Publié le 11 juin 2020Lecture 7 min
Accompagnement au retour à l’emploi après un cancer
Karine CHOSSINAND, Soignante et coach professionnelle après cancer, Paris
Alors que le cancer est la première cause de mortalité prématurée en France, la recherche avance, les soignants se perfectionnent et les soins deviennent moins invasifs. Le nombre de patients actifs survivant à la maladie cancéreuse augmente. Comment aider les patients professionnellement, de manière concrète, et soigner le patient dans sa globalité ?
Le challenge à relever autour du retour à l’emploi est multiple et concerne de plus en plus de patients, ne serait-ce que du seul fait du recul de l’âge de la retraite. D’une part, il y a l’individu qui se relève du cancer, d’autre part l’entreprise qui jongle avec l’absence de son salarié malade et, encore, la société qui alloue des indemnités durant des arrêts maladie qui peuvent durer plusieurs années.
Quelles conséquences financières pour le patient ?
En juin 2018 est paru le résultat de l’étude VICAN 5(1) qui soulève plusieurs problématiques postcancer, dont celle de l’emploi. Il a été mis en avant une baisse des revenus pour 24 % des actifs en regard de leurs revenus au moment du diagnostic. De même, 51 % des personnes déclarent être moins à l’aise financièrement à revenu égal en raison de la dépense de soins ou de matériel en lien direct avec la maladie cancéreuse. Par ailleurs, si vous faites partie de la tranche 18/25 ans et que vous n’avez pas d’emploi au moment du diagnostic, vous avez 75 % de risque d’être sans emploi 5 ans après le diagnostic.
Retour à l’emploi : un enjeu clé pour le patient
J’ai demandé à 129 personnes de répondre à cette question : « Que ressentez-vous lorsque vous êtes chez vous, en arrêt maladie, durant ou après vos traitements ? » Les réponses les plus fréquentes ont été : l’isolement, la baisse de l’image et de l’estime de soi, le repli sur soi, la sensation de ne pas contribuer au foyer comme la personne le voudrait, le décalage dans le couple et l’inactivité physique.
De même, je leur ai demandé ce que leur apporterait la possibilité d’aller au travail, maintenant, s’ils le pouvaient. Ils m’ont répondu que le travail les valoriserait et leur permettrait de se valoriser eux-mêmes. Leur estime d’euxmêmes pourrait se reconstruire jour après jour. Le travail leur apporterait un lieu en dehors de chez eux et un cadre temporel à respecter (horaires de travail et échéances, etc.). La reprise serait le moment et le lieu d’activités sociales variées où l’on échange sur d’autres sujets que celui de la maladie.
Le retour à l’emploi doit être accompagné
Lorsque le patient est arrêté après son cancer, il présente une grosse fatigue, peut-être des perturbations cognitives postchimiothérapie. Il est peut-être occupé par la gestion de maladies chroniques relatives aux traitements ou à la maladie elle-même. Il est chez lui possiblement détaché d’un environnement plus stimulant. L’absence de retour à l’emploi peut entretenir la situation de perte de confiance et ternir l’image de soi.
À l’opposé, le patient veut tourner la page du cancer rapidement et cela est incarné par le retour en poste rapide. Le patient présente cependant les mêmes symptômes cognitifs que celui qui reste à domicile. Cela peut avoir comme conséquences la déception ou la baisse des croyances en ses propres capacités en cas d’échec. Il peut compenser ses difficultés par une présence plus longue au travail. Il peut s’essouffler et aller jusqu’au burn out. Par ailleurs, le décalage avec le monde professionnel est parfois très marqué. Cela ne met pas à l ’aise le patient ou ne l’encourage pas à reprendre le plus vite possible.
Accompagner les patients professionnellement c’est possible
En fin de parcours de soins, je reçois des patients qui organisent leur retour en poste ou leur avenir professionnel. Je les accompagne en leur proposant du coaching. Le coaching vient de « to coach » en anglais (entraîner ou s’entraîner). Ce mot anglais vient du français « coche », lui-même dérivé du hongrois « kocsi » qui désigne une voiture avec conducteur qui vous amène d’un point à un autre.
Ce que je propose professionnellement aux patients c’est donc d’aller où ils le désirent, de faire le tri des anciennes croyances et des nouvel les envies pour préparer l’avenir proche et la période de l’après-cancer.
Le coaching est fait avec les patients. Le patient décide, enfin, là où jusqu’à présent il a subi potentiellement une annonce, des traitements, des effets secondaires… C’est un bilan de vie coconstructif où sont déduits des objectifs personnels et professionnels. La reconstruction après le cancer passe par l’équilibre entre ces deux pans. Au cours des séances, le patient est motivé, il transforme ses attitudes, concilie ses objectifs, gère des émotions (légères, les autres seront gérées auprès d’un psychologue par exemple), il améliore sa communication… J’observe beaucoup d’enthousiasme à construire là où le patient a vu s’effondrer beaucoup.
Quel avenir professionnel ?
Le travail de coaching se fait de préférence en amont du retour. Il s’effectue alors tout un travail de préparation mentale avec le coach professionnel. Le patient après sa maladie retourne en poste ou en décroche un. Puis, il s’évalue dans le milieu professionnel. Il pourra avec le coaching professionnel améliorer ses conditions de travail, les ajuster ou s’organiser pour changer de structure professionnelle. Il pourra encore se reconvertir ou créer son entreprise.
Cas concrets
Élisabeth* est célibataire, sans enfant, 40 ans. Elle se retrouve en situation de handicap à la suite des traitements et s’est endettée, car personne n’a pu s’occuper de ses factures durant son absence. Nous avons fait un travail de deuil (sur ses capacités physiques) et un travail sur son ressenti émotionnel en relation avec ses anciens employeurs qui l’ont licenciée. Nous avons travaillé la capacité à construire sa confiance en elle, sa motivation et avons évalué les difficultés financières pour éviter une nouvelle situation d’endettement. Aujourd’hui, Élisabeth a créé son entreprise avec son handicap et vit de sa passion.
Bruno* est marié (43 ans , 3 enfants) et chef d’entreprise. Sa femme est à la maison et s’occupe de leur famille. Lorsqu’il a eu un cancer s’est posée la question : comment faire pour ne pas s’absenter, ne pas mettre la clé sous la porte et subvenir à ma famille ? Le coaching permet de s’organiser lorsque l’on travaille en indépendant et que la simple absence au travail engendre une baisse directe de revenus. C’est une vraie béquille pour ceux qui se sont lancés et qui sont tiraillés entre prendre soin de leur santé ou faire perdurer leur société dans laquelle sont, peut-être, embauchés des tiers.
Mathilde* est salariée, célibataire, 28 ans. Elle est en conflit avec sa hiérarchie et reste en arrêt maladie, car elle a été blessée par les paroles de sa supérieure sur sa maladie. En coaching, nous avons travaillé la gestion du conflit, les émotions de toutes les parties, développé l’assertivité de Mathilde et amélioré sa communication et sa motivation pour une meilleure qualité de vie. Mathilde est retournée travailler, a géré son conflit et effectue son travail avec beaucoup d’enthousiasme.
Véronique* a 50 ans, femme au foyer (3 enfants) depuis plus de quinze ans. Elle a souhaité créer son activité professionnelle pour se reconstruire après son cancer. Grâce au coaching professionnel, elle réalise son projet en utilisant ses forces au mieux pour promouvoir son activité et en gardant son objectif au clair dans sa tête. Aujourd’hui, elle a créé son entreprise et en tire des revenus qui sont une grande fierté pour elle.
Lisa* est étudiante (21 ans). Quand elle m’a contactée, elle m’a dit : « Je veux arrêter mes études d’école de commerce et tout plaquer ! » Ses parents étaient bouleversés. Aujourd’hui, Lisa s’est retrouvée. Elle est toujours en école de commerce et a choisi avec soin les options de sa dernière année. Elle est sereine et a organisé son avenir professionnel grâce au coaching professionnel.
Le succès en coaching professionnel
Les coachings auprès des patients atteints de cancer doivent être conduits, de mon point de vue, par une personne qualifiée maîtrisant le double langage : celui du coaching professionnel et celui du soin. En tant que soignante auprès de s pat ient s pendant de nombreuses années, je sais que le patient peut subir de larges variations tout comme les soignants. Le choix des mots est important comme la posture à adopter en tant que soignant et en tant que coach. La double posture est tenue grâce à la connaissance du patient, du milieu des soins, du parcours de soins, des traitements et grâce à la supervision. Celle-ci va permettre au patient d’avoir une prise en charge de qualité et au coach de s’assurer de la qualité de son activité et donner une limite à ses compétences en cas d’échec. Il pourra alors doubler son coaching ou le relayer par des séances de psychologie ou autre, si le besoin s’en fait ressentir. Par ailleurs, la déontologie est le vrai positionnement du soin. Elle est indispensable en coaching professionnel. Le coaching professionnel fait partie intégrante de la prise en charge du pat ient dans sa globalité. Selon l’OMS, la santé est un état de complet bienêtre physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en l ’absence de ma l adies ou d’infirmité. Ainsi, avec le coaching professionnel on accompagne le patient un peu plus loin dans sa reconstruction et vers la résilience après le cancer.
* Les prénoms ont été changés.
Pour en savoir plus
• Étude VICAN 2 http://lesdonnees.e-cancer.fr/Themes/vie-apres-cancer/etude-VICAN-2
• KCMC Coaching, Formation Éducation https://www.kcmc-formations.com
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