Dermatologie
Publié le 08 jan 2024Lecture 7 min
La tomographie par cohérence optique pour le diagnostic du carcinome basocellulaire
Elisa CINOTTI(a,b), C. DONELLI(a), J.-L. PERROT(b,c)*
Au cours des dernières années, différentes techniques d’imagerie ont été développées pour l’étude des tumeurs cutanées, de manière non invasive et en temps réel. Elles présentent de multiples avantages dans la prise en charge de différentes pathologies cutanées en permettant notamment de limiter le recours à la biopsie cutanée et en aidant au suivi thérapeutique ainsi qu’à l’identification précoce de récidives locales non détectables à l’examen clinique. Enfin, elles ont un rôle important dans la définition préopératoire des marges chirurgicales des tumeurs cutanées.
Outre la dermoscopie, l’outil d’imagerie non invasive actuellement le plus utilisé en dermatologie, nous disposons aujourd’hui d’autres techniques plus sophistiquées(1) telles que la tomographie par cohérence optique (OCT). Depuis son introduction en oph talmologie en 1991, l’OCT est devenue une technique d’imagerie importante avec des ap plications biomédicales répandues(2,3). Cette technique est similaire à l’échographie, mais elle utilise une lumière proche infrarouge (longueur d’onde de 1300 nm)(1) plutôt que des ondes acoustiques pour générer des images de tissus biologiques en coupe transversale(4).
Appliquée pour la première fois à l’imagerie de la peau en 1997 par Welzel et coll.(5), grâce à un processus appelé « interférométrie », en mesurant la lumière réfléchie ou rétrodiffusée à par tir d’un échantillon de tissu cutané, l’OCT est capable de visualiser des structures telles que l’épiderme, la jonction dermo épidermique, le derme, les follicules pileux, les glandes sudoripares et les vaisseaux sanguins(4). L’image produite est fondée sur la somme des différentes réfractions lumineuses liées aux différentes propriétés optiques des structures anatomiques de la peau(6). Avec sa haute résolution de 3 à 15 μm, due à la source lumineuse à large bande et sa profondeur de pénétration de 1 à 2 mm, en fonction des caractéristiques de diffusion et d’absorption du faisceau lumineux, l’OCT fournit une vue en coupe verticale des couches superficielles de la peau en échelle de gris(7).
DIFFÉRENTS APPAREILS D’OCT
À l’heure actuelle, plusieurs dispositifs différents utilisant le système de tomographie par cohérence optique ont été développés. Ils diffèrent prin cipalement par la résolution optique et par la capacité de voir en profondeur (tableau 1).
VivoSight®, commercialisé par Michelson Diagnostic Ltd (Royaume-Uni) en 2010, a été le premier système d’OCT dermatologique adopté dans la pratique clinique de routine(7). Il a une source lumineuse de 1305 nm, un champ de vision horizontal de 6 × 6 mm2 et une profondeur d’environ 1,5 à 2 mm. La résolution latérale est améliorée à moins de 7,5 μm en raison de plusieurs faisceaux simultanés se concentrant à différentes profondeurs dans l’échantillon. La résolution axiale est moindre, de 10 μm. En 2014, la sonde VivoSight® a été améliorée avec l’ajout d’une microcaméra couleur offrant à l’utilisateur la possibilité de voir la lésion à scanner et l’emplacement exact du plan de balayage sur la lésion(5,8).
Toujours en 2010, Agfa HealthCare (Belgique) a développé le système dermatologique OCT Skintell® avec ce qu’on appelait l’OCT haute définition (HD-OCT). Ce dispositif fournissait des images 2D avec un champ de vision de 1,8 × 1,5 mm2 et une profondeur de pénétration inférieure à 0,5 mm, fonctionnant dans le proche infrarouge à environ 1000-1700 nm(7). Cet appareil atteignait une résolution cellulaire et permettait de collecter des images en face en plus des images verticales. Les résolutions axiale et latérale étaient élevées (environ 3 μm) et fournies par un suivi de mise au point continu. Ceci a été réalisé en déplaçant l’optique de manière synchrone avec le bras de référence, ce qui a maintenu le plan de cohérence et le plan focal toujours dans la même position de profondeur. Pour cette technique, l’application d’une huile d’interface était nécessaire. Les études cliniques avec cet appareil ont donné des résultats prometteurs, mais l’appareil a été retiré du marché par le fabricant fin 2015(5,8).
Le système OCT Callisto® de Thorlabs AG (Allemagne) est un autre appareil, développé à la même époque que les deux précédents. Ce système OCT contient une source lumineuse à diode super luminescente de 930 nm avec une lumière à large bande à cohérence inférieure.
Avec une longueur de balayage latéral de 10 mm, une résolution axiale inférieure à 7 μm et une résolution latérale d’environ 8 μm à la mise au point, Callisto® fournit des images en coupe. L’appareil a une profondeur de détection d’environ 1,7 mm, mesurée à partir de la surface de la peau(7,8).
Plus récemment, une nouvelle technologie nommée tomo graphie par cohérence optique confocale à champ linéaire (Line-Field Confocal OCT, LC-OCT) a été développée par Damae Medical (France). L’appareil deepLive®, marqué CE et commercialisé à partir de 2020, couple la technologie OCT avec celle de la microscopie confocale à réflectance et présente les avantages des deux techniques. La LC-OCT permet une résolution cellulaire (1,2 μm de résolution axiale, 1,3 μm de résolution latérale) ce qui est similaire à celle de la microscopie confocale à réflectance et qui est garantie par l’ouverture numérique élevée de l’objectif du microscope(9). Comme l’OCT traditionnel, il permet d’obtenir des coupes verticales de la peau jusqu’à une profondeur non négligeable de 0,5 mm de balayage (bien que la définition de l’image commence à se dégrader au-delà de 400 μm, en raison de la résolution réduite et du bruit accru). Ses caractéristiques incluent 1,2 mm de champ de vision latéral, une acquisition de 10 images/seconde, la possibilité d’acquérir des vidéos et des images 3D de la peau. Un vidéodermoscope est aussi associé, de manière à pouvoir identifier de manière précise la cible examinée et la zone de coupe en son sein, et ce pour de la totalité l’image scannée. Les principales différences entre les quatre appareils qui viennent d’être présentées peuvent être appréciées dans le tableau 1.
Comme il est possible de le constater, la meilleure résolution, à la fois axiale et latérale actuellement disponible dans le commerce (depuis le retrait de SkinTell® en 2015) est celle de la LC-OCT. Ainsi, en utilisant la technologie de tomographie par cohérence optique, la LC-OCT permet l’acquisition d’images de la peau dans le plan vertical jusqu’à une bonne profondeur et, en ayant une grande ouverture numérique du microscope, présente une excellente résolution isotrope(9).
L’OCT POUR LE DIAGNOSTIC DU CARCINOME BASOCELLULAIRE
Les carcinomes cutanés sont les tumeurs malignes les plus courantes dans le monde occidental, et le carcinome basocellulaire (CBC) est le plus fréquent d’entre eux(10). À ce jour, le gold standard pour son diagnostic est la biopsie cutanée suivie d’une analyse histopathologique(3). Cependant, ces dernières années, les techniques d’imagerie non invasive telles que la dermoscopie, la microscopie confocale et l’OCT sont
de plus en plus utilisées pour son diagnostic(4).
L’OCT semble particulièrement adaptée à l’identification du CBC, car elle offre des sections verticales de la peau où les nodules tumoraux de CBC sont bien visibles. Une étude publiée en 2020 dans le Journal of Investigative Dermatology démontre comment l’utilisation de l’OCT augmente la capacité diagnostique du CBC par rapport au seul examen clinique(11). Le CBC peut être diagnostiqué par OCT à travers des caractéristiques morphologiques typiques(7). L’OCT permet d’identifier des nodules hyporéflétants correspondant aux nids tumoraux, un stroma péritumoral hyper-reflétant correspondant au stroma fibreux entourant la tumeur, et une bande périphérique sombre entourant les nodules tumoraux, supposée être un dépôt de mucine péritumorale(4). Les différents dispositifs d’OCT ont une résolution et une profondeur de pénétration différentes. Néanmoins, des études montrent que, malgré leurs diversités techniques, tous les systèmes OCT décrits précédemment sont capables de détecter les CBC et de les différencier de la peau normale(7,9).
Ceci est d’autant plus vrai avec le LC-OCT qui permet d’apprécier les cellules tumorales à l’intérieur des nodules avec une structure stratifiée grise, orientées le long du plan horizontal (ce qui a été appelé patron en « millefeuille ») (figures 1 et 2).
Figure 1. Carcinome basocellulaire superficiel.
A. Lésion macroscopique de CBC B. Dermoscopie 20x ; C. Dermoscopie couplée à l’appareil de tomographie par cohérence optique
confocale à champ linéaire (LC-OCT) ; D. Image verticale de LC-OCT. La dermoscopie (B) montre un patron rose homogène avec à la périphérie une pigmentation en feuilles d’érable et des globules gris et brun. La LC-OCT (D) montre dans la région de la lésion marquée par la ligne rouge dans l’image dermoscopique (C) des lobules tumoraux appendus à l’épiderme. Les nodules (D*) sont reconnaissables grâce à leur structure stratifiée grise orientée le long du plan horizontal (patron en « millefeuille ») et leurs bords nets.
Figure 2. Carcinome basocellulaire nodulaire.
A. Lésion macroscopique de CBC. B. Dermoscopie 20x ; C. dermoscopie couplée (b) à l’appareil de tomographie par cohérence optique confocale à champ linéaire (LC-OCT) ; D. Image verticale de LC-OCT. La dermoscopie (B) montre un patron rose homogène avec des vaisseaux ramifiés, des érosions, et des nids ovoïdes gris en périphérie. LC-OCT (D) montre dans la région de la lésion marquée par la ligne rouge dans l’image dermoscopique (C) des lobules tumoraux arrondis, séparés de l’épiderme. Les nodules sont reconnaissables (D*) grâce à leur structure stratifiée grise, orientée le long du plan horizontal (patron en « millefeuille »), leurs bords nets et le stroma péritumoral hyper-reflétant.
L’OCT traditionnelle ne semble pas aider de manière significative à la classification des sous-types de CBC(11) alors que la technologie du LC-OCT semble être prometteuse pour cette indication, car elle permet de déterminer si les nodules tumoraux sont connectés à l’épiderme ou pas et quelle est leur distribution dans le derme(9) (figures 1 et 2). De plus, la LCOCT est couplée à un videodermoscope qui permet de localiser en temps réel le point d’intérêt (figures 1C, 2C) et d’acquérir des images horizontales, verticales et 3D de la peau.
Figure 3. Carcinome basocellulaire superficiel.
A. Dermoscopie 20x ; B. Tomographie par cohérence optique à haute définition (HD-OCT, OCT Skintell®) ; C. Tomographie par cohérence optique conventionelle (OCT, VivoSight®). La dermoscopie (A) montre un patron rose homogène avec à la périphérie une pigmentation brun clair et des fines télangiectasies. L’HD-OCT (B, coupe horizontale) et l’OCT conventionnel (C, coupe verticale) montrent des lobules tumoraux hyporeflétants (C*) entourés par un stroma péritumoral hyper-reflétant.
* a. Service de dermatologie, hôpital universitaire de Sienne (Italie) b. Groupe d’imagerie non invasive ICNI de la Société française de dermatologie c. Service de dermatologie, hôpital universitaire de Saint-Étienne
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