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Gynécologie & Sénologie

Publié le 17 déc 2020Lecture 12 min

Dépistage primaire de l’infection HPV – Place dans l’organisation du dépistage du cancer du col utérin

Michèle DEKER, Paris
Dépistage primaire de l’infection HPV

Le cancer du col utérin représente environ 3 000 cas chaque année et 1 000 décès en France. Soixante-quinze pour cent des femmes atteintes sont âgées de 25 à 65 ans. L’incidence de la maladie, évaluée entre 8 et 9 pour 100 000, n’a pas vraiment varié depuis ces 15 dernières années. Aujourd’hui, nous disposons de deux outils qui devraient permettre de gagner la bataille menée par le corps médical contre ce cancer : la vaccination et le dépistage avec l’introduction des tests virologiques qui s’inscrivent dans une nouvelle stratégie.

Plusieurs raisons expliquent l’absence de diminution de l’incidence du cancer du col utérin, malgré le dépistage. La première est qu’il s’agit d’un dépistage opportuniste, laissé à l’initiative individuelle, avec pour conséquences un surcroît de femmes sur-dépistées et de femmes non dépistées ou sous-dépistées, puisque le dépistage couvre moins de 60 % de la population cible. La deuxième raison tient à l’outil utilisé pour ce dépistage. Certes l’introduction du frottis a entraîné une baisse importante de la maladie après les années 1950, mais cet outil est imparfait. On admet au jourd’hui qu’environ un quart des cancers invasifs sont observés chez des femmes régulièrement dépistées par frottis, ce qui pose le problème de leur sensibilité.  Une nouvelle approche du dépistage Après bien d’autres pays, la France a finalement décidé de changer radicalement son approche en termes de prévention du cancer du col. La première mesure concerne l’organisation du dépistage en région, à l’instar du dépistage du cancer du sein ou du côlon. Les centres de gestion territoriaux prendront en charge l’organisation de ce dépistage, avec pour objectif d’en augmenter la couverture et d’y donner accès au plus grand nombre, en particulier à des populations défavorisées. Telle qu’elle est envisagée, la couverture du dépistage pourrait atteindre 72 %, ce qui représenterait une amélioration significative. La seconde évolution est le passage de la cytologie au test HPV. Le test HPV permet un dépistage ciblé sur une population à risque, contrairement au dépistage par frottis qui concerne une population tout-venant, sans tenir compte que seule une fraction de cette population est à risque de cancer du col. En ciblant une population à risque, on augmente la performance de la détection des lésions précancéreuses. Un test HPV négatif à un instant T assure avec une quasi-certitude que la femme n’a pas de risque de présenter une lésion précancéreuse ou un cancer à cet instant ou dans les 5 à 10 années à venir, ce qui permet d’exclure 85-88 % de la population d’un dépistage rapproché des plus de 30 ans, et concentrer les efforts de dépistage sur la population à risque. Un autre bénéfice du dépistage virologique est qu’il permettra de réaliser des auto-prélèvements, ce qui était impossible avec la cytologie, et espérer ainsi augmenter l’accès au dépistage des femmes qui ne consultent pas. L’histoire naturelle du cancer du col s’inscrit dans une longue durée. Quatre à 8 ans, voire 10 ans, séparent l’exposition au virus de l’apparition d’une lésion précancéreuse, puis encore 10 ans en moyenne avant celle d’un cancer. Le virus persiste sur le col durant ce long cheminement. Aussi la réalisation d’un test HPV en dépistage primaire permet elle de ne pas passer à côté de lésions précancéreuses s’il revient positif. Les études randomisées ont bien montré que le dépistage virologique augmente la détection des lésions précancéreuses d’environ 20 à 30 % comparativement à la cytologie. Cette détection est aussi plus précoce, d’où une prise en charge adaptée des lésions précancéreuses et une réduction d’incidence des cancers. Un test HPV négatif en dé pistage primaire rassure quant au risque de développer une lésion à court terme et pour les 5 à 10 ans à venir. Le test HPV est-il l’outil idéal ? La réponse est non, car la spécificité du test HPV n’est pas parfaite. La prévalence de l’infection HPV après l’âge de 30 ans est de 10 à 15 % en moyenne ; dans la population HPV positive des femmes âgées de plus de 30 ans, 4 % ont des lésions de haut grade. Deux approches permettent d’optimiser le dépistage primaire basé sur le test virologique. La première consiste à réserver le dépistage virologique aux femmes âgées de plus de 30 ans. Avant cet âge, la prévalence de l’infection est élevée, les infections sont transitoires et ne s’accompagnent souvent pas de lésions significatives. En prévention primaire, le dépistage HPV concernera donc les femmes de 30 à 65 ans. La seconde réside dans la sélection de la population HPV-positive, qui représente au maximum 10 à 15 % des femmes âgées de 30 à 65 ans. Ces femmes seront sélectionnées au moyen des frottis de dépistage (triage). Une colposcopie sera réalisée en présence d’un frottis anormal ASC-US+. Si le frottis est normal, un deuxième test HPV sera demandé un an plus tard. En revanche, si ce deuxième test signale la persistance d’une positivité pour le virus à un an, il faudra envisager une colposcopie. L’algorithme de dépistage a ainsi pour objectif de détecter avec plus de pertinence les lésions de haut grade et de libérer la vaste majorité des patients HPV négatives d’un dépistage trop rapproché (figure). Quels tests HPV ? Concernant les tests à utiliser, des normes internationales ont été formulées par des groupes d’experts sur la base des résultats d’études cliniques réalisées aux fins de dépistage primaire par test HPV. L’objectif des tests virologiques dans ce contexte n’est pas de faire un diagnostic d’infection à papillomavirus mais d’identifier les patientes à risque de présenter une lésion de haut grade ou un cancer. La sélection des tests est par conséquent faite non pas sur ses performances analytiques intrinsèques mais sur ses performances cliniques, autrement dit sur leur capacité à déterminer si la femme est à risque en cas de positivité ou inversement qu’elle n’est pas à risque en cas de négativité, ce qui lui confère une protection d’une durée de 5 ans. Le Centre national de référence (CNR) est chargé de mettre à jour une liste des trousses de tests HPV validées cliniquement, afin qu’ils puissent être utilisés par les biologistes et les pathologistes. Les critères de choix ont été élaborés à partir des performances cliniques des tests de référence, parmi lesquels le test Digene® ainsi qu’un test développé par une équipe hollandaise. L’enjeu de cette étape de validation clinique est très important car il faut éviter que ces tests aient une trop faible spécificité clinique qui risquerait d’engendrer un surcroît d’examens complémentaires. Les tests HPV seront réalisés sur des frottis recueillis par le praticien ou par autoprélèvement. Lorsque le frottis est fait par le praticien, il devra être réalisé en milieu de cytologie liquide compatible avec le test HPV. La composition du milieu de recueil des cellules peut modifier les performances analytiques et cliniques du test, d’où la nécessité de s’assurer de la compatibilité du milieu de recueil des cellules avec le test. Le travail d’inventaire des milieux de recueil des cellules dépend aussi du CNR.  La démarche algorithmique du dépistage ne risque-t-elle pas d’aboutir à davantage d’ASC-US ? Comme le principe de triage consiste à débuter par un test HPV en 1re intention et de le faire suivre par une cytologie si le test est positif, le cytologiste risque en effet de sur-interpréter la cytologie en l’étiquetant ASCUS, ce qui favoriserait une augmentation du nombre de colposcopies inutiles. En effet, il est fréquent d’observer en colposcopie des modifications de la zone de transformation qui conduisent à réaliser une biopsie. Ces modifications sont souvent non spécifiques et conduisent à des diagnostics en excès et des traitements inutiles, comme cela a été bien montré. Il existe en effet une mauvaise concordance entre les résultats des lésions CIN1 fournis par plusieurs pathologistes différents (40 % dans une étude ayant impliqué 5 pathologistes). La reproductibilité diagnostique des diagnostics pathologiques n’est pas non plus optimale pour les lésions CIN2, en l’absence d’exploitation de la technique P16 permettant d’avaliser le diagnostic. Le risque d’inflation des colposcopies porté par ce nouvel algorithme de dépistage est réel, ce qui implique la nécessité d’évoluer dans un deuxième temps vers des outils de dépistage virologique plus pertinents basés sur d’autres marqueurs viro-moléculaires plus spécifiques. Le génotype viral est une de ces approches. En effet, le risque de CIN3 en population est estimé à 15-18 % lorsqu’il y a un portage HPV 16 comparé à 4 % en cas de test HPV positif (test cocktail) sans détermination précise du génotype. La conduite à tenir devrait varier en fonction du génotype, un HPV 16, 33 ou 31 implique un risque supérieur à 5 %, seuil critique qui invite à faire une colposcopie (ASCUS -HPV+). En présence d’un frottis ASC-US HPV-positif, le risque de CIN3 est de 4 % environ tous types confondus avec un risque de CIN de haut grade de 15 à 20 % ; en dépistage l’indication d’une colposcopie immédiate sans triage cytologique est ainsi proposée dans d’autre pays. Cette indication ne figure pas dans les recommandations françaises actuelles. D’autres outils sont en cours d’évaluation, lesquels devraient faciliter le meilleur ciblage des lésions de haut grade : la méthylation, le séquençage des HPV. Le test d’immunomarquage p16 manque de reproductibilité et ne peut être con sidéré comme un moyen de dépistage en l’état actuel. Une stratégie de dépistage appelée à évoluer La stratégie de la HAS ne différencie pas la prise en charge en fonction du génotype, bien que des informations complémentaires sur certains génotypes puissent améliorer la spécificité du dépistage. Le génotypage n’est pas encore recommandé en France. Beaucoup des trousses de dépistage isolent les HPV 16 et 18, voire HPV 45. Les trousses cocktail ne seront bientôt plus utilisables car elles ne répondent pas complètement à l’ensemble des critères demandés par la HAS. Aussi les cliniciens, les biologistes et les pathologistes pourront-ils bientôt apprendre à se servir de ces informations importantes pour moduler leurs pratiques. L’accès au génotypage partiel ou complet pourrait aboutir à un changement de la stratégie de dépistage. Selon la stratégie actuellement recommandée, une femme ayant un test HPV positif (de génotype indéterminé) bénéficie d’un frottis. Si le frottis est négatif, un autre test HPV est réalisé un an plus tard. La positivité de ce deuxième test HPV fait considérer qu’il s’agit d’une infection persistante, sans que l’on sache s’il s’agit du même génotype ou d’un autre. Cette notion de persistance est assez grossière sachant les trousses de dépistage détectent indifféremment une quinzaine de types de papillomavirus, abusivement dénommés à haut risque ou oncogènes, alors que 7 génotypes (16, 18, 31, 33, 45, 52, 58) seulement sont responsables des précancers et des cancers. L’objectif du dépistage devrait idéalement cibler les femmes portant ces génotypes à risque, dont la persistance à un an d’intervalle incite à redoubler de vigilance en colposcopie. L’élargissement de la couverture vaccinale est-elle de nature à modifier les recommandations de dépistage ? Les premiers vaccins contre le papillomavirus à 4 valences offraient une protection vis-à-vis des HPV 16 et 18, qui sont responsables à eux seuls de 60 % des lésions précancéreuses. Par conséquent les femmes ainsi vaccinés ont encore une probabilité significative de développer une lésion de haut grade (40 à 50 %) et doivent poursuivre le programme de dépistage comme les non-vaccinées. Depuis 2 ans, nous disposons d’un vaccin à 9 valences qui protège contre les 7 virus à haut risque responsables de 90 % des lésions de haut grade. Les jeunes filles vaccinées aujourd’hui ont par conséquent une forte probabilité d’être presque totalement protégées. Il sera temps dans une dizaine d’années de réévaluer la stratégie de dépistage concernant ces femmes, car 3 ou 4 tests HPV durant la vie d’une femme seraient probablement suffisants. En augmentant la couverture vaccinale, l’incidence des lésions précancéreuses et du cancer du col de l’utérus devrait diminuer. Dans les populations vaccinées, le dépistage par test HPV sera très utile. Le délai prolongé entre les dépistages ne risque-t-il pas de nuire au suivi gynécologique ? Dans le cadre du dépistage organisé, les femmes HPV-négatives ne sont reconvoquées que 5 ans plus tard. Ce dépistage ne se conçoit qu’avec la certitude de revoir ces femmes tous les 5 ans, ce que le dépistage organisé s’efforcera d’obtenir par le système de convocation et re convocations. Dans ce laps de temps, il est improbable que la femme développe une lésion de haut grade dans l’intervalle de 5 ans du dépistage, même si l’exposition à un HPV à risque est possible durant cette période compte tenu de l’histoire naturelle des HPV. Ne sont pas concernées par ce dépistage classique les femmes considérées à risque qui ont un antécédent d’infection HPV, de frottis anormal, de conisation, d’immunodépression, ou les femmes qui n’ont jamais eu de dépistage ou un dépistage datant de 10 à 15 ans, ou des femmes symptomatiques. Le clinicien doit garder à l’esprit que, même si le test HPV est beaucoup plus sensible que la cytologie, il reste 1,5 à 2 % de tests faussement négatifs alors que la pathologie est bien réelle. Le bon sens du clinicien doit s’exercer tout particulièrement chez les femmes à risque qui sortent du dépistage standard, en demandant si besoin un deuxième test HPV de confirmation à un an d’intervalle si le 1er était négatif. Auto-prélèvement, une réelle opportunité pour élargir le dépistage L’auto-prélèvement permettra d’accéder à des populations sous-dépistées et pourra aussi être utilisé par certains professionnels, tels que les médecins généralistes peu investis dans le dépistage jusqu’à présent. Il faut néanmoins savoir que tous les tests HPV ne sont pas utilisables dans cette procédure. Les seuls qui devraient être utilisés sont basés sur la PCR, tests majoritairement utilisés aujourd’hui. En revanche, sont écartés les tests avec amplification du signal au risque de perte de sensibilité clinique donc de faux négatifs. Seuls les correspondants biologistes ou pathologistes sont à même de renseigner sur les tests HPV qu’ils utilisent. Quelle conduite à tenir chez les patientes à risque qui sortent du dépistage classique ? Les femmes ayant un antécédent lésionnel de CIN3 traitées par conisation sortent du dépistage standard. Même si elles se sont négativées en HPV en postopératoire 6 à 9 mois après, ces femmes sont plus à risque que d’autres. On leur proposera un test HPV à 3 ans. Sont également considérées à risque les femmes symptomatiques (métrorragies provoquées), les femmes qui n’ont jamais participé à un dépistage ou de manière anarchique et les femmes immunodéprimées. Il revient au praticien de juger si une colposcopie est nécessaire ou s’il faut conforter l’absence de risque par un deuxième test HPV négatif à quelques mois d’intervalle. Quelle est la spécificité/sensibilité du double marquage P16/ki67 ? Cet outil n’est pas recommandé dans le cadre du dépistage. Sa reproductibilité n’est pas optimale car il nécessite une évaluation visuelle, ce qui demande un réel entrainement. En France, ce test n’est avalisé que dans une indication, les LSIL chez les moins de 30 ans, situation où il a fait la preuve d’une bonne spécificité. Cytologie et test HPV sur le même frottis La recommandation est de ne faire qu’un seul frottis recueilli dans un milieu de cytologie liquide qui sert en premier lieu à faire le test HPV, le reste du prélèvement servant à la cytologie. Toutefois, l’auto-prélèvement ne pourra être utilisé que pour le test HPV ; en cas de positivité, la femme sera convoquée chez le médecin pour réaliser un nouveau frottis à visée cytologique. Cette approche pose une petite difficulté. En effet, le test HPV est réalisé par les laboratoires de biologie mais aussi par les laboratoires d’anatomopathologie, qui eux peuvent aussi faire la cytologie. Il faudra donc que les laboratoires de biologie s’organisent pour collaborer avec les cytopathologistes. Faut-il poursuivre le dépistage au-delà de 65 ans ? Une femme n’ayant pas d’antécédent lésionnel, ayant eu une vie de couple stable sans risque d’exposition au papillomavirus a une très faible probabilité de développer des lésions après 65 ans. En revanche, une femme ayant un antécédent ou non suivie ou ayant une nouvelle vie sexuelle dès 50-55 ans mérite d’être dépistée au-delà de 65 ans.

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