Publié le 01 sep 2020Lecture 11 min
Mélanome : 8 ans de progrès fulgurants
Michèle DEKER, Paris
Des progrès considérables ont été réalisés dans la prise en charge des mélanomes, qui se traduisent par des durées de survie globale et de survie sans progression que l’on ne pouvait pas espérer il y a 10 ans, même dans les formes métastatiques. Il reste néanmoins de nombreuses questions à résoudre en termes de stratégie thérapeutique à tous les stades de la maladie.
Que disent les recommandations européennes ?
Diagnostic
• Si un mélanome est cliniquement suspecté, il doit être confirmé par histopathologie.
• La dermoscopie est utilisée pour l’évaluation des lésions cutanées pigmentées et non pigmentées. Une formation en dermoscopie est obligatoire.
• La photographie corps entier avec examens séquentiels devrait être utilisée pour la détection précoce du mélanome chez les patients à haut risque.
• La dermoscopie numérique séquentielle peut améliorer la détection précoce du mélanome et devrait être utilisée chez les patients à haut risque avec un nombre élevé de nævus.
• Les techniques d’intelligence artificielle ne font pas encore partie des recommandations. Aujourd’hui, les machines sont supérieures aux dermatologues pour faire le diagnostic dermoscopique des images.
• La microscopie confocale au laser peut être utilisée pour une évaluation plus approfondie des lésions cutanées cliniquement/dermatoscopiquement équivoques.
Recommandations de suivi spécifiques à chaque étape
• L’échographie locorégionale des ganglions lymphatiques doit être réalisée pour tout mélanome à partir du stade T1B (à partir du T2 en France).
• Un suivi spécifique adapté au stade pour la détection de la récidive locale, ganglionnaire ou à distance doit être effectué pendant au moins 5 ans.
• Une détection de nouveaux cancers primaires et d’autres cancers de la peau devrait être effectuée pendant au moins 10 ans.
Chirurgie
• Le diagnostic repose sur l’exérèse avec une marge étroite (1-3 mm) et une biopsie uniquement en cas de grandes lésions rendant l’exérèse difficile, sur le visage et les régions acrales.
• Il est strictement interdit de faire des traitements à l’aveugle (laser, etc.).
• Marges chirurgicales : 0,5 cm si in situ ; 1 cm si < 2 mm d’épaisseur ; 2 cm si > 2 mm d’épaisseur. Des excisions plus importantes ne sont pas recommandées.
• Dans certains cas, selon la localisation, en cas de lentigo malin, mélanome de Dubreuil, mélanomes génitaux ou acraux, la chirurgie contrôlée au microscope peut être utilisée pour réduire les marges.
• La biopsie du ganglion sentinelle est nécessaire à partir du T1B, d’un Breslow > 1 mm ou > 0,8 mm avec des facteurs de risque histologiques supplémentaires.
Curage des ganglions lymphatiques
• Le curage lymphatique complet ne doit plus être pratiqué chez les patients atteints de micrométastases de ganglion sentinelle.
• Un traitement adjuvant systémique et un suivi spécifique du stade sont indiqués en présence d’un ganglion palpable.
Traitement adjuvant
• Un traitement adjuvant (anti-PD-1 ou thérapie ciblée) doit être offert à tous les patients aux stades IIIA-IIID et au stade IV entièrement réséqué.
• Un anti-PD-1 peut être offert aux patients aux stades IIA-IID et au stade IV entièrement réséqué, quel que soit le statut mutationnel.
• Les inhibiteurs BRAF + MEK peuvent être offerts aux patients présentant une mutation BRAF V600E/K aux stades IIIA-IIID.
• Pour le stade IIIA avec métastases nodales > 1 mm de grand axe, le rapport bénéfice/risque doit être sérieusement discuté avec le patient.
Traitement systémique au stade IV
• Chez les patients au stade IV, l’immunothérapie avec les checkpoints inhibiteurs doit être proposée en première ligne : monothérapie anti-PD-1 ou combinaison anti-PD-1 + anti-CTLA-4.
• Dans des scénarios particuliers de mélanomes de stade IV avec mutation BRAF V600E/600K, le traitement de première intention avec les inhibiteurs BRAF + MEK peut être proposé comme alternative à l’immunothérapie. Chez les patients présentant une résistance primaire à l’immunothérapie et porteurs d’une mutation BRAF, ce traitement doit être offert en seconde intention.
Radiothérapie des métastases cérébrales
• Les patients atteints de métastases cérébrales doivent être traités par radiothérapie stéréotaxique. La chirurgie peut être une option lorsque cette dernière n’est pas possible.
• La radiothérapie du cerveau entier devrait être abandonnée.
Où en sommes-nous dans le traitement du mélanome métastatique ?
Après 5 ans d’anti-PD-1 (pembrolizumab), la survie globale est de 34 % et la survie sans progression de 21 %. Les résultats sont encore meilleurs en 1re ligne : 29 % et 42 % respectivement. La durée médiane de la réponse n’est pas atteinte chez 73 % des patients (82 % en 1re ligne). On observe 17 % d’effets se condaires de grade 3-4 (Ann Oncol 2019 ; 30 : 582-8).
Après 5 ans d’anti-CTLA-4 + anti-PD-1 (nivolumab + ipilimumab), la survie globale et la survie sans progression sont de 52 % et 36 %, respectivement, sans différence de résultat selon le statut BRAF. Les effets secondaires grades 3 et 4 sont observés dans 59 % des cas ; ces effets sont résolu tifs, hormis les effets endocri niens (N Engl J Med 2019 ; 381 : 1535-46). Après 5 ans d’anti-BRAF/anti-MEK (dabrafénib + Tramétinib®), la survie globale et la survie sans progression sont de 34 % et 19 % respectivement. Les résultats sont meilleurs lorsque les LDH sont normaux et les sites tumoraux moins nombreux (< 3). Les effets secondaires (fièvre 4 %) conduisent à un arrêt définitif du traitement chez 18 % des patients (N Engl J Med 2019 ; 381 : 1535-46).
Plusieurs essais ont été présentés au congrès ASCO 2019.
Après 5 ans d’anti-BRAF/anti- MEK (vémurafénib + Cobimétinib®), la survie globale et la survie sans progression sont de 30,8 % et 14 % respectivement, avec une meilleure réponse si les LDH sont normaux. On note 61 % d’effets secondaires 3-4. Après 4 ans de traitement par Encorafénib® + Binimétinib®, la survie globale et la survie sans progression sont de 39 % et 25 %, avec une meilleure réponse si les LDH sont normaux et mutation V600K (versus V600E) et 68 % d’effets secondaires de grade 3-4.
Si l’on considère les résultats en termes de traitement optimal (survie sans progression/inverse de la toxicité), le meilleur résultat est obtenu avec l’anti-PD-1. Deux études ont recherché une différence d’efficacité et de tolérance entre les trois combinaisons de thérapie ciblée : vémurafénib + Cobimétinib®, dabrafénib + Tramétinib®, Encorafénib® + Binimétinib®. La première est une analyse ajustée sur les essais contrôlés randomisés incluant 1 230 patients versus vémurafenib comme témoin ; elle ne révèle aucune différence statistiquement significative en termes de survie globale, survie sans progression et taux de réponses, mais des profils d’effets secondaires différents (Clin Transl Oncol 2019). La deuxième étude est fondée sur les bases de données bibliographiques, les rapports d’évaluation publics ainsi que les documents de la FDA et EMA, avec le vémurafenib comme témoin. Elle ne montre pas de différence sur la survie sans progression et le taux de réponse global, mais des différences sur la médiane de survie globale : Encorafénib®/Binimétinib® 33,6 mois ; dabrafénib/Tramétinib® 25,6 mois ; vémurafénib/ Cobimétinib® 22,3 mois. Le profil d’effets secondaires est propre à chaque combinaison (Cancer 2019 ; 11 : 1642).
L’étude de phase 3 T-VEC (talimogène laherparepvec versus GM-CSF) a évalué un traitement intralésionnel par un virus oncolytique dans le mélanome stade IV non résécable. Sur un suivi médian de 49 mois, la médiane de survie globale est de 23,3 mois vs 18,9 mois, avec de meilleurs résultats chez les patients stades IIIB et IVM1. Cette approche serait particulièrement intéressante en association aux traitements systémiques ; il s’agit en effet d’un excellent inducteur d’un profil interféron gamma du microenvironnement tumoral.
Nouvelles stratégies
L’objectif actuel est d’améliorer la survie grâce à des combinaisons entre l’immunothérapie et les thérapies ciblées, administrées soit simultanément soit de manière séquentielle. Les anti-BRAF sont capables d’augmenter l’expression du HLA et d’antigènes de mélanome, et modulent l’expression de PDL1. Les anti-BRAF/anti-MEK seraient en fait des immunomo-dulateurs qui permettraient de préparer le terrain à l’immunothérapie.
La combinaison anti-BRAF/anti- MEK associée à un anti-PD-1 a été testée sur un nombre limité de patients métastatiques, avec 73 % d’effets secondaires grade 3-4 (toxicité hépatique, fièvre, neutropénie) et 73 % de réponses, dont 6/15 patients se maintenant après un suivi médian de 27 mois (Nature Medicine 2019 ; 25 : 936-40). La deuxième étude, KEYNOTE 022, testant la combinaison anti-BRAF/anti-MEK + pembrolizumab vs anti-BRAF/anti-MEK montre une amélioration de la survie sans progression de 59 % vs 27 % à 1 an, avec 58 % d’effets secondaires grade 3-5 vs 27 % (Nature Medicine 2019 ; 25 : 941-6). Un essai de phase 1 b chez des patients mutés BRAF V600 a comparé un bras anti-PDL1 + anti-BRAF à un bras anti-MEK/anti-BRAF pendant 28 jours suivis de l’association des trois. Les taux de réponse sont de l’ordre de 71 %, la durée médiane de la réponse est de 17 mois, avec 40 % de répondeurs après 30 mois de suivi et 67 % d’effets secondaires grades 3-4 (Nature Medicine 2019 ; 25 : 929-35). Les résultats de l’étude IMspire 170, chez des patients mutés BRAF V600 ayant un mélanome métastatique non résécable, ont comparé l’association anti-MEK + anti-PD-L1 vs anti-PD-1 ; l’étude ne montre pas d’amélioration de la survie sans rechute avec l’association.
Au final, la triple combinaison peut, certes, améliorer l’efficacité au prix d’une majoration des effets secondaires.
L’approche séquentielle est fondée sur l’action rapide la thérapie ciblée et le maintien de la réponse grâce à l’immunothérapie. Trois études sont en cours pour tester différents protocoles.
Nouvelles cibles potentielles
Plusieurs autres cibles potentielles sont aujourd’hui explorées, en complément des traitements déjà disponibles. Une approche cible les récepteurs des lymphocytes T : deux agonistes activateurs de la réponse immunitaire, 4-1BB (urelumab) et NKTR-214 (interleukine 2 pégylé) sont évalués. Une autre approche est de bloquer l’OX40 dont l’activation entraîne l’apoptose des cellules T CD8+, ou le GITR (anti-glucocorticoide-induced necrosis facor receptor) pour inhiber la fonction Treg et activer les lymphocytes T CD8+. Une autre voie est celle de l’adénosine : on a montré que l’hydrolyse de l’ATP extracellulaire en adénosine par les ectonucléotides peut altérer significativement l’immunité antitumorale de multiples cancers, dont le mélanome. Cette voie cible deux ecto-nucléotides : CD39 et CD73. Enfin, les « phagocytosis check-point » représentent une dernière approche.
Traitement adjuvant du mélanome
Quatre essais ont montré que les anti-BRAF, les anti-PD-1 et les anti-CTLA4 sont efficaces en traitement adjuvant, mais cette protection est-elle durable ?
L’effet de l’ipilimumab se prolonge au moins jusqu’à 7 ans (essai EORTC), mais le bénéfice est relativement faible comparativement à celui des autres stratégies. Avec la stratégie anti- BRAF/anti-MEK (essai COMBIAD), le bénéfice est maintenu à un suivi médian de 3,7 ans. Dans l’étude nivolumab vs ipilimumab (CheckMate 238), le suivi n’est que de 2 ans et dans l’étude pembrolizumab vs placebo, il n’est que de 1,3 an.
Quel sera le bénéfice final des traitements utilisés tôt pour le patient ? Les patients traités en adjuvant survivront-ils plus longtemps que s’ils avaient été traités au stade métastatique ? La supériorité du traitement adjuvant est démontrée pour l’ipilimumab et probable pour les anti-BRAF/anti-MEK, et espérée pour les anti-PD-1.
Les traitements adjuvants ont été testés essentiellement dans les maladies ganglionnaires régionales (stades III). Sont-ils aussi utiles dans les stades IV après résection complète des métastases à distance ? Dans un sous-groupe de l’étude CheckMate 238 chez des patients en stade IV, un bénéfice en survie sans récidive du traitement adjuvant apparaît. Il en est de même dans l’essai Immuned.
Peut-on faire un traitement adjuvant au stade II ? Des études sont en cours dans les stades IIb/c traités par anti- PD-1.
Quid du néoadjuvant ? Sont concernés des patients ayant une maladie ganglionnaire volumineuse, difficilement opérables, qui ont longtemps été traités par chimiothérapie afin de faciliter l’intervention chirurgicale. Le paradigme est en train de changer dans le traitement néoadjuvant et s’oriente vers plusieurs pistes : potentialiser le traitement adjuvant ; sélectionner le traitement adjuvant ; se substituer au traitement adjuvant ; se substituer à la chirurgie radicale. Plusieurs essais explorent ces différentes pistes.
Quel type de traitement adjuvant et pour qui ?
Dans l’optique d’une stratégie préventive, il faut tenir compte d’un bénéfice/risque acceptable, surtout lorsque la toxicité est potentiellement sévère et/ou durable. La notion de bénéfice est différente à l’échelle d’une population et d’un individu. À l’échelle de la population, on peut raisonner en termes de NNT (nombre de patients qu’il faut traiter pour obtenir un bénéfice) chez les sujets en stade IIIA, mais si le bénéfice relatif est connu, qu’en est-il du bénéfice absolu ? La discussion ne peut occulter l’aspect financier, à savoir quel est le prix que la communauté est prête à payer en fonction du risque de mortalité estimé à 10 ans ? Au niveau individuel, le risque réel d’un patient donné n’est pas connu et la classification AJCC ne satisfait pas aux critères d’un bon biomarqueur. La perception du risque dépend de l’individu, notamment de son âge. En outre, quelle toxicité une personne est-elle prête à accepter dans le cadre d’un traitement préventif ?
Peut-on arrêter une immunothérapie antimétastatique ?
Nous disposons de données biologiques montrant qu’une immunothérapie de courte durée est capable de moduler le microenvironnement et d’activer une réaction immunitaire efficace et possiblement durable. On craint que la poursuite du traitement n’entraîne une suractivation du système immunitaire qui soit responsable d’un épuisement immunitaire ou d’une auto-immunité, sans compter les coûts de traitement. À l’arrêt des traitements adjuvants, des effets persistent à long terme en cas de charge métastatique minime. La réponse immédiate au traitement est un marqueur pronostique. Les patients dont le traitement a été interrompu en raison de sa toxicité ont la même courbe de survie que ceux ayant poursuivi le traitement. Ces arguments plaident en faveur de la possibilité d’arrêter le traitement, ce d’autant plus qu’il est toujours possible de débuter un autre traitement en cas de récidive.
Quid de la prise en charge des métastases cérébrales ?
Les essais cliniques montrent qu’en utilisant la combinaison anti-PD-1 + anti-CTLA4, les courbes de survie sont nettement améliorées. La question actuelle est de savoir si la radiothérapie stéréotaxique s’impose d’emblée ou en rattrapage après l’immunothérapie.
Que faire en cas de récidive après traitement adjuvant ?
De nombreux patients récidivent. Les récidives existent plus souvent au cours du traitement par anti-PD-1 comparativement à l’anti-BRAF/MEK mais après 3 ans, le pourcentage de récidives est le même, environ 40 %. La probabilité de récurrence dépend du stade de la maladie. Dans la vraie vie, le pourcentage de récidives est plus élevé, car les essais cliniques excluent les progresseurs rapides. Environ un tiers des patients auront une récidive régionale, les autres des métastases à distance.
La décision pourrait être prise en fonction de trois critères :
le type de traitement adjuvant (anti-BRAF/MEK ou anti-PD-1) ;
le délai de survenue de la récidive (très précoce, sous traitement ou juste après son arrêt, > 6 mois après son arrêt) ;
le type de récidive (loco-régionale, accessible à un traitement spécifique TVEC, radiothérapie fractionnée si anti-PD-1).
Pour éviter les problèmes posés par les récidives, il est conseillé d’utiliser une bonne technique de ganglion sentinelle, de faire un bilan exhaustif (échographie, scanner) avant de débuter le traitement afin d’identifier les progresseurs rapides, et de choisir le traitement adjuvant le plus efficace dans les stades avancés.
D’après B. DRENO, J.-J. GROB et P. SAIAG, FMC « Mélanome : le point en pratique après 8 ans de progrès fulgurants ». JDP 2019
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