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Dermatologie

Publié le 18 oct 2024Lecture 9 min

Lymphomes cutanés : ce que les dermatologues doivent savoir

Martine BAGOT, service de dermatologie, hôpital Saint-Louis (AP-HP), université Paris-Cité

Les lymphomes cutanés ont fait l'objet de plusieurs avancées récentes qui sont importantes à connaître pour les dermatologues.

LA CYTOMÉTRIE DE FLUX : UN EXAMEN CLÉ POUR LE DIAGNOSTIC DES LYMPHOMES T CUTANÉS ÉRYTHRODERMIQUES   Les érythrodermies ont des causes très diverses et leur étiologie peut être difficile à diagnostiquer. Les dermatologues voient de manière non rare des malades présentant une érythrodermie évoluant depuis plusieurs années, souvent prurigineuse, d’aggravation progressive, ne répondant pas ou peu aux traitements classiques (cortico stéroïdes, photothérapie, méthotrexate). Ces patients ont en général eu plusieurs biopsies cutanées qui n’ont montré qu’une inflammation non spécifique ou un aspect de dermatite atopique (DA). Les immunomarquages n’ont pas apporté d’élément diagnostique supplémentaire. Il faut savoir que dans 25 à 30 % des cas de syndromes de Sézary, l’examen histologique peut être non spécifique, même si les lames sont lues par un dermatopathologiste connaissant bien les lymphomes. Dans ces cas, la clé du diagnostic peut être apportée par la cytométrie de flux. La cytométrie de flux est une technique qui consiste à analyser finement les sous-populations de lymphocytes du sang. Elle doit être faite par un centre spécialisé dans la prise en charge des lymphomes cutanés, car les cibles analysées sont différentes de celles qui sont informatives pour les autres maladies hématologiques(1). L’examen comporte la numération du nombre de lymphocytes sanguins CD4+CD7- et CD4+CD26-. Si ce nombre est supérieur à 1 000 par microlitre et qu’il existe un clone T identique dans la peau et le sang, le diagnostic de Sézary est porté. Si le nombre est compris entre 250 et 1 000, on parle de pré-Sézary(2,3). Dans ces cas, cela permet de commencer des traitements spécifiques de lymphome T cutané et de soulager ces malades souffrant souvent depuis plusieurs années d’une érythrodermie et d’un prurit rebelle. KIR3DL2 est un nouveau marqueur qui permet d’identifier précisément les cellules tumorales. Ce marqueur est également très important pour faire le diagnostic de lymphome chez les malades lymphopéniques(4,5).   LES RELATIONS COMPLEXES ENTRE DA ET LYMPHOMES T CUTANÉS   Les relations entre DA et lymphomes T cutanés sont complexes. Il peut arriver qu’un patient ayant un diagnostic de DA présente en réalité un lymphome T cutané pour lequel les examens histologiques et immunohistologiques n’ont pas permis de faire le diagnostic. Il existe également des malades avec une véritable DA qui développent un lymphome T cutané. Il a été démontré que la DA est un facteur de risque de développement d’un lymphome T cutané. Enfin, les deux maladies peuvent coexister. Il peut arriver qu’un malade ayant une DA depuis l’enfance développe un lymphome T cutané qui devient la dermatose de premier plan, que le traitement induise une rémission du lymphome et que la DA revienne au premier plan. Ces situations complexes nécessitent une bonne analyse comprenant histologie, immunohistologie, cytométrie de flux et recherche de clone T dominant dans le sang et la peau. Ces examens spécialisés sont indispensables pour déterminer quel est le diagnostic à un moment précis, ce qui conditionne évidemment le traitement. Un autre élément de complexité est en effet que le dupilumab, traitement très efficace de la DA, peut favoriser le développement de lymphomes T cutanés ou l’évolution plus agressive d’un lymphome déjà présent mais non diagnostiqué(6,7). De manière trompeuse, cette aggravation peut parfois survenir après une régression initiale des lésions de lymphomes. Le développement de lymphomes T cutanés ou leur aggravation ont également été décrits après l’introduction d’un traitement par JAK-inhibiteur. Il est donc très important, en cas d’aggravation d’une DA sous ces traitements, de réévaluer le malade à la recherche d’un lymphome T cutané.   LE MOGAMULIZUMAB : UN NOUVEAU TRAITEMENT DES LYMPHOMES T CUTANÉS QUI INDUIT TRÈS FRÉQUEMMENT DES RÉACTIONS CUTANÉES   Le mogamulizumab est un anticorps monoclonal dirigé contre la molécule CCR4, qui induit la migration des lymphocytes T dans la peau. Cette nouvelle biothérapie a été approuvée pour le traitement des lymphomes T cutanés en échec ou en rechute après au moins un traitement systémique(8). Cet anticorps a révolutionné le traitement des syndromes de Sézary en induisant une diminution très rapide des cellules tumorales dans le sang et la peau, avec en parallèle une amélioration majeure des lésions cutanées et du prurit. Ce traitement entraîne également une reprogrammation du système immunitaire avec une augmentation de l’immunité antitumorale et des réponses qui peuvent être très prolongées, parfois même après arrêt du traitement(9). La contrepartie est que ce traitement peut induire des réactions auto-immunes : vitiligo, pelade, lichen, hépatites auto-immunes, myocardites, uvéites. Cependant, l’effet secondaire de loin le plus fréquent est la survenue de réactions cutanées ou rash au mogamulizumab, observée chez 25 à 30 % des malades, le plus souvent entre 3 et 5 mois après le début du traitement. Ces réactions peuvent néanmoins être observées à tout moment pendant le traitement et même après son arrêt. De manière intéressante, leur survenue est associée à une meilleure réponse au traitement et à une meilleure survie(10). Il est important pour les dermatologues de connaître ces réactions cutanées, de savoir comment les différencier d’une récidive du lymphome et comment les gérer. Cliniquement ces réactions sont très polymorphes et peuvent se présenter sous forme de macules érythémateuses, plaques érythémato-squameuses, lésions folliculaires, réactions de photosensibilité, alopécie ou érythrodermie (figure 1). Elles peuvent même être ulcérées. La localisation sur les faces latérales du visage et du cou ou sur le cuir chevelu est très évocatrice(11). Ces lésions cutanées sont le plus souvent de grade 1 ou 2. Des réactions plus sévères de type syndrome de Stevens-Johnson ou nécrolyse épidermique toxique ont été exceptionnellement rapportées. Il est très important de différencier les éruptions cutanées survenant sous mogamulizumab d’une progression du lymphome, car la prise en charge est très différente. Figure 1. Rashs induits par le mogamulizumab. A : érythrodermie. B : plaque infiltrée et ulcérée du visage.   Le diagnostic nécessite évidemment une biopsie cutanée avec examen histologique et immunohistologique. L’examen histologique peut montrer des aspects variables ressemblant à un eczéma, à un psoriasis ou à un lichen. Un aspect granulomateux est très évocateur. L’examen immunohistologique montre une prédominance de lymphocytes CD8, avec conservation de l’expression du CD7, et de nombreux macrophages, se distinguant ainsi d’un lymphome T où les lymphocytes CD4 prédominent. La recherche d’un clone T dans la peau montre une diminution ou une disparition du clone T en cas de réaction cutanée au mogamulizumab. La normalité de la cytométrie de flux est un argument supplémentaire en faveur du diagnostic de rash au mogamulizumab. Quelle conduite à tenir devant ces rashs au mogamulizumab ? S’il s’agit de réactions à type de macules localisées, on peut poursuivre le traitement par mogamulizumab et instituer un traitement par corticostéroïdes de type clobétasol. Si les lésions sont diffuses et/ou infiltrées, il faut arrêter le traitement par mogamulizumab et instituer une corticothérapie locale et souvent un traitement systémique, méthotrexate et/ou corticostéroïdes systémiques. Après la régression du rash, il est possible de reprendre le traitement uniquement si des signes cliniques du lymphome persistent ou réapparaissent. Il est recommandé de faire une prémédication par antipyrétique et antihistaminique avant les perfusions suivantes. Dans le cas de réactions sévères de type syndrome de Stevens Johnson ou syndrome de Lyell, il faut assurer une prise en charge spécialisée, et aucune reprise n’est bien sûr autorisée.   ENTITÉS DE TRÈS BON PRONOSTIC RÉCEMMENT IDENTIFIÉES   La classification internationale OMS-EORTC a récemment individualisé et reconnu deux sous-types rares de lymphomes T cutanés de très bon pronostic que les dermatologues doivent connaître(12,13).   Lymphoproliférations cutanées à cellules petites et moyennes CD4+ Les lymphoproliférations cutanées à cellules petites et moyennes CD4+ réalisent des tumeurs ou des nodules érythémateux uniques ou localisés (figure 2). L’examen anatomopathologique montre un infiltrat lymphoïde dermo-épidermique pléomorphe, c’est-à-dire constitué de lymphocytes de tailles différentes, petites et moyennes. Les immunomarquages montrent une majorité de lymphocytes CD4 et un assez grand nombre de lymphocytes B identifiés par le marquage CD20. La présence de ces lymphocytes B est liée au fait que les lymphocytes tumoraux sont des lymphocytes dits « T helper folliculaires », une sous-population de lymphocytes qui induit le recrutement de lymphocytes B. Ces lymphocytes sont identifiés par leur phénotype particulier exprimant CD4, PD-1, ICOS, CXCL13. Il peut exister un clone T dominant. Les lésions ont une évolution indolente. Elles sont parfois induites par la prise de certains médicaments, comme des anticonvulsivants, et peuvent dans ce cas régresser à l’arrêt du médicament responsable. La dénomination « lymphoprolifération » indique clairement qu’il s’agit de lésions d’évolution bénigne. Le traitement peut être des corticostéroïdes en cas de lésion de petite taille, une injection intralésionnelle de corticoïdes ou une exérèse. Figure 2. Lymphoprolifération cutanée à cellules petites et moyennes CD4+.   Il est également possible de faire une radiothérapie localisée mais avec des doses beaucoup plus faibles que les radiothérapies classiques de lymphomes cutanés, c’est-à-dire 2 x 4 Gy ou 2 x 8 Gy. Il est très important que les dermatologues connaissent cette entité afin de rassurer les malades sur le pronostic excellent et d’éviter les traitements inutilement agressifs.   Lymphoproliférations cutanées acrales CD8 Les lymphoproliférations acrales CD8 réalisent des nodules cutanés ou sous-cutanés localisés sur les hélix des oreilles, le nez ou les doigts, d’évolution indolente (figure 3). L’examen histologique montre un infiltrat lymphoïde très dense, monomorphe, superficiel et profond, sans épidermotropisme, constitué de lymphocytes de taille moyenne à grande ayant un phénotype CD3+CD8+ et exprimant les marqueurs de cytotoxicité TIA-1 et perforine. La recherche de clone met en évidence un clone T dominant très important. L’ensemble de ce tableau peut être très inquiétant pour un pathologiste non spécialisé et faire évoquer à tort une localisation cutanée de lymphome T agressif. C’est pourquoi il est important pour les dermatologues de connaître cette entité. En effet, comme l’indique là encore la dénomination « lymphoprolifération », ces lésions ont un excellent pronostic et ne nécessitent le plus souvent aucun traitement. Figure 3. Lymphoprolifération cutanée acrale CD8.   BON PRONOSTIC DES LYMPHOPROLIFÉRATIONS B CUTANÉES DE LA ZONE MARGINALE   Les lymphomes B cutanés sont plus rares que les lymphomes T puisqu’ils ne représentent que 25 % des lymphomes cutanés. Ils comprennent classiquement les lymphomes B cutanés folliculaires, les lymphomes B cuta - nés de la zone marginale et les lymphome B cutanés à grandes cellules, type membre inférieur. La classification internationale OMS-EORTC a récemment re nommé les lymphomes B de la zone marginale en lymphoproliférations B de la zone marginale dans le but de signaler là encore leur évolution très favorable(12,13). Les lymphoproliférations B cutanées de la zone marginale réalisent des tumeurs ou des nodules cutanés ou sous-cutanés, en général de petite taille et situés le plus souvent sur le tronc ou les membres (figure 4). En zone d’endémie, ils peuvent être associés à une infection par Borrelia burgdorferi. L’examen histologique montre un infiltrat polymorphe constitué de centrocytes et de lymphoplasmocytes. Les immunomarquages montrent une monotypie, c’est-à-dire l’expression d’une seule chaîne légère kappa ou lambda, caractéristique d’un lymphome B. Le bilan d’extension est négatif. Ce type de lymphome relève de la prise en charge dermatologique, les lésions étant le plus souvent traitées par dermocorticoïdes, injections intralésionnelles de corticoïdes, exérèse ou radiothérapie de faible énergie. Il peut arriver que la taille et/ou l’extension des lésions justifient une cure de rituximab. Ce traitement est très efficace dans l’immédiat, mais les récidives sont quasi constantes. Il faut donc accepter que ces lymphoproliférations de la zone marginale récidivent en des localisations cutanées variées tout en gardant un excellent pronostic. Là encore, le dermatologue contribue à éviter des traitements inutilement agressifs. Ainsi, il est très important pour le dermatologue de connaître toutes ces avancées dans le domaine des lymphomes cutanés afin d’en faire le diagnostic précis et la prise en charge la plus adaptée. Figure 4. Lymphoprolifération B cutanée de la zone marginale.

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