Gynécologie & Sénologie
Publié le 27 jan 2022Lecture 11 min
THM et risque de cancer du sein - À propos des recommandations de l’ANSM pour l’information des patientes
Bureau du groupe d’étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (geMVi)*
Après la publication d’une analyse des recommandations de l’ANSM pour l’information des patientes sur les relations entre THM et risque de cancer du sein (Gynécologie & Obstétrique Pratique, n°336-337, juin-septembre 2021), basée sur une étude publiée dans le Lancet en 2019(1), il nous a semblé important d’apporter l’éclairage des membres du bureau du GEMVi, avec un certain nombre de critiques que nous avions déjà publiées dès 2019(2) et qui peuvent être retrouvées sur notre site Internet. De plus, nous les avons actualisées, à la lumière de la publication par le British Medical Journal (BMJ) en décembre 2020, d’une nouvelle grande étude de cohorte anglaise(3).
L'article du Lancet de 2019(3) rapporte les résultats d'une métaanalyse de 58 études d'observation, rétrospectives et prospectives, réalisées aux états-Unis et en Europe, qui avait évalué l’association entre la prise d’un THM et le risque de cancer du sein.
Dans ce travail, 108 647 cas de cancers du sein ont été colligés avec un âge moyen au diagnostic de 65 ans. Parmi ces femmes, 51 % avaient pris un THM, avec une durée moyenne de THM de 10 ans pour celles en cours de traitement au diagnostic et de 7 ans lorsque le cancer était diagnostiqué après l’arrêt du THM.
Les auteurs se sont plus particulièrement attachés à définir les relations entre le risque du cancer du sein et la durée du THM ainsi que le type de THM.
Quels sont les principaux résultats ?
Le THM est associé à une augmentation du risque de cancer du sein avec la durée de traitement qui perdure jusqu’à 10 ans après son arrêt. Pour les auteurs, en supposant que la relation soit causale, 5 ans de THM associant estrogènes (E) et progestatifs (P) augmenteraient le risque de cancer du sein sur 20 ans de 6,3 à 8,3 % dans la population non traitée, soit une augmentation du risque absolu de cancer du sein au bout de 20 ans de 1 cas pour 50 femmes traitées à 50 ans pendant 5 ans (puis ne prenant plus le traitement pendant 15 ans).
Le risque associé aux combinaisons E+P est plus élevé que le risque associé aux E seuls, avec pour ce traitement un risque à 20 ans qui passe de 6,3 à 6,8 %, soit au bout de 20 ans un surrisque absolu de 1 cas pour 200 femmes traitées à 50 ans pendant 5 ans.
Il n’y a pas de différence entre les différents types d’estrogènes utilisés (estradiol ou estrogènes conjugués équins [ECE]) comme avec les différents types de progestatifs associés aux estrogènes y compris avec la progestérone micronisée.
L’augmentation du risque est retrouvée pour toutes les tranches d’âge de début du THM, y compris lorsque le traitement était débuté chez des femmes ménopausées avant 50 ans.
Le risque de cancer du sein est élevé chez les femmes ménopausées, en surpoids et obèses, ne prenant pas de traitement, avec un risque comparable à celui d’une femme de poids normal qui prendrait un THM par estrogènes seuls.
Que penser de ces données et quelles en sont les limites ?
L’augmentation du risque de cancer du sein avec la durée du THM a largement été documentée depuis la métaanalyse d’Oxford publiée en 1997 et avec un niveau de preuve incontestable pour l’essai clinique WHI. De même, toutes les études s’accordent sur le fait que le risque est plus élevé avec les associations E+P qu’avec les E seuls.
La plupart des résultats rapportés par cette métaanalyse ne sont donc pas nouveaux.
Même si elle concerne un nombre très important de cas de cancer du sein, il faut souligner que la méthodologie d’analyse est complexe en raison de données manquantes pour certaines variables (l’âge de la ménopause par exemple n’était disponible que dans 50 % des cas!) et de nombreuses imputations faites pour tenter de respecter la temporalité de l’exposition au THM lors du suivi.
De plus, les résultats sont pour la plupart, issus d’études d’observation relativement anciennes et soumises à de nombreux biais. En particulier pour les études européennes prospectives retenues, près de 70 % des cas de cancer provenaient de deux études anglaises : la Million Women Study(4), publiée en 2003 (et à l’époque largement critiquée pour ses nombreux biais méthodologiques), et une étude d’observation des généralistes anglais jamais publiée. L’année médiane au diagnostic du cancer du sein date par ailleurs de 1999 pour les études américaines et de 2007 pour les études européennes qui avaient été faites, pour les plus anciennes, en 1981 ! La durée moyenne de THM au diagnostic du cancer du sein chez les femmes traitées est ainsi de 10 ans, la majorité des données concernant des femmes ayant eu un cancer avant la publication de l’étude WHI en 2002.
De fait, cette métaanalyse rapporte des données d’étude sur des types de THM, en particulier des progestatifs de synthèse, que sont l’acétate de médroxyprogestérone (MPA), l’acétate de noréthistérone et le (lévo)norgestrel, que nous n’utilisons plus en France, notamment depuis la publication de l’étude WHI en 2002.
Notons que même si les auteurs rapportent également une augmentation du risque de cancer du sein avec la progestérone micronisée (PG) ou la dydrogestérone (DG), cela ne concerne que très peu de cas, par exemple 38 cas de cancers pour la PG (contre plus de 8 000 cas pour les autres progestatifs). L’étude française E3N(5,6) qui avait montré l’absence de surrisque associé à la PG ou à la DG pour une durée moyenne de traitement de l’ordre de 5 ans n’a pas été incluse dans cette métaanalyse pour des raisons que nous ne connaissons pas. La question avait été posée aux auteurs par une demande au Lancet, mais nous n’avons jamais eu de réponse. Seule l’étude européenne EPIC(7) a été prise en compte dans la métaanalyse ; elle ne comporte qu’une petite partie de la cohorte E3N et avec des données sur le THM uniquement à l’inclusion.
Parmi les nombreux biais méthodologiques de cette métaanalyse, le meilleur exemple est donné par l’augmentation du risque rapportée avec les estrogènes conjugués équins (ECE) donnés seuls sans progestatifs chez les femmes hystérectomisées alors que l’essai randomisé WHI (de niveau de preuve méthodologique peu contestable) avait montré, au contraire, une diminution significative de ce risque chez les femmes traitées par ECE seuls.
Les auteurs tentent d’expliquer cette différence par un âge plus élevé au début du traitement dans la cohorte WHI ou par une augmentation de la densité mammographique qui n’aurait pas permis le diagnostic du cancer. Ces deux arguments peuvent être rapidement battus en brèche puisque la diminution du risque de cancer du sein avec les ECE était également retrouvée chez les femmes en début de ménopause, dans la tranche d’âge 50-59 ans de l’étude WHI. Le risque à 18 ans était diminué, tout comme la mortalité par cancer du sein, de 45 % chez les femmes initialement traitées par ECE seuls(8) et contrairement à ce qui est rapporté à distance de l’arrêt du traitement dans la métaanalyse de V. Beral. Par ailleurs, les estrogènes seuls n’augmentent pas la densité mammographique, contrairement aux associations E+P.
Par ailleurs, les auteurs rapportent que le risque de cancer du sein est augmenté pour toutes les tranches d’âge, dès 40 ans. Ce résultat est soumis à un biais important lié au fait que les auteurs ont comparé, dans ces tranches d’âge, le risque de cancer du sein des femmes ménopausées précocement prenant un THS au risque de femmes ménopausées au même âge mais ne prenant pas de THS. Or, il est bien connu que le risque de cancer du sein diminue avec un âge précoce de la ménopause. Les femmes ménopausées entre 40 et 45 ans voient leur risque de cancer du sein diminuer d’environ 30 % par rapport aux femmes toujours réglées. Le traitement hormonal pour ces femmes jeunes ne fait donc que restaurer le risque des femmes en activité génitale. Il aurait fallu comparer le risque de ces femmes jeunes ménopausées et prenant un traitement réellement substitutif (THS) à celui de femmes de même âge mais encore réglées, ce qui n’a pas été fait !
En outre, il est important de prendre en compte chez ces mêmes femmes ménopausées jeunes, et plus particulièrement avant 45 ans, l’augmentation importante du risque cardiovasculaire, cognitif, d’ostéoporose et, plus largement, la mortalité globale qui est retrouvée dans toutes les études. Un THS doit donc rester recommandé dans ces conditions, au moins jusqu’à l’âge de la ménopause physiolo- gique normale (aux alentours de 51 ans), pour diminuer la totalité des risques de santé induits par la carence estrogénique précoce, et comme cela est préconisé par toutes les sociétés savantes, comme les agences de santé.
Plus récemment, une nouvelle étude de cohorte de grande ampleur publiée en décembre 2020 dans le BMJ(2) apporte un éclairage complémentaire sur les relations entre THM et risque de cancer du sein, particulièrement en fonction du type de progestatif utilisé.
Elle a été réalisée à partir de données de deux très grands registres de médecins généralistes anglais qui ont colligé sur les 20 dernières années (entre janvier 1998 et décembre 2018), 98 611 cas de cancer du sein diagnostiqués chez des femmes âgées de 50 à 79 ans, appariés à 457 498 contrôles. Comparativement aux femmes contrôles, les « cas » étaient plus volontiers en surpoids ou obèses (53 % versus 50 %), plus souvent fumeuses (29 % vs 27 %), avaient plus souvent un antécédent de pathologie bénigne du sein (9 % vs 7 %) ou une histoire familiale de cancer du sein (4 % vs 2,5 %). Cette étude retrouve également une augmentation du risque de cancer du sein avec la durée du THM, mais elle montre que, comme dans les études françaises(5,6,9), quelle que soit la durée d’utilisation, l’association estradiol et dydrogestérone est toujours associée à un risque de cancer du sein significativement plus faible qu’avec les autres progestatifs de synthèse étudiés, noréthistérone, lévonorgestrel ou MPA. De plus, à l’arrêt du THM, l’augmentation du risque de cancer du sein semblait disparaître dans les 2 ans pour tous les traitements sauf pour les associations estrogènes et MPA où le risque persistait à un moindre degré jusqu’à 5 ans et pour le lévonorgestrel, jusqu’à 10 ans.
À noter que, dans cette publication comme dans toutes les publications dont la métaanalyse du Lancet, les estrogènes locaux (crèmes ou ovules) n’augmentent pas le risque de cancer du sein.
Au total
On ne peut que regretter que la métaanalyse du Lancet, dont les résultats sont largement critiquables, ne s’attache (une nouvelle fois) à n’évaluer l’impact du THM qu’au travers de la lorgnette du cancer du sein. Ce risque est connu, et il n’est pas question ici de le négliger ; l’ensemble des gynécologues comme des médecins qui prescrivent le THM y est très attentif.
Ce type d’article épidémiologique tend de plus à occulter l’ensemble des bénéfices reconnus du THM pour corriger les symptômes du climatère, améliorer la qualité de vie des femmes qui sont impactées par la carence estrogénique de la ménopause, tout comme la diminution des risques d’ostéoporose, des maladies cardiovasculaires ou de la mortalité globale telle qu’elle a été rapportée à la fois par l’étude WHI et par toutes les études d’observation.
Plus particulièrement depuis la publication de l’étude WHI, les médecins français sont attachés à cette vision holistique de la santé des femmes, qui va à l’encontre de la vision de beaucoup d’épidémiologistes qui ne s’intéressent qu’à l’étude d’un risque donné (plus souvent du reste que d’un effet bénéfique...) sans prendre en compte la balance bénéfices-risques globale du THM.
On peut ainsi s’interroger sur l’intérêt réel de publier une énième analyse des relations entre cancer du sein et THM à partir d’études vieilles de plus de 20 ans, et surtout concernant des traitements que nous n’utilisons plus depuis au moins 15 ans. L’utilisation préférentielle en France de l’estradiol cutané associé à la progestérone micronisée ou à la dydrogestérone n’a ainsi pas été associée à un surrisque de cancer du sein dans les études d’observation françaises pour des durées de traitement de l’ordre de 5 à 7 ans(5,6,9), ce qui a été confirmé, tout au moins pour la DG, par trois autres études européennes dont la dernière étude de cohorte anglaise publiée en 2020(2). C’est ce que nous avons souligné dans les RPC sur les femmes ménopausées, issues d’une collaboration entre les experts du GEMVi et ceux du CNGOF, qui viennent d’être publiées dans la revue française Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie en 2021(10).
Enfin faut-il rappeler que moins de 8 % des femmes françaises prennent actuellement un THM ? Pourtant, et contrairement aux données épidémiologiques initialement rapportées dans les années post-WHI, le risque de cancer du sein ne cesse d’augmenter en France(11) comme dans tous les pays européens(12,13), malgré une moindre utilisation de ce traitement. À ce titre, l’obésité et la consommation d’alcool voire le tabagisme sont autant de facteurs de risque de cancer du sein, dont le poids est comparable, voire plus élevé que celui d’un THM prescrit à bon escient, qu’il serait de bon ton de rechercher et contre lesquels il serait souhaitable de lutter (non seulement pour leurs impacts sur le risque de cancer du sein, mais aussi sur les risques cardiovasculaires et ostéoporotiques) avant de condamner le THM.
Notons que dans le même temps l’incidence des fractures ostéoporotiques ne fait que progresser tout comme celle des maladies cardiovasculaires chez la femme après la ménopause, même si la baisse des THM n’en est évidemment pas le seul facteur explicatif.
Pour conclure
Si le risque de cancer mammaire est un aspect important de la balance bénéfices-risques dans le choix de la prescription ou non d’un THM, les autres aspects que sont l’amélioration de la qualité de vie, l’évaluation des risques cardiovasculaires et de fractures ostéoporotiques sont aussi à prendre en compte dans la décision du traitement, sans oublier que la baisse de la mortalité pour les femmes traitées entre 50 et 60 ans est largement prouvée.
*Bureau du GEMVi : Pr Florence Trémollieres (présidente), Dr Gabriel André (vice-président), Pr Patrice Lopès (secrétaire général), Dr Brigitte Letombe (trésorière), Pr Anne Gompel, Pr Léon Boubli (représentant du CNGOF), Pr Claude Hocke, Pr Geneviève Plu-Bureau. Site Internet : www.gemvi.org/ membres/actumbr-article-59.php.
Publié dans Gynécologie Pratique
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