Publié le 06 déc 2023Lecture 5 min
Quelle place pour l’immunothérapie en néoadjuvant pour les cancers ORL opérables ?
Diane ÉVRARD, ORL, hôpital Bichat, Paris
L’introduction de l’immunothérapie dans les carcinomes épidermoïdes des voies aérodigestives supérieures (CEVADS) avancés s’est traduite par des réponses et une tolérance auparavant jamais atteintes avec les autres traitements systémiques. Après cette révolution, les cliniciens et les chercheurs entrent désormais dans l’ère de la potentialisation.
Un des éléments clés pour optimiser les résultats de l’immunothérapie semble être la compréhension des interactions complexes entre les cellules tu morales et leur micro-environnement (TME). L’immunothérapie est maintenant bien intégrée dans la prise en charge des CEVADS récidivants inopérables et/ou métastatiques, avec le pembrolizumab en première ligne et le nivolumab en deuxième ligne. C’est pourquoi de nombreux essais cliniques cherchent à explorer l’utilisation de l’immunothérapie pour des stades moins avancés des CEVADS. Les premiers résultats de combinaison entre l’immunothérapie et la radiothérapie sont décevants. L’essai de phase III JAVELIN Head and Neck 100 a révélé que l’immunothérapie en traitement adjuvant associée à la radiochimiothérapie (RCT) n’apportait pas une survie sans progression supérieure à la RCT standard(1). De plus, l’essai KEYNOTE-412 montre qu’ajouter du pembrolizumab à une radiochimiothérapie à base de cisplatine n’améliore pas non plus la survie sans progression dans la population globale, ce qui était l’objectif principal de cette étude(2). Il existe par ailleurs actuellement plusieurs essais pour tester l’immunothérapie en phase néoadjuvante dans les cancers toutes localisations confondues, y compris en ORL(3).
POURQUOI UNE IMMUNOTHÉRAPIE ?
Le principe repose sur la restauration d’interactions bénéfiques entre les cellules immunitaires du TME et les cellules tumorales. En partant du rationnel connu que les CEVADS infiltrés par de grandes quantités de lymphocytes T CD8+ ont un meilleur pronostic(4), restaurer l’immunité au sein du tissu tumoral pourrait donc entraîner une meilleure réponse aux différents traitements. Deux stratégies peuvent être envisagées : l’attraction de nouveaux lymphocytes T ou la reprogrammation des lymphocytes déjà présents, mais dysfonctionnant(5). L’utilisation des immunothérapies en phase néoadjuvante semble participer à cette restauration immunitaire en améliorant les réponses systémiques des lymphocytes T aux antigènes spécifiques de la tumeur avant la chirurgie(6). Cette restauration de fonction immunitaire pourrait agir pour détruire les micro-métastases dans les tumeurs cliniquement avancées, et diminuer les récidives loco-régionales ou à distance après les thérapies primaires. De plus, contrairement à la chimiothérapie conventionnelle, l’immunothérapie est bien mieux tolérée par les patients. Il convient cependant de bien sélectionner les patients pouvant bénéficier d’un traitement néoadjuvant en prenant en compte le délai qu’entraîne la mise en place d’un tel traitement. La sélection des patients par des biomarqueurs déjà utilisés (expression de PD-L1 par le CPS), et d’autres en cours de développement, pourrait contribuer à un meilleur effet thérapeutique.
Partant de l’ensemble de ces constatations, de nombreux essais cliniques utilisant un inhibiteur PD-1/PD-L1, seul ou en association en phase néoadjuvante ont été conduits.
QUELLES AVANCÉES EN 2022 ?
Wise-Draper et coll. ont publié en août 2022 une étude de phase II utilisant le pembrolizumab (inhibiteur de PD-1) en situation néoadjuvante puis adjuvante pour 92 patients présentant des CEVADS localement avancés (stade III ou IV) et HPV négatif. Le schéma de l’étude est détaillé dans la figure. Tous les patients ont reçu une dose de pembrolizumab 7 à 21 jours avant leur traitement chirurgical. Sur la présence des facteurs de risque histologiques (ruptures capsulaires, engainements périnerveux et/ou emboles vasculaires), les patients ont été divisés en 2 groupes : un à risque intermédiaire et un à haut risque. Le premier groupe a reçu de la radiothérapie adjuvante associée à 6 cures de pembrolizumab toutes les 3 semaines. Le deuxième a reçu le même traitement associé à de la chimiothérapie par cisplatine hebdomadaire (40 mg/m2 ) pendant 6 semaines consécutives.
Figure. Schéma de l’étude.
Le suivi médian était de 28 mois. Le critère de jugement principal, la survie sans progression (SSP) à 1 an, était 96 % (IC95% : 71-90 %) dans le groupe à ris que intermédiaire et de 66 % (IC95% : 55-84 %) dans le groupe à haut risque. Celle-ci apparaissait plus élevée que la SSP à 1 an de 69 % (IC95% : 59-78 %) observée dans le grou pe à risque intermédiaire traité avec la RT seule dans l’étude RTOG 9501 (p = 0,0007), en comparaison historique indirecte.
L’effet histologique du pembrolizumab néoadjuvant induit de la nécrose avec une inflammation histiocytaire associée et/ou une réaction des cellules géantes aux débris kératiniques. La réponse histologique (RH) du traitement a été définie par un rapport entre cette surface de nécrose, et la somme des surfaces de nécrose + de tumeur encore viable supérieure à 20 %. Une réponse histologique a été observée chez 39 % des patients évaluables. Les taux de RH étaient plus élevés dans le groupe à risque intermédiaire (55 %) que dans le groupe à haut risque (28 %). Aucune toxicité inattendue n’a été identifiée. Cette étude confirme donc la faisabilité et la tolérance satisfaisante de l’immunothérapie en néoadjuvant avant résection chirurgicale. De plus, les résultats apparaissaient particulièrement bénéfiques pour le groupe à risque intermédiaire. Cependant, le pembrolizumab est utilisé ici en néoadjuvant et adjuvant, c’est pourquoi il n’est pas possible de différencier l’effet propre de chacune de ces séquences sur la survie sans progression à 1 an.
L’immunothérapie néoadjuvante est actuellement explorée dans plus de 100 essais cliniques en cours toutes localisations confondues, soit en monothérapie, soit en association avec d’autres agents. En ce qui concerne les CEVADS, 8 essais cliniques ont été répertoriés dans une revue de la littérature publiée en 2022(3). Ces études de phases I/II ont confirmé les résultats de Wise-Draper et coll. de la faisabilité et la tolérance avec également des effets importants sur la SSP à 1 an. Uppaluri et coll. ont par exemple utilisé du pembrolizumab en 2020 associé à un taux de rechute à 1 an (à distance ou local) de 17 %, soit moitié moins que le taux historique connu de 35 %(7).
Cependant, ces études sont très hétérogènes avec des schémas d’administration tous différents ainsi qu’une variabilité des critères de réponse.
Par exemple, tous les essais cliniques néoadjuvants publiés ont des intervalles de temps distincts entre l’administration du traitement et la chirurgie.
Il convient donc de trouver le bon compromis entre le délai d’action des inhibiteurs de PD-1/PD-L1 et l’absence de retard dans la prise en charge chirurgicale. Il est important de souligner que, contrairement à ce que certaines conclusions ont laissé penser(8), la plupart des chercheurs semblent s’accorder sur l’importance de ne pas limiter la chirurgie et de respecter les limites de la tumeur initiale dans la résection chirurgicale après ce type de traitement.
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