Dermatologie
Publié le 30 aoû 2022Lecture 4 min
Quelle implication pour le médecin généraliste en onco-dermatologie ?
Étude menée par M. MONGEREAU(a), L. SULIMOVIC(b), M.-S GAUTIER(c), L. OLLIVAUD(d), C. OLIVERES-GHOUTI(e), J. SAVRY(f) ET J. NOVEL(g)
Le territoire français connaît actuellement des difficultés en matière d’accessibilité aux soins, qui s’expliquent par une baisse des effectifs des médecins libéraux, et en particulier des dermatologues (-25 % de dermatologues libéraux franciliens sur ces 8 dernières années)(1). En France, le délai pour accéder à une consultation de dermatologie est en moyenne de 61 jours(2). De plus, les dermatologues libéraux et/ou en activité mixte sont âgés en moyenne de 60 ans en Île-de-France(1). Les médecins généralistes doivent donc être impliqués dans le parcours de soins et la prise en charge de premier recours en dermatologie, et plus particulièrement en onco-dermatologie dans le dépistage primaire des lésions cutanées suspectes. L’objectif de cette étude est de faire un état des lieux sur les pratiques des médecins généralistes libéraux concernant leur activité en onco-dermatologie.
Matériels et méthodes
Une étude descriptive et transversale menée par l’Équipe de soins spécialisés en dermatologie et vénéréologie Île-de-France (ESSDV-IDF) a été réalisée en 2021 auprès de 6997 médecins généralistes libéraux franciliens recensés grâce à la base de données de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) des médecins libéraux d’Île-de-France. Cette étude repose sur une enquête constituée de 19 questions à choix simple ou multiple, diffusée par mail une première fois le 19 mai 2021 puis soumise de nouveau le 28 mai 2021.
Résultats
Sur les 6997 médecins généralistes (MG) franciliens contactés, 232 ont répondu au questionnaire et 18 % exercent à Paris (tableau 1). 62 % de ces MG déclarent rencontrer entre 0 et 2 suspicions de carcinome par trimestre, 33 % d’entre eux entre 3 et 5 par trimestre et 94 % rencontrent entre 0 et 2 suspicions de mélanome par trimestre. 62 % des lésions suspectes sont remarquées par le patient lui-même et 38 % par le médecin généraliste. 68 % des MG orientent leurs patients vers un dermatologue correspondant en ville, 25 % vers un dermatologue hospitalier et 3 % vers un chirurgien plasticien dans un hôpital. Concernant le mode d’adressage, plus de la moitié des MG (51 %) conseillent un dermatologue en donnant les coordonnées de celui-ci et 31 % appellent directement leur dermatologue correspondant. 1 % des MG participe seul au suivi des patients en onco-dermatologie, 48 % en alternance avec le dermatologue et 50 % n’y participent pas. Le médecin généraliste gère les effets secondaires des traitements onco-dermatologiques dans 46 % des cas et s’occupe de la mise en place de l’affection longue durée (ALD) dans 82 % des cas. Dans les cinq dernières années, 33 % des MG ont participé à une formation en oncodermatologie. En revanche, 71 % des MG n’ayant pas suivi de formation en onco-dermatologie aimeraient en suivre une. Enfin, 12 % des MG utilisent la téléexpertise (tableau 2).
Discussion
Les MG ont un rôle essentiel dans la prévention et le dépistage primaire des cancers cutanés(3). En effet, un système de santé efficace est fondé sur des soins de premier recours performants au sein desquels se trouvent les médecins généralistes(4). Ceux-ci jouent un rôle fondamental dans la prévention et le dépistage des cancers. Ils sont en première ligne dans le parcours de soins et sont donc bien placés pour identifier les sujets à risque élevé de cancers cutanés.
Pourtant, d’après notre étude, 62 % des MG rencontrent seulement entre 0 et 2 suspicions de carcinome par trimestre, ce qui semble peu quand on connaît la prévalence des carcinomes dans la population générale. Plus de la moitié des lésions suspectes sont remarquées par le patient et non par le MG directement. Cela est en accord avec une enquête réalisée par l’Institut national du cancer (INCA) en 2011 qui montrait qu’un MG sur deux jugeait sa formation initiale insuffisante en termes de prévention et de détection des cancers cutanés. Dans cette même enquête, 81 % des MG déclaraient qu’ils participeraient à une formation sur le thème de la prévention et du dépistage des cancers de la peau si celle-ci était proposée(5). Une autre enquête menée en 2017, comportant un questionnaire sur le mélanome, ses facteurs de risque, son dépistage ainsi que des cas cliniques, montrait que les lésions cutanées malignes étaient parfaitement gérées par les MG dans 55 % des cas, mais que ceux-ci déclaraient rencontrer des difficultés d’accès aux spécialistes et étaient demandeurs de formation continue(6). F. Grange et coll. relevaient qu’une participation antérieure des MG à une formation continue permettait une détection plus précoce des mélanomes cutanés. L’étude multivariée montrait un indice de Breslow significativement plus faible chez les patients dont le mélanome avait été découvert par le MG que par un autodépistage(7). Cela montre l’importance du rôle du médecin généraliste dans la détection précoce des cancers cutanés. Pourtant, dans notre étude, seulement 33 % des MG déclarent participer à des formations de ce type.
Le faible nombre de suspicions de carcinomes et de mélanomes par les MG peut aussi s’expliquer par le fait que ces derniers ont peu de temps dédié, au sein de leurs consultations, au déshabillage complet des patients et à l’examen dermatologique. En effet, dans l’enquête réalisée par l’INCA, seulement 14 % des MG déclaraient déshabiller systématiquement leurs patients, et 3 % jamais(5). Cela peut s’expliquer par un manque de temps global en consultation mais également par une réticence des patients à se dévêtir. Une étude publiée en 2010 dans The Archives of Dermatological Research a montré que les mélanomes détectés ou suspectés dans un premier temps par le MG puis adressés aux dermatologues étaient des mélanomes plus épais, ulcérés et nodulaires, et donc de plus mauvais pronostic. Cela peut s’expliquer d’une part par un manque de formation des MG et d’autre part par un manque de temps. Le vieillissement de la population et un moindre intérêt pour le problème cutané peuvent aussi expliquer ce retard de consultation(8). Enfin, dans notre étude, seulement 31 % des MG semblent avoir un dermatologue correspondant ce qui semble peu. Il est très important que les médecins généralistes se coordonnent avec les dermatologues de leur secteur pour fluidifier les prises en charge.
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