Publié le 21 avr 2022Lecture 7 min
Prise en charge des séquelles pelvi-périnéales des femmes traitées d’un cancer du col utérin
Sarah VIEILLEFOSSE, hôpital Antoine-Béclère, Clamart
Les symptômes pelvi-périnéaux sont des symptômes fréquents en population générale, mais chez les femmes traitées pour un cancer du col utérin, ils peuvent être le témoin d’une récidive et nécessitent plus d’explorations qu’on le ferait en population générale.
La problématique chez ces patientes est la présence de tissus irradiés et/ou opérés, qui peut complexifier la prise en charge thérapeutique. Nous verrons dans l’ordre la prise en charge de l’incontinence urinaire, des troubles de la vidange vésicale, du prolapsus et enfin des troubles de la sexualité.
Prise en charge de l’incontinence urinaire
Hyperactivité vésicale
Prise en charge diagnostique
Une hyperactivité vésicale de novo après traitement d’un cancer du col doit faire éliminer plusieurs pathologies en première intention : une infection urinaire, une récidive, une fistule et un autre cancer. Pour cela, les examens suivants doivent réalisés : un examen cytobactériologique des urines (ECBU), une échographie pelvienne, une IRM pelvienne, un scanner abdomino-pelvien, une cystoscopie, une épreuve au bleu vésicale et une urétrocystographie rétrograde mictionnelle.
En deuxième intention, si ces pathologies ne sont pas retrouvées, pour comprendre le mécanisme sous-jacent, on peut réaliser : un calendrier mictionnel, un bilan urodynamique (BUD) et une échographie vésicale. On recherchera : une pathologie organique sous-jacente (tuberculose, diabète), un obstacle (prolapsus, sténose urétrale, maladie du col vésical), une rétention par dénervation périphérique, une vessie radique (défaut de compliance, capacité limitée), une atrophie par carence estrogénique, une polyurie.
Prise en charge thérapeutique
Le traitement de l'hyperactivité vésicale est résumé dans le tableau 1 :
règles hygiéno-diététiques : réduction pondérale, arrêt du tabac et du café, diminution des boissons
rééducation périnéale ;
anticholinergiques : le solifénacine (Vésicare®) est le plus utilisé, car il nécessite une seule prise par jour et est remboursé par la Sécurité sociale. Il existe 2 dosages (5 et 10 mg). Il montre une efficacité chez 2/3 des femmes (au bout de 15 jours de traitement chez les répondeuses), mais présente des contre-indications (glaucome à angle fermé, myasthénie) et de nombreux effets secondaires. Le fésotérodine (Toviaz® 4 et 8 mg) a moins d’effets secondaires, mais n’est pas remboursé par la Sécurité sociale ;
estrogènes locaux pendant 3 mois (crèmes et/ou ovules). Il en existe 3 sortes : l’estradiol (ou estrogènes de synthèse : Estring®), l’estriol (ou estrogènes naturels Trophicrème®) et les analogues (Promestriène : Colpotrophine®) ;
agonistes du récepteur β3-adrénergique (mirabégron, Betmiga®) : peu d’effets secondaires, efficacité prouvée contre placebo, mais non remboursé. Il entraîne une relaxation du détrusor et une augmentation de la capacité vésicale ;
électrostimulation des nerfs périphériques (TENS) : Il s’agit d’une électrostimulation du nerf tibial postérieur par voie transcutanée, qui inhibe les contractions anormales de la vessie. Location à la pharmacie de la machine (Urosim2®) et sélection d’un programme parmi 9 (séance de 20 minutes) ;
injection intra-détrusorienne de toxine botulique (botox) : Elle se fait au bloc sous anesthésie locale. Le risque de dysurie postopératoire (5 %) nécessite un apprentissage des autosondages en préopératoire. Un ECBU est réalisé à J10, ainsi qu’une échographie pour mesure du résidu post-mictionnel à J15. L’amélioration clinique est visible dès 2 semaines. Une nouvelle injection peut avoir lieu au bout de 3 mois, et généralement l’efficacité est de 6 mois.
Incontinence urinaire à l’effort
Spécificités après traitement d’un cancer du col utérin
La chirurgie du cancer du col utérin (colpo-hystérectomie totale) présente un risque de syndrome rétentionnel par lésions des nerfs à proximité de la vessie. La radiothérapie pelvienne peut entraîner une immobilité de l’urètre, ce qui diminue l’efficacité de la bandelette sous-urétrale et augmente le risque d’exposition prothétique. Un bilan urodynamique est obligatoire avant toute chirurgie de l’incontinence urinaire à l’effort, mais encore plus après traitement d’un cancer du col (éliminer une mauvaise vidange vésicale ou un résidu post-mictionnel).
Prise en charge thérapeutique
Le traitement de l’incontinence urinaire à l’effort est résumé dans le tableau 2 :
la réduction pondérale (pratique d’une activité sportive et réduction des apports caloriques) et la rééducation périnéale (exercices de contractions volontaires du périnée) sont les traitements de première intention ;
utilisation d’estrogènes locaux ;
utilisation d’un pessaire DISH Diveen® ;
mise en place d’une bandelette sous-urétrale (traitement de deuxième intention après échec de la rééducation si présence d’une hypermobilité cervico-urétrale).En cas d’exposition prothétique vaginale, il faut réséquer la partie de la prothèse exposée. Si récidive de l’incontinence urinaire à l’effort après résection, on peut discuter une colposuspension selon Burch. En cas d’insuffisance sphinctérienne, on préfère un TVT rétropubien au TOT (PCUM < 30 cm H2O). La radiothérapie n’est pas une contre-indication à la pose d’une bandelette sous-urétrale, mais il y a un risque accru d’exposition prothétique vaginale ou urétrale ; Une immobilité de l’urètre est un facteur de risque d’échec de la bandelette sous urétrale.
Laser vaginal ;
mise en place d’un sphincter artificiel (contre-indiqué sur des tissus radiques).
Prise en charge des troubles de la vidange vésicale
Les troubles de la vidange vésicale peuvent être pris en charge par : rééducation périnéale, neuromodulation (TENS) ou autosondages si résidus symptomatiques (infections à répétition, incontinence urinaire par regorgement, pesanteur pelvienne ou pollakiurie).
Prise en charge d’un prolapsus
Pour un prolapsus, plusieurs stratégies thérapeutiques peuvent être proposées (tableau 3) :
rééducation périnéale : celle-ci a un effet démontré sur la diminution des symptômes associés au prolapsus et une diminution de la sévérité du prolapsus ;
estrogènes locaux ;
mise en place d’un pessaire. Il est à proposer à toute patiente ayant un prolapsus, mais très peu le choisiront et très peu le garderont. La population cible est une femme âgée avec des comorbidités rendant la chirurgie risquée. Le choix du type de pessaire se fait selon les mensurations du vagin, le type et le stade du prolapsus, s’il y a une incontinence urinaire à l’effort associée, s’il y a des troubles cognitifs et si la patiente a encore une activité sexuelle. Il est parfois très difficile, voire impossible à poser après radio ou curiethérapie si le vagin est très court et non ampliable. Il peut être intéressant de commencer par de la colpotrophine 6 semaines pour diminuer l’atrophie avant la mise en place du pessaire ;
la chirurgie avec ses complications spécifiques sur pelvis opéré/irradié. Il faut privilégier un traitement radical non prothétique : colpocléisis (colpohystérectomie) si plus de rapports sexuels. En cas de femme jeune, on peut proposer une promontofixation. La radiothérapie et l’hystérectomie totale sont des facteurs d’exposition prothétique.
On peut proposer une estrogénothérapie pour limiter les expositions prothétiques, mais le bénéfice n’est pas démontré ;
laser.
Prise en charge des troubles de la sexualité
Les troubles de la sexualité sont la conséquence de plusieurs mécanismes intriqués :
carence estrogénique ;
diminution de la longueur vaginale ;
défaut de lubrification vaginale ;
asthénie, altération de l’image corporelle, syndrome anxiodépressif.
Les troubles de la sexualité sont bien plus marqués après radiothérapie qu’après chirurgie (colpo-hystérectomie élargie). Les vulvodynies sont des douleurs inconfort depuis plus de 3 mois et sans cause sous-jacente (pas de lichen, pas d’infection vaginale). On peut proposer à ces patientes :
de la lidocaïne gel ;
apprendre à relâcher les muscles du plancher pelvien ;
un soutien psychologique ;
de l’acide hyaluronique local ± injectable. Les indications de l’acide hyaluronique regroupent : sécheresse, inconfort, démangeaisons et irritations. Il simule et réhydrate les couches superficielles de la muqueuse génitale. Il existe sous différentes formes : Mucogyne® (gel à usage intime), Cicatridine® (ovules vaginaux), Désirial® (acide hyaluronique injectable) ;
traitement par luminothérapie puis laser ;
en dernière intention des injections de botox.
Le syndrome génito-urinaire est la conséquence d’une carence estrogénique et de modifications morphologiques et fonctionnelles par atrophie vulvo-vaginale, sensation de brûlure, sécheresse vaginale, urgenturies. Les traitements proposés à ces patientes sont proches des traitements proposés pour les vulvodynies (tableau 4) :
acide hyaluronique local ± injectable ;
estrogènes locaux (à commencer après 1 mois d’acide hyaluronique) ;
soutien psychologique ;
traitement par LED puis laser ;
SERM ou modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes en dernière intention.
Le laser (ou Light Amplification by Simulated Emission of Radiation) est indiqué dans : le syndrome génito-urinaire de la ménopause, l’atrophie vulvo-vaginale, les douleurs vaginales (post-partum, post-radiothérapie, post-chirurgie), l’incontinence urinaire ou le prolapsus génital. Il s’agit d’une séance par mois de 10 minutes pendant 3 mois.
La luminothérapie ou LED est de la photothérapie utilisant les propriétés biologiques de la lumière. Cette dernière déclenche des réactions biologiques dues à des évènements non thermiques non cytotoxiques (activation de la voie de signalisation de l’ATP par la cytochrome C oxydase). Elle est indiquée dans le cadre de la prise en charge de la douleur et de l’atrophie. Il s’agit d’une séance par semaine de 5 minutes pendant 8 semaines.
Publié dans Gynécologie Pratique
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