Publié le 03 mai 2023Lecture 5 min
Biologie du lymphome folliculaire - L’essentiel pour le clinicien
D’après la communication de Karin Tarte, session groupe coopérateur LYSA – SFH, 29-31 mars 2023
La lymphomagenèse est un mécanisme complexe qui débute précocement dans un lymphocyte pré-B de la moelle osseuse et se poursuit dans les organes lymphoïdes secondaires avec l'accumulation progressive d'anomalies génétiques conduisant à la phase tumorale du lymphome folliculaire. L'interaction avec le microenvironnement est essentielle pour la survie et la prolifération des cellules lymphomateuses. Il vaut mieux l’appréhender pour pouvoir proposer de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Le lymphome folliculaire est une longue histoire de B qui débute bien avant que le patient soit symptomatique, par une translocation (14;18) qui intervient dans la mœlle osseuse, au moment des réarrangements initiaux des gènes d’immunoglobulines. Peu de lymphocytes B t(14;18), lorsqu’ils entrent dans le centre germinatif (figure 1), surexpriment BCL2 et ont un avantage en termes de survie car la plupart, en raison de mutations somatiques, vont mourir par apoptose. C’est dans le centre germinatif que les lymphocytes B acquièrent le récepteur spécifique de l’antigène. Quel que soit leur affinité pour l’antigène, ils vont circuler sous forme de B mémoires « FL like » ; ce sont les cellules précurseurs du lymphome folliculaire ultérieur. Pour qu’un lymphome folliculaire se développe sur le long terme, il faut une accumulation progressive d’anomalies génétiques au fur et à mesure des passages itératifs des LB dans le centre germinatif, site hautement favorable à la survenue d’altérations génétiques. Ces cellules appelées CPC (Committed Precursor Clone), précurseurs tumoraux, se localisent préférentiellement dans les centres germinatifs (light zone)(1) mais aussi dans la mœlle osseuse(2,3) où on observe une dérégulation de BCL2.
Figure 1. Le Centre germinatif permet au lymphocyte B d’acquérir son récepteur antigénique spécifique de l’antigène- phase de maturation du lymphocyte B où les cellules B vont subir de nombreuses mutations somatiques qui vont entraîner la mort par apoptose de 95 % de LB, seules 5 % vont être sélectionnées.
© Dr Dominique Penther - Centre Henri Becquerel
Après ce stade asymptomatique, à la suite de « hits » oncogéniques secondaires, un lymphome folliculaire va être diagnostiqué et va évoluer avec des phases successives de rémissions et de rechutes ; ces dernières sont liées le plus souvent à des CPC non identifiées initialement et plus rarement, trouvent leur origine à partir du lymphome existant, ce qui explique une grande hétérogénéité des altérations génétiques observées et une évolution naturelle de la maladie non liée à l’accumulation de « hits » oncogéniques supplémentaires. Le profil mutationnel de la rechute peut être alors très différent de celui caractérisé au moment du diagnostic. Il faut donc rebiopsier car on a de fait une hétérogénéité sous-clonale et spatiale.
Les mutations génétiques additionnelles du lymphome folliculaire sont d’origines épigénétiques pour la plupart (mutations de CREBBP, hit le plus précoce, KMT2D, EZH2…) ; elles aboutissent à bloquer la sortie des lymphocytes B des centres germinatifs et à un défaut de reconnaissance par le système immunitaire. Ces mutations modificateurs épigénétiques fréquentes ne sont pas uniques, on observe des combinatoires, des co-occurrences de « hits » oncogénétiques d’origine épigénétique(4). Les « hits » épigénétiques sont une cible intéressante dans le lymphome folliculaire (EZH2i, HDAC3i/KDM5i ?).
Le lymphome folliculaire, une histoire de (micro)niches…
Les lymphomes folliculaires sont très infiltrés par des cellules immunitaires (T helper, T8, NK, Tg∂, macrophages…). Toutes ces cellules, concourent à l’immunité anti-tumorale de façon efficace. Le rituximab par exmple s’appuie sur ces effecteurs de l’immunité. Toutefois, la réponse anti-tumorale n’est pas toujours au rendez-vous ; en effet, le microenvironnement antitumoral est rendu inefficace par différents mécanismes de mieux en mieux décrits notamment l’expression de récepteurs inhibiteurs (PD-1, LAG-3, TIGIT, TIM3…) qui vont bloquer les effecteurs de l’immunité. Il peut y avoir également la perte de la reconnaissance de la tumeur par d’autres mécanismes tels que la perte d’expression des molécules du CMH et d’autres mécanismes plus « subtils ».
Au fil des lignes thérapeutiques, on va observer une décroissance voire la perte de la diversité du répertoire des récepteurs des lymphocytes T (LT), l’altération de la formation de la synapse entre les LT et les cellules tumorales par un déficit d’activation du cytosquelette, indispensable à la destruction de la tumeur. Ces modifications sont ciblables par des anti-CD20, le lenalidomide, les CAR-T, les anticorps bispécifiques, les anti-CD47.
Les choses ne sont pas si simples… Dans les lymphomes folliculaires, il existe aussi un microenvironnement immunitaire protumoral comportant un compartiment de cellules Tfh (follicular helper) PD1hi de soutien, qui vont apporter des signaux de survie aux LT, activer les cellules stromales, les macrophages pour qu’ils soient capables de créer une synapse avec les cellules tumorales.
D’où la complexité de l’analyse de l’expression des check-points inhibiteurs et la nécessité de disposer d’autres marqueurs/cibles que PD1. Des études phénotypiques et fonctionnelles doivent être menées.
Des cellules immunitaires de soutien aux cellules stromales
Dans le lymphome folliculaire, on a une architecture stromale très importante dont des cellules folliculaires dendritiques qui disparaissent au fur et à mesure de l’évolutivité de la maladie. Les cellules stromales du lymphome folliculaire ont des caractéristiques particulières avec une modification de l’expression des chimiokines, éléments importants pour recruter des lymphocytes B tumoraux mais aussi des effecteurs de l’immunité (dont les CAR-T) ; ces cellules stromales « reprogrammées » vont mieux interagir avec les LB tumoraux. Aussi, l’hétérogénéité et l’organisation stromales ont des conséquences sur la croissance tumorale et la réponse immune(5-7).
Le lymphome folliculaire, une histoire de (macro)niches…
Il y a une difficulté à appréhender l’hétérogénéité du lymphome folliculaire par une approche monosite (différences significatives entre deux ganglions chez un même patient, entre ganglion et moelle osseuse)(8,9). L’analyse par biopsie liquide de l’ADNtc est ici intéressante.
La maladie est une co-évolution ordonnée de la tumeur et de sa niche. Le lymphocyte B tumoral interagit avec son microenvironnement ; ses interactions sont modulées par les altérations génétiques(10,11). D’où l’intérêt de réaliser des études associant génétique et microenvironnement tumoral ; n’oublions pas que les thérapies ciblées agissent aussi sur ce microenvironnement tumoral.
En conclusion, le lymphome folliculaire est une tumeur complexe, hétérogène et dynamique dans sa génétique et son microenvironnement tumoral. Ce dernier dans le lymphome folliculaire comprend le réseau interconnecté de cellules antitumorales et protumorales incluant des cellules stromales reprogrammées. Il existe un lien fort entre génétique- microenvironnement tumoral qu’il faut investiguer avec comme intérêt clinique la découverte de biomarqueurs, de nouvelles stratégies thérapeutiques, en prenant en compte tous les acteurs de la niche.
Il y a un besoin de nouvelles approches technologiques… et d’un lien fort entre chercheurs et cliniciens.
Sylvie LE GAC, Paris
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