Publié le 17 juin 2023Lecture 6 min
Inhibiteurs allostériques dans la LMC : pour qui, quand, comment ?
D’après la communication du Dr Delphine Rea (département médico-universitaire d’Hématologie et Immunologie, hôpital Saint-Louis, Paris) – SFH, 29-31 mars 2023
Le besoin médical des patients atteints de LMC est actuellement partiellement couvert par les inhibiteurs de tyrosine kinase compétitifs de l’ATP. Il faut disposer d’autres alternatives efficaces et plus sélectives et donc mieux tolérées permettant d’améliorer la survie et la qualité de vie des patients. Le développement des inhibiteurs allostériques dont l’asciminib semble répondre à ce cahier des charges.
La LMC est une maladie lentement évolutive dont on distingue trois phases : une phase chronique, une phase d'accélération et une phase de leucémie aiguë ou crise blastique. La majorité des patients est diagnostiquée durant la phase chronique avec une maladie généralement asymptomatique. Les adultes ne présentent pas de symptômes particuliers hormis une fatigue physique et une légère splénomégalie, accompagnées par une hyperleucocytose, une myélémie et une basophilie. La LMC est une hémopathie myéloïde de pronostic globalement favorable avec une survie nette standardisée estimée à 96 % à 1 an et 85 % à 5 ans(1). La survie nette à 5 ans varie selon l’âge au diagnostic, elle est relativement stable jusqu’à 60 ans puis diminue pour les personnes diagnostiquées à un âge plus avancé(2).
Bien que la maladie évolue lentement, le pronostic vital des patients est toujours engagé à plus ou moins long terme selon le stade de diagnostic et de mise sous traitement. Sans traitement, un patient passe en moyenne 3 à 5 ans en phase chronique, 6 à 18 mois en phase accélérée et 3 à 9 mois en phase blastique. L’objectif du traitement de la LMC est d’empêcher le passage de la phase chronique à la phase accélérée puis blastique, phase ayant le plus mauvais pronostic(3).
La LMC est caractérisée, dans 95 % des cas, par la présence d’un chromosome Philadelphie (Ph+) résultant d’une translocation t(9;22)(q34;q11). Cette translocation est à l’origine d’un gène de fusion BCR-ABL1 codant pour une protéine à fonction tyrosine kinase, elle-même responsable de la production accrue de leucocytes immatures dans la moelle osseuse. Comme l’a souligné le Dr Delphine Réa (département médico-universitaire d’Hématologie et Immunologie, hôpital Saint-Louis, Paris), « la régulation d’Abelson est fondamentale car lorsque cette kinase est dérégulée, elle devient oncogène ».
Le traitement de la LMC Ph+ en phase chronique, accélérée ou blastique repose essentiellement sur les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK).
« Nous connaissons les inhibiteurs compétitifs de l’ATP de type 1 ou de type 2 [imatinib (1re G), bosutinib (2e G), dasatinib (2e G), nilotinib (2e G), ponatinib (3e G)] qui vont empêcher BCR-ABL de phosphoryler ses substrats et donc bloquer toute cette signalisation aberrante intracellulaire. Mais Il existe aujourd’hui d’autres possibilités d’inactiver BCR-ABL dont les inhibiteurs tyrosine kinases allostériques », a-t-elle affirmé.
Figure 1. © Skora L et al. Proc Nat Acad Sci USA 2013(4)
Un des avantages potentiels des inhibiteurs allostériques par rapport aux inhibiteurs TK compétitifs de l’ATP est leur sélectivité avec potentiellement moins de toxicité et donc moins d’effets secondaires. Il existe un site de fixation covalente d’un acide gras, groupement myristoyl, ciblé par les inhibiteurs allostériques situé dans le lobe C de BCR-ABL (figure 1)(4-8).
In vitro, un de leur représentant, l’asciminib (ABL001) inhibe très fortement Abelson et n’inhibe pas d’autres kinases qui sont ciblées par les inhibiteurs compétitifs de l’ATP dont on dispose telles que c-KIT, PDGFRA et SRC(7). « Lorsqu’on compare les différents médicaments in vitro sur des lignées cellulaires exprimant BCR-ABL ou pas, on observe que l’asciminib grâce une grande sélectivité cible uniquement les cellules qui expriment BCR-ABL, contrairement à ce qui est constaté avec le ponatinib qui inhibe les lignées BCR-ABL+ mais également celles qui ne l’expriment pas », a expliqué D. Réa. À noter que l’asciminib n’est pas toujours actif lorsqu’il existe des mutations hors domaine de fixation myristoyl(6,7,9).
L’AMM européenne de l’ABL001 a été obtenue en novembre 2022 pour les patients qui ont reçu au moins 2 inhibiteurs compétitifs de l’ATP et qui ne sont pas porteurs de mutation V299L ou T315I ; l’asciminib ayant montré une efficacité supérieure au bosutinib dans ce contexte.
Scemblix® (asciminib) est donc un traitement de 3e ligne ou plus dans le traitement des patients adultes atteints de leucémie myéloïde chronique chromosome Philadelphie positive en phase chronique (LMC-PC Ph+), sans mutation T315I et précédemment traités par au moins deux inhibiteurs de tyrosine kinase. En l’absence de donnée comparative, la place de Scemblix® (asciminib) par rapport au ponatinib, ne peut être déterminée.
L’optimisation de l’asciminib est en cours, en association ou à des phases plus précoces.
« La dose actuelle de l’AMM est de 40 mg, 2 fois par jour ; 80 mg en une seule prise est en cours d’évaluation. La ½ vie pharmacologique est de 12 h. L’absorption n’est pas optimale, de 33 à 57 % de la dose, avec un pic plasmatique à 2 h après la prise. Une interaction avec des repas très riches en graisse (800 à 1 000 calories) comportant 50 % de lipides avalés en 30 minutes est observée, par contre pas d’interférence avec le PH gastrique, ni en cas d’insuffisance rénale ou hépatique. Son élimination est hépatique comme les inhibiteurs compétitifs de l’AT(10-13) », souligne Delphine Réa.
L’asciminib, une réponse moléculaire majeure rapide et qui se maintient dans le temps
L’étude pivot CABL001A2301 (ASCEMBL), de phase III, ouverte, randomisée (2:1), comparative versus bosutinib et menée chez des patients adultes atteints de leucémie myéloïde chronique en phase chronique (LMC-PC), ayant reçu préalablement au moins 2 lignes de traitement par ITK et en échec ou intolérants au dernier ITK reçu. Les patients avec une mutation T315I ou V299L n’étaient pas admis à l’inclusion de l’étude. La randomisation était stratifiée selon le statut cytogénétique à l’inclusion (réponse cytogénétique majeure/pas de réponse cytogénétique majeure). Le suivi des patients était prévu sur au moins 96 semaines. Les critères de jugement principal est le taux de réponse moléculaire majeure (RMM) à 24 semaines.
La réponse cytogénétique complète ou réponse moléculaire majeure (RM2 pour BCR/ABL1IS % ≤ 1 %) est très rapidement atteinte à 24 semaines par plus de 44 % des patients avec l’asciminib versus 20,8 % des patients du bras bosutinib et se maintient dans le temps après 96 semaines. En ce qui concerne la RM3 (BCR/ABL1IS % ≤ 0,1 %), 25 % l’obtiennent à 24 semaine sous asciminib versus 13,2 % et cela augmente dans le temps pour atteindre 37,6 % à la 96e semaine dans le bras asciminib versus 15,6 % dans le bras bosutinib, des patients diminuent leur maladie résiduelle au fil du temps. « En termes de tolérance, il y a des cytopénies en début de traitement qui surviennent essentiellement dans les 6 premiers mois ; il faut rechercher une autre étiologie aux cytopénies tardives », conseille Delphine Réa. Concernant les effets indésirables non hématologiques, on note des céphalées en début de traitements, des douleurs musculosquelettiques(14,15).
Est-ce que tous les patients relèvent de l’asciminib en 3e ligne ?
« Certainement pas au regard des situations très hétérogènes en pratique clinique (figure 2) », a souligné l’experte.
Figure 2. 3e ligne : besoins hétérogènes.
Dans l’essai ASCEMBL(14,15), la probabilité de réponse moléculaire majeure après résistance au dasatinib est à plus de 40 % à 96 semaines. Dans l’essai OPTIC(16), les probabilités de réponses moléculaires à 36 mois selon le statut mutationnel de BCR/ABL1 à l’inclusion sont de 60 % ; à noter que la dose d’asciminib administrée dans cet essai était de 45 mg/j(16).
« Pour certains patients en échec à la fin de l’étude ASCEMBL, de nouvelles mutations sont apparues dont M244V, E355G, F359V, T315I (mutations du site de fixation ATP) et A337T et P465S (loge myristoyl) », a précisé D. Rea.
En conclusion, les inhibiteurs de tyrosine kinases « allostériques » semblent être plus sélectifs que les TKI compétitifs de l’ATP. De fait, l’asciminib est plus efficace que le bosutinib en 3e ligne dans l’essai ASCEMBL(14,15) et possède un profil de tolérance plus favorable. Toutefois, l’asciminib ne couvre pas l’ensemble des mutations du domaine catalytique d’ABL1 à la dose de l’AMM actuelle (80 mg/j) ; des études d’optimisation de doses sont nécessaires pour certains patients porteurs de mutations notamment la mutation T315I, l’asciminib peut être efficace à condition de l’utiliser à des doses supérieures. Ce nouveau médicament poursuit son développement clinique en 1re ligne et en association avec des TKI compétitifs de l’ATP, ainsi qu’en pédiatrie.
D’autres TKI dont des inhibiteurs compétitifs de l’ATP plus sélectifs et des TKI « allostériques » sont en développement dans la LMC.
Sylvie LE GAC, Paris
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