Publié le 21 sep 2022Lecture 4 min
Supplémentations en vitamines et minéraux en prévention des maladies cardiovasculaires et des cancers : une fausse solution pour contourner les vrais problèmes
Louis MONNIER, Montpellier
Les supplémentations systématiques en vitamines et minéraux sont largement utilisées dans un but de prévention englobant à la fois les maladies cardiovasculaires, les cancers et les maladies chroniques. Cette pratique est particulièrement onéreuse pour ceux qui l’utilisent : aux États-Unis, 50 milliards de dollars ont été dépensés en supplémentations diverses en vitamines et minéraux.
Existe-t-il pour autant une justification « santé » pour ce marché juteux dont les bases sont les suivantes :
– en théorie, les vitamines et les minéraux ont des effets antioxydants et anti-inflammatoires qui devraient s’opposer au développement des cancers et des maladies cardiovasculaires ;
– la consommation de fruits et de légumes est classiquement associée à une réduction du risque de survenue de ces 2 groupes d’affections.
De manière plus banale, les adeptes de suppléments alimentaires le font en général pour améliorer leur « bien-être ». Cet objectif santé est plus ou moins hypothétique car il est loin d’être évident que des supplémentations en vitamines ou en minéraux sous forme de pilules aient les mêmes propriétés que ces mêmes vitamines ou minéraux consommés à partir d’aliments naturels, c’est-à-dire associés à d’autres nutriments qui potentialisent leur action. Pour répondre à la question de l’utilité des supplémentations en vitamines et minéraux dans la prévention des cancers et des maladies cardiovasculaires, l’US Preventive Services Task Force (USPSTF) vient de publier des recommandations basées sur une enquête portant sur 84 études dans lesquelles 739 203 sujets ont été inclus. L’ensemble a été publié dans le JAMA et accompagné par 2 éditoriaux.
L’étude commanditée par l’USPSTF
L’analyse globale des supplémentations multivitaminiques (figure) montre une absence d’effet sur l’incidence des décès quelles qu’en soient les causes (OR = 0,94, IC95% : 0,87-1,01) et des événements cardiovasculaires (OR = 0,98, IC95% : 0,86-1,12). Une réduction à la limite de la signification statistique (OR = 0,93, IC95% : 0,87-0,99) est notée sur l’incidence des cancers quelle que soit leur nature avec les supplémentations multivitaminiques. Quand l’analyse est effectuée spécifiquement avec une vitamine ou un minéral bien individualisé, les résultats ne montrent aucun effet, qu’il soit bénéfique ou délétère à l’exception des supplémentations en bêta-carotène qui sont significativement associées à une augmentation du risque de cancer du poumon (OR = 1,20, IC95% : 1,01-1,42). Des analyses encore plus spécifiques limitées à certaines études ont montré que les supplémentations en vitamine E peuvent augmenter le risque d’accident hémorragique cérébral et que les supplémentations en vitamine C et calcium augmentent le risque de lithiases urinaires. Les supplémentations en vitamine A sont décrites comme pouvant être associées à des fractures du col du fémur. En ce qui concerne la vitamine D, prescrite souvent de manière inconsidérée, elle n’est associée à aucun effet bénéfique.
Mortalité globale, événements cardiovasculaires et cancers. Comparaison (Odds ratios) selon que les sujets reçoivent ou non une supplémentation multivitaminique(1).
Recommandations de l’USPSTF
Suite à cette étude, l’USPSTF a actualisé ses recommandations antérieures qui avaient été publiées en 2014.
• L’USPSTF se prononce contre l’utilisation de supplémentations en bêta-carotène et en vitamine E pour prévenir les maladies cardiovasculaires et les cancers « D-Statement ».
• L’USPSTF conclut qu’il n’y a aucune preuve en faveur de l’utilisation de supplémentations multivitaminiques ou monovitaminiques pour la prévention des cancers et des maladies vasculaires « I-Statement ». Toutefois, dans ce « I-Statement » (recommandation qui n’engage que les auteurs), il est rappelé que les vitamines A et E peuvent avoir des effets délétères. Il est bien certain que ces recommandations ne concernent que la prévention et que des supplémentations vitaminiques ou en minéraux deviennent indispensables à titre curatif quand il existe des carences cliniquement ou biologiquement avérées.
Les deux éditoriaux
L’un des éditorialistes (Peter A. Ubel) souligne que le travail de l’USPSTF est une brillante synthèse qui prouve que beaucoup de sujets sont persuadés à tort que les supplémentations vitaminiques ont des effets bénéfiques. Ces croyances sont en grande partie basées sur l’effet placebo des supplémentations vitaminiques. Les sujets qui utilisent ces supplémentations leur attribuent une sensation de bien-être qui repose sur des allégations dépourvues de preuves scientifiques. Les auteurs du deuxième éditorial soulignent que ces supplémentations en vitamines et en minéraux sont à la fois inutiles et coûteuses et ils regrettent qu’elles ne soient pas évaluées comme le sont les autres médicaments. De plus ils soulignent qu’en termes de prévention des cancers et des maladies cardiovasculaires, il vaudrait mieux que les personnes respectent davantage les règles d’une alimentation saine (« Health eating » des Anglo-Saxons), évitent de développer des surcharges pondérales et de fumer plutôt que de chercher la solution dans des supplémentations en vitamines et minéraux coûteuses et sans effets bénéfiques. En d’autres termes, le choix devient psychologique, social, économique et politique entre les solutions faciles, coûteuses et inefficaces et celles qui sont peu coûteuses, contraignantes mais efficaces. Les populations sont-elles prêtes à la 2e option plutôt qu’à la première. Telle est la question ?
Publié par Diabétologie Pratique
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