconnaître en premier lieu une coronaropathie si les éléments cliniques et paracliniques (ECG) sont évocateurs, auquel cas la suspicion de coronaropathie devra être éliminée par méthode invasive ou non. Il est important de rappeler ici, que le développement d’une cardiopathie ischémique fait partie intégrante du spectre des complications cardiovasculaires des immunothérapies. Enfin, les autres diagnostics différentiels (élévation de troponine préexistante à l’immunothérapie due par exemple à un antécédent de traitement par anthracyclines ; inadéquation entre les apports et les besoins en cas d’arythmie ou d’anémie par exemple ; insuffisance rénale chronique, sepsis) doivent être également évoqués. D’après(3). Comment diagnostiquer une myocardite aux immunothérapies ? Le diagnostic de myotoxicité cardiaque aux immunothérapies est un enjeu majeur. Le diagnostic histologique permet un diagnostic de certitude, mais n’est pas toujours obtenu car on ne va pas toujours à la biopsie myocardique. Il est possible de s’affranchir d’une preuve histologique notamment en cas d’IRM myocardique évocatrice de myocardite associée à des signes cliniques, biologiques et/ou ECG évocateurs, en témoigne l’algorithme diagnostic des recommandations ESC 2022 de cardio-oncologie(4). D’après(4). Quel biomarqueur préférer pour le diagnostic de myocardite sous « immune checkpoint inhibitor » ou ICI ? Cette étude menée à la Pitié-Salpêtrière(5) a permis d’étudier 60 myocardites immuno-induite (prouvées histologiquement ou à l’aide de critère diagnostiques comprenant une IRM myocardique) permettant de comparer 3 biomarqueurs utilisés dans le diagnostic et le pronostic de cette entité, à savoir la troponine I, la troponine T, et les CPK. Pour chacun de ces patients, des dosages itératifs de troponine I, T, et de CPK étaient réalisés. Le suivi médian était de 354 jours (IQR 85-360 jours). La majorité des patients étaient symptomatiques à la présentation initiale (73 %) et la mortalité toute cause et celle relatée à la cardiotoxicité liée aux ICI était de 50 % et de 15 % respectivement. Dans les 72 premières heures suivant l’admission, la troponine T était la plus sensible, avec 98 % de positivité, alors que la troponine I et les CPK n’étaient positifs respectivement que dans 88 % et 75 %. Dans le suivi, la troponine T restait positive plus longtemps (le délai médian jusqu’à la première valeur de troponine négative était de 133 jours), tandis qu’à partir J30, respectivement 65 % des patients avaient déjà négativés leur troponine I et 78 % des patients avaient déjà négativés leur CPK. Fait important, il y a eu 23 événements cardiovasculaires majeurs engageant le pronostic vital avec une troponine T qui était à chaque fois positive, alors que le taux de troponine I et le taux de CPK étaient négatifs dans respectivement 11 % et 27 % des cas lors des MACE (événements cardiaques majeurs). La troponine T semblait donc mieux corrélée aux MACE (définis dans cet article par : insuffisance cardiaque, arythmies ventriculaires, blocs atrioventriculaires de haut degré ou dysfonction sinusale nécessitant la pose d’un pacemaker, défaillance musculaire respiratoire nécessitant une ventilation mécanique, et arrêt cardiaque). Les auteurs de cet article proposent un seuil pronostic de troponine T dosée dans les 72 premières heures suivant l’admission, inférieur à 32 fois la normale, en dessous duquel la probabilité de développer un évènement cardiovasculaire majeur serait faible.   Comment expliquer la différence entre la troponine T et la troponine I ? La troponine T serait le reflet d’une toxicité plus globale que la troponine I ; la troponine I semble plus spécifique du muscle cardiaque. Dans cette étude, 90 % des biopsies musculaires du deltoïde qui avaient été réalisées à titre systématique trouvaient des atteintes associées de myotoxicité périphérique, dont certaines asymptomatiques ; avec une expression plus importante de l’ARN de troponine T que d’ARN de troponine I.   En conclusion La troponine T semble être un biomarqueur plus sensible que la troponine I et que les CPK pour le diagnostic des myocardites aux immunothérapies et est mieux corrélée aux événements cardiovasculaires. Un seuil de troponine T dosée dans les 72 premières heures suivant l’admission < 32 fois la normale, semble dégager un sous-groupe de patients à faible risque d’événements cardiovasculaires.

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