Publié le 12 juil 2023Lecture 4 min
L'essai pédiatrique AcSé-ESMART
Sylvie LE GAC, Courbevoie
L’énasidénib, thérapie anticancéreuse ultra-ciblée sur IDH2, donne des bénéfices cliniques remarquables dans une maladie métabolique génétique rare.
Pour la première fois, deux enfants atteints d’une maladie métabolique rare avec trouble neurologique (acidurie D-2-hydroxyglutarique – D-2-HGA – avec mutation germinale IDH2) ont pu bénéficier d’un traitement efficace. Ils ont été inclus au sein de l’essai pédiatrique AcSé-ESMART, promu par Gustave Roussy, pour être traités avec l’énasidénib. Cette thérapie ciblée anticancéreuse innovante, déjà connue pour ses résultats prometteurs sur certaines formes de leucémie myéloïde aiguë, a amélioré les fonctions cardiaques et cognitives de ces enfants. Ces résultats ont été publiés dans Nature Medicine* et sont le fruit de la collaboration des équipes de Gustave Roussy et de l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP).
Une maladie neuro-métabolique à l’expression clinique variable
L'acidurie D-2-hydroxyglutarique (D-2-HGA) est un trouble génétique rare caractérisé par des taux élevés d'acide D-2-hydroxyglutarique dans les urines, le plasma et le liquide céphalo-rachidien. Les formes cliniques de cette maladie neuro-métabolique sont extrêmement variables incluant des cas graves et apparaissent dans la période néonatale ou la petite enfance. La maladie entraîne généralement hypotonie, retard mental et psychomoteur, épilepsie et cardiomyopathie. Il n’existe à ce jour aucun traitement spécifique.
Le séquençage moléculaire ouvre de nouvelles perspectives au-delà de la cancérologie
La D-2-HGA présente des mutations constitutives (germinales) du gène IDH2, les mêmes que celles retrouvées dans certaines formes de leucémies aiguës myéloïdes sur lesquelles travaillent le Dr Stéphane de Botton, chef du comité hématologie de Gustave Roussy, et son équipe. L’oncologue avait rapporté au congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) en 2022 les bons résultats d’une étude de phase III avec une thérapie ultra-ciblée sur IDH2, l’énasidénib. Au cours de leurs travaux, les chercheurs avaient établi la preuve préclinique des bénéfices des inhibiteurs d'IDH2, y compris sur l'amélioration des troubles cardiaques. Autorisée par la FDA aux États-Unis en 2017, cette molécule ne l’est pas encore en Europe, y compris en France prescrite dans le cadre d’un usage compassionnel (hors essai clinique) pour les enfants atteints de D-2-HGA. Or, cette molécule fait partie des médicaments en cours d’évaluation dans le cadre de l’essai Acsé-ESMART qui propose des traitements innovants (thérapies ciblées, immunothérapies) adaptés au profil moléculaire et immunologique d’enfants et adolescents atteints de cancer. « Des discussions ont été menées avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ainsi que le comité d’éthique lors de l’ajout de l’énasidénib dans l’essai pour les enfants atteints de leucémie et de tumeurs solides portant la mutation IDH2. S’appuyant sur les travaux de recherche qui démontraient les bénéfices de la molécule notamment au niveau cardiaque et métabolique, des patients atteints de D-2-HGA qui ne souffraient pas de cancer ont pu être inclus dans ce bras de l’essai », explique le Dr Birgit Geoerger, pédiatre oncologue à Gustave Roussy et investigatrice principale de l’essai Acsé-ESMART.
Un traitement « révolutionnaire » pour les enfants et les parents
Les résultats cliniques obtenus chez les deux premiers enfants inclus dans l’essai indiquent des bénéfices sur les fonctions cardiaques, motrices, exécutives et cognitives notamment. Le traitement à raison d’un comprimé par jour, bien toléré et sans effet secondaire, normalise rapidement le métabolite D-2-HG dans le sang et les urines. « C’est une révolution pour ces enfants et leurs parents ! Mais le traitement n’étant pas curatif, il doit être administré de manière continue et probablement tout au long de la vie », souligne le Dr Geoerger. « Nous avons constaté qu'après seulement 4 jours d'interruption chez le premier patient, le marqueur D-2-HG était remonté. »
D’autres enfants atteints de D-2-HGA suivis aux Pays-Bas, en Grèce, en Angleterre et en Suisse pourraient être inclus dans l’essai Acsé-ESMART pour bénéficier du traitement. Sur la base de ces résultats très positifs, la molécule pourrait poursuivre son développement dans cette maladie génétique rare, en lien avec les autorités réglementaires et les associations de patients, afin que les enfants aient accès tout au long de leur vie à ce traitement.
Le plan France Médecine Génomique 2025, qui permet aux patients atteints d’une maladie rare ou d’un cancer de bénéficier d’un séquençage complet, devrait permettre le repositionnement d’autres médicaments qui ciblent des anomalies génétiques.
*https://www.nature.com/articles/s41591-023-02382-9
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