Publié le 06 avr 2023Lecture 8 min
Cancers du sein - Statut HER2-low et anticorps conjugués anti-HER2
Jean-Louis MERLIN, Département de Biopathologie, Institut de Cancérologie de Lorraine, Vandœuvre-lès-Nancy
Il existe un intérêt croissant pour comprendre l'importance de la faible expression de HER2 dans le cancer du sein. Ce d’autant que l’arrivée de nouveaux anticorps conjugués anti-HER2 ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour ces patientes. Retour sur cette nouvelle entité biopathologique des cancers du sein et des études qui ont objectivé l’efficacité du TDXd de HER2-positif à HER2-low.
Le statut HER2 est un standard diagnostique dans les cancers du sein. Il est évalué par immunohistochimie (IHC) et l'expression de HER2 est notée sur une échelle de 0 à 3+ en fonction de l'intensité et du pourcentage de cellules tumorales positives pour HER2(1). Dans les cas pour lesquels une surexpression intermédiaire est observée (HER2 2+), le recours à l'hybridation in situ (ISH) permet de détecter l'amplification du gène HER2 en utilisant des sondes fluorescentes qui se lient au gène HER2. Un contrôle est réalisé en marquant le centromère du chromosome 17 (CEP17). Les tumeurs sont déclarées ISH positives lorsqu’un niveau d'amplification génique élevé est détecté (rapport HER2/CEP17 > 2,0). Le statut HER2-positif est défini sur la base d’une surexpression forte en IHC (3+) ou intermédiaire (2+) avec amplification génique (ISH+). Il est détecté dans 15 à 20 % des cancers du sein, et ces tumeurs sont souvent traitées avec des thérapies ciblées dirigées contre la protéine HER2, telles que les anticorps monoclonaux (Mab) comme le trastuzumab, et le pertuzumab ou encore les inhibiteurs de kinase (ITK) comme le lapatinib.
Cependant, il existe un intérêt croissant pour comprendre l'importance de la faible expression de HER2 dans le cancer du sein, qui est défini comme des tumeurs avec de faibles niveaux d'expression de HER2 par immunohistochimie (IHC) ou une amplification génique par hybridation in situ (ISH).
Les tumeurs HER2-low sont définies comme IHC 1+ ou 2+ et ISH-négatives (rapport HER2/CEP17 < 2,0).
Le taux de cancer du sein HER2-low est d'environ 40 à 65 % dans les tumeurs HR positives, et 23 à 40 % des tumeurs HR négatives expriment de faibles niveaux d'expression de HER2(2). Notamment, le taux d'expression de HER2-low semble augmenter avec l'expression de ER. Il est bien établi que l'expression de HER2 est dynamique et qu'elle peut évoluer au fur et à mesure de la progression de la maladie avec jusqu'à 40 % de discordance entre tumeurs primitives et métastatiques ; L'expression HER2-low semble être enrichie dans le cadre avancé(3). Ces résultats soulignent que, lorsque cela est faisable et sûr, il est utile d'obtenir des biopsies répétées au moment de la progression de la maladie, car celles-ci peuvent avoir un impact sur les options de traitement.
Les « antibody-drug conjugates » ou anticorps conjugués anti-HER2 (ADC-HER2)
Les ADC-HER2 sont un type de thérapie ciblée constituée d’un anticorps monoclonal qui délivre une molécule de chimiothérapie directement aux cellules tumorales exprimant HER2, entraînant une destruction ciblée des cellules cancéreuses tout en minimisant les dommages aux cellules saines(4). Historiquement, le premier ADC-HER2 mis sur le marché est le trastuzumab-emtansine ou TDM-1 dont l’intérêt dans les cancers du sein HER2-positifs a été largement démontré que ce soit en situation métastatique(5-8), adjuvante(9,10) ou néo-adjuvante(11).
Le trastuzumab déruxtecan (T-DXd) est un ADC composé d'un anticorps monoclonal ciblant HER2, d'un ligand clivable, et la charge utile cytotoxique est le déruxtecan, un puissant inhibiteur de la topoïsomérase 1 (figure 1). Le T-DXd a un rapport médicament/anticorps élevé de 8:1(12). Une fois que le déruxtecan est libéré dans la cellule cancéreuse HER2 positive, il interagit avec sa cible moléculaire, la topoïsomérase 1 et entraîne l’apoptose (figure 2). Il peut diffuser hors de la cellule et avoir un effet cytotoxique sur les cellules tumorales HER2 négatives environnantes et sur le microenvironnement tumoral, une caractéristique connue sous le nom d'effet «by stander». Il a été testé dans des essais cliniques pour le traitement du cancer du sein HER2-positif, y compris ceux qui ont déjà reçu un traitement ciblant HER2.
Figure 1. Représentation schématique de la structure d’un ADC. L’anticorps reconnait spécifiquement sa cible moléculaire au niveau des fragments Fab. Le nombre de molécule de cytotoxique par anticorps est appelé payload (ici payload = 8).
Figure 2. Mécanisme d’action d’un ADC anti-HER2 : (1) liaison de l’ADC au récepteur HER-2, (2) endocytose de l’ADC via le récepteur HER2, (3) l’ADC est délivré dans le compartiment lysosomal, (4) l’ADC est dégradé et le cytotoxique est libéré, (5) le cytotoxique est relargué au niveau cytoplasmique, (6) le cytotoxique interagit avec sa cible intracellulaire (ex. topoïsomérase 1), (7) la cellule meurt par apoptose.
Les résultats de plusieurs essais cliniques ont montré l’efficacité du T-DXd chez les patientes atteintes d'un cancer du sein HER2-positif.
L’essai DESTINY-Breast01 est un essai de phase II qui a recruté 184 patientes atteintes d'un cancer du sein métastatique HER2 positif qui avaient reçu au moins deux traitements ciblant HER2 auparavant. Dans l'analyse en intention de traiter, une réponse au traitement a été rapportée chez 112 patients (60,9 % ; intervalle de confiance [IC] à 95 %, 53,4 à 68,0). La durée médiane du suivi était de 11,1 mois (extrêmes, 0,7 à 19,9). La durée médiane de la réponse était de 14,8 mois (IC à 95 %, 13,8 à 16,9) et la durée médiane de la survie sans progression était de 16,4 mois (IC à 95 %, 12,7 à non atteint). Au cours de l'étude, les effets indésirables les plus courants de grade 3 ou plus étaient une diminution du nombre de neutrophiles (chez 20,7 % des patients), une anémie (chez 8,7 %) et des nausées (chez 7,6 %). Lors d'une évaluation indépendante, le T-DXd était associé à une maladie pulmonaire interstitielle chez 13,6 % des patients (grade 1 ou 2, 10,9 % ; grade 3 ou 4, 0,5 % ; et grade 5, 2,2 %)(13).
L’essai DESTINY-Breast02 est un essai de phase III qui a été conçu comme une étude de confirmation pour DESTINY-Breast01 afin d'évaluer le T-DXd par rapport au traitement choisi par le médecin (TPC, bras contrôle) chez les patients précédemment traités avec le T-DM1. 608 patientes ont été randomisées pour recevoir T-DXd (n = 406) ou TPC (n = 202). La durée médiane du traitement était 11,3 mois dans le bras T-DXd et 4,5 mois dans le bras contrôle démontrant une amélioration significative de la PFS (HR, 0,36 ; p < 0,000001) et l’OS (HR, 0,66 ; p = 0,0021) dans le bras T-DXd par rapport au bras contrôle. Le taux de réponse objective était également supérieur avec 69,7 % (dont 14 % de réponse complète) dans le bras T-DXd et de 29,2 % (dont 5,0 % de réponse complète) dans le bras contrôle. Des événements indésirables de grade ≥ 3 liés au traitement sont survenus chez 52,7 % et 44,1 % des patients recevant respectivement T-DXd et TPC. Une pneumopathie interstitielle a été constatée chez 10,4 % des patients avec T-DXd contre 0,5 % des patients dans le bras contrôle. Chez les patients recevant du T-DXd, la plupart des cas de toxicité (88,1 %) étaient de grade ½. Un cas de toxicité de grade 5 a été signalé chez 2 (0,5 %) patientes(14).
L’essai DESTINY-Breast03 est un essai de phase III comparant le TDXd au T-DM1 chez des patientes atteintes d'un cancer du sein HER2-positif non résécable ou métastatique ayant déjà reçu un traitement ciblant HER2. L'essai visait à évaluer l'efficacité et l'innocuité du TDXd par rapport au T-DM1 en tant que traitement de première intention. Parmi 524 patientes randomisée, le pourcentage de ceux qui étaient en vie sans progression de la maladie à 12 mois était de 75,8 % avec le TDXd et de 34,1 % avec le TDM-1 (HR = 0,28 ; p < 0,001). Le pourcentage de patients vivants à 12 mois était de 94,1 % avec le TDXd et de 85,9 % avec le TDM-1 (HR = 0,55 ; 95 %, limite de significativité prédéfinie non atteinte). Le taux de réponse globale (réponse complète ou partielle) était de 79,7 % chez les patientes ayant reçu du T-DXd contre 34,2 % dans le bras TDM-1. L'incidence des événements indésirables liés au médicament de tout grade était de 98,1 % avec le T-DXd contre de 86,6 %, et l'incidence d’une toxicité de grade 3 ou 4 était de 45,1 % et 39,8 %, respectivement. Une pneumopathie interstitielle a été diagnostiquée chez 10,5 % des patientes du groupe T-DXd contre chez 1,9 % dans le groupe contrôle avec aucun événement de grade 4 ou 5(15).
Dans l'ensemble, le T-DXd a montré des résultats positifs dans les essais cliniques pour le traitement du cancer du sein HER2-positif, y compris chez les patientes ayant déjà reçu un traitement ciblant HER2.
Cancers du sein HER2-low et sensibilité aux antibody-drug conjugates anti-HER2 (ADC-HER2)
Le premier traitement ciblant HER2 à avoir été largement étudié pour la maladie HER2-low a été le trastuzumab. L’essai NSABP B-47, essai de phase 3 randomisé incluant 3270 femmes atteintes d'un cancer du sein à haut risque et HER2-low comparant une chimiothérapie avec ou sans trastuzumab(16). À un suivi médian de 46 mois, aucune différence de survie sans maladie invasive n’a été montrée entre les groupes, quel que soit le statut des récepteurs hormonaux, l'expression d’HER2 ou l'atteinte ganglionnaire. De même, une étude de phase 2 a montré peu d'avantages avec le pertuzumab(17) pour le traitement des patientes atteintes d'un cancer du sein HER2-low, et une analyse rétrospective portant sur le T-DM1 dans les tumeurs HER2 non amplifiées a trouvé peu d'activité. Sur la base de tels résultats, l'utilisation des anti-HER2 est restée limitée aux patientes atteintes de tumeurs HER2 positives, jusqu’au développement de nouveaux ADC, pour lesquels la question de l'utilisation d'agents ciblant HER2 pour le cancer du sein HER2-low est réapparue et a pris de l'ampleur.
Trastuzumab deruxtecan et HER2-low
L’essai DESTINY-Breast04 est un essai de phase 3 qui a montré l’efficacité de T-DXd dans les cancers du sein métastatiques HER2-low préalablement traitées par une ou deux lignes de chimiothérapie. 557 patientes ont été randomisées selon un ratio 2:1 pour comparer le T-DXd à une chimiothérapie choisie par le médecin. Dans la cohorte RH+, représentant 88,7% des patientes, la PFS médiane était de 10,1 mois pour le groupe T-DXd contre 5,4 mois dans le groupe contrôle (HR = 0,51 ; p < 0,001), et la survie globale était de 23,9 mois contre 17,5 mois, respectivement (HR = 0,64 ; p = 0,003). L’étude s’est également avérée positive sur l’ensemble des patientes (RH+ et RH-), avec une PFS médiane de 9,9 mois dans le groupe T-DXd contre de 5,1 mois dans le groupe contrôle (HR = 0,50 ; p < 0,001), et une survie globale de 23,4 mois contre 16,8 mois (HR = ,64 ; p = 0,001)(18).
Conclusion
L'efficacité prometteuse de nouveaux ADC ciblant HER2 dans les cancers du sein avancés HER2-low soulève la nécessité de repenser l’algorithme binaire actuel basé sur un statut HER2 négatif ou positif pour inclure une catégorie HER2-low incluant des niveaux intermédiaires d'expression d’HER2 utiles à guider la prise de décision clinique vis-à-vis d’un traitement anti-HER2 par les ADC nouvelle génération comme le TDXd (tableau 1).
Tableau 1. Statut HER2-low versus HER2 et éligibilité aux traitements anti-HER2 et ADC anti-HER2 de 1re et nouvelle génération.
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