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Cancérologie générale

Publié le 11 juin 2019Lecture 7 min

Âge et mortalité spécifique dans le cancer de l’endomètre

Marion PINSARD1 et coll., département de gynécologie obstétrique et reproduction humaine, CHU Anne de Bretagne, Rennes

Le cancer de l’endomètre a vu son incidence augmenter de 4 357 nouveaux cas en 1980 à 7 275 nouveaux cas en 2012 en France (données BEH - février 2016). C’est le 4e cancer de la femme après le cancer du sein, du côlon et du poumon. Cette augmentation de l’incidence est due à la conjonction de l’augmentation de l’incidence de l’obésité et surtout au vieillissement de la population. Le cancer de l’endomètre touche en effet les personnes âgées : 52 % des patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre ont plus de 65 ans et 10 % ont plus de 80 ans. Ce phénomène va s’accentuer avec le temps : le nombre de personnes de plus de 75 ans sera multiplié par 2,5 entre 2000 et 2040. L’âge plus avancé rend plus complexe la prise en charge du cancer. En effet, si l’espérance d’une vie d’une femme de 65 ans en France est de 23 ans, son espérance de vie en bonne santé n’est que de 9 ans, restant 14 années avec des limitations (selon l’INSEE).

Les recommandations nationales (INCa) et internationales (ESGO, ESTRO, ESMO) préconisent des stadifications chirurgicales et des traitements adjuvants selon le niveau de risque de récidive du cancer de l’endomètre, mais aucune ne tient compte de l’espérance de vie et des comorbidités ou encore de l’âge des patientes pour s’appliquer. Le cancer de l’endomètre se présente au moment du diagnostic à un stade FIGO plus avancé et avec des histologies plus agressives chez les personnes plus âgées, comparées aux plus jeunes. Les recommandations INCa préconisent une stadification chirurgicale avec, notamment, des curages pelviens et lombo-aortiques ainsi qu’un traitement adjuvant en cas de cancer de l’endomètre à risque élevé. Ces recommandations sont moins bien appliquées chez les personnes âgées avec une stadification chirurgicale sous-optimale et un traitement adjuvant également sous-optimal. Ces traitements adjuvants non réalisés concernent aussi bien la chimiothérapie que la radiothérapie. La survie sans récidive et la survie spécifique sont ainsi diminuées chez les personnes âgées comparativement aux plus jeunes du fait de cancers plus agressifs sous-traités. Ce « sous-traitement » devrait être choisi sur des critères objectifs de fragilité des personnes âgées, pour leur éviter une perte de chance manifeste. Malheureusement, les scores gériatriques sont peu discriminants pour sélectionner les patientes et aucune recommandation n’existe pour adapter la prise en charge des patientes les plus fragiles atteintes d’un cancer de l’endomètre, sans altérer leur pronostic oncologique. Épidémiologie du cancer de l’endomètre chez les personnes âgées Du fait d’une cancérogenèse différente en fonction de l’âge, on observe davantage d’histologie  de haut risque chez les patientes âgées. En effet, on retrouve plus d’histologie de type 2 (type séreux, carcinosarcome, cellules claires, indifférencié, etc.) que de cancer de type endométrioïde chez les personnes âgées (tableau 1)(1). De même, le stade diagnostique est souvent plus avancé chez les personnes âgées que chez les personnes plus jeunes, potentiellement en raison d’une consultation plus tardive en cas de symptômes : l’invasion myométriale de moins de 50 % de l’endomètre est ainsi retrouvée chez plus de 56 % des patientes de moins de 65 ans contre seulement 42 % chez les plus de 80 ans. Prise en charge du cancer de l’endomètre Les recommandations nationales de l’Institut national du cancer (INCa) et internationales comme celles publiées récemment par l’ESMO/ESGO/ESTRO, classent les cancers de l’endomètre en plusieurs niveaux de risque de récidive et d’envahissement ganglionnaire. Ces niveaux de risque dépendent de l’histologie de type 1 (endométrioïde) ou de type 2 (les cancers de l’endomètre non endométrioïdes), de l’envahissement myométrial, des emboles lymphovasculaires et du grade (tableau 2)(2). Plus le niveau de risque est élevé et plus le risque d’envahissement ganglionnaire augmente, d’où la nécessité de l’évaluation ganglionnaire pour les patientes avec un cancer de l’endomètre de risque intermédiaire ou élevé. Ce niveau de risque couplé à la notion d’envahissement ganglionnaire, connu ou non, va guider le traitement adjuvant qui repose sur l’irradiation pelvienne associée à la chimiothérapie en cas de haut risque et d’envahissement ganglionnaire (tableau 2). Ces recommandations nationales et internationales ne tiennent pas compte de l’âge des patientes. Dans le texte long ou court de ces recommandations, nulle part il n’est fait mention de l’âge des patientes pour adapter la prise en charge chirurgicale ou le traitement adjuvant. Par ailleurs, ces recommandations sont basées sur « l’evidence-based medicine » et donc sur les essais cliniques publiés de bonne qualité. Toutefois, ces essais cliniques incluent plus modérément les personnes âgées de plus de 65 ans ; cette tranche d’âge est donc nettement sous-représentée. Les seules données sur les patientes âgées proviennent d’analyses en sous-groupes d’essais randomisés plus larges. Aucun essai de bonne qualité ne s’est intéressé spécifiquement aux personnes âgées, ou du moins aux personnes plus vulnérables, pour évaluer l’intérêt des différents types de stadification chirurgicale et de traitement adjuvants(3). Si on applique les recommandations, les gestes chirurgicaux de stadifications complets associant hystérectomie non conservatrice et curage pelvien et lombo-aortique sont à réaliser plus souvent chez les patientes les plus âgées donc les plus à risque de complications postopératoires. Figure. Survie sans récidive (A) et survie spécifique (B) en fonction de l’âge chez les patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire. Sous-traitement des patientes âgées atteintes d’un cancer de l’endomètre Les données multicentriques françaises de plus d’une dizaine de centres de référence en cancérologie du groupe FRANCOGYN montrent qu’il existe une sous-stadification des patientes âgées atteintes d’un cancer de l’endomètre. Par exemple, le curage pelvien, quand il est indiqué, est omis dans la moitié des cas chez les patientes âgées de plus de 80 ans et le curage lomboaortique n’est quasiment jamais réalisé(1). De même, le traitement adjuvant n’est pas optimal chez les personnes plus âgées. Par exemple, moins de 50 % des patientes âgées de plus de 80 ans reçoivent une radiothérapie externe, alors qu’elle est indiquée selon les recommandations ; de même, la chimiothérapie n’est quasiment jamais réalisée chez les plus de 80 ans (tableau 3). Survie spécifique des patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre La survie sans récidive et la survie spécifique sont significativement abaissées pour les patientes les plus âgées, en raison de la fréquence accrue des cancers de l’endomètre de mauvais pronostic chez les patientes âgées conjointement au sous-traitement réalisé chez ces mêmes patientes. Cependant, dans certaines séries chirurgicales, avec une prise en charge homogène des patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre en fonction du niveau de risque de ce cancer et non en fonction de l’âge des patientes, on ne note pas de différence de survie en fonction de l’âge(4). Il est bien sûr difficile d’en tirer des conclusions généralisables sur la nécessité de réaliser une stadification chirurgicale optimale chez toutes les patientes âgées. Définition de la personne âgée et oncogériatrie Les personnes âgées ont davantage de comorbidités de même qu’un taux de complications postopératoires plus important, lequel peut être modulé par plusieurs facteurs. • Tout d’abord, l’utilisation de la chirurgie mini-invasive cœlioscopique, surtout si elle est robot-assistée, permet de diminuer les complications postopératoires. Cependant, le recours à la chirurgie mini-invasive diminue avec l’âge, faisant augmenter le taux de complications dans cette population fragile des personnes âgées(1,5). • La personne âgée souffre, par ailleurs, d’un défaut de définition. Si pour l’INSEE ou l’OMS, la personne âgée a plus de 65 ans, l’INCa la définit après 75 ans. Plus que l’âge civil, ce sont les « réserves physiologiques » de la personne qui vont définir sa capacité à résister à un stress chirurgical ou chimiothérapeutique. Une nouvelle discipline a ainsi émergé : l’oncogériatrie. Elle a pour but de définir la personne fragile dans un contexte oncologique et d’évaluer son espérance de vie ainsi que ses capacités physiologiques à « résister » aux traitements oncologiques. Cette évaluation doit permettre de sélectionner les patientes âgées éligibles à un traitement optimal pour ne pas altérer son pronostic oncologique et les patientes fragiles non éligibles à un traitement optimal, car à haut risque de complications. Cette évaluation oncogériatrique repose sur l’utilisation de scores pour évaluer différents domaines de la personne âgée (somatique, psychosocial, fonctionnel, etc.). Cette évaluation est très chronophage et également non consensuelle. Elle utilise des scores qui, s’ils sont positifs, sont corrélés à la morbidité postopératoire même temps peu discriminants. Dans l’évaluation des différents scores, Kenig et coll. montrent ainsi qu’en fonction des domaines évalués, la fragilité est retrouvée chez 23 à 97 % des personnes âgées(6). Conclusion Devant le vieillissement de la population, on observe une augmentation de l’incidence des cancers en général et du cancer de l’endomètre en particulier. Les personnes âgées ont davantage de comorbidités, responsables de plus de complications postopératoires et d’effets secondaires des traitements adjuvants. Cette crainte des complications pousse à sous-traiter les personnes âgées, ce qui peut entraîner une perte de chance en termes de survie chez les personnes âgées, comparativement aux personnes plus jeunes. L’oncogériatrie se développe, mais l’absence de consensus pour définir une personne fragile, ainsi que le manque de pouvoir discriminant des scores gériatriques pour « trier » les patientes éligibles à un traitement optimal empêchent le développement d’une prise en charge rationnelle des personnes âgées. Il existe un besoin urgent de proposer des recommandations de prise en charge des cancers qui prennent en compte l’âge et/ou la fragilité des patientes, pour éviter toute perte de chance aux personnes âgées en termes de survie au cancer et de toxicité des traitements. F.-A. LE BACCON1, K.-N. TIMOH1, T. DE LA MOTTE ROUGE2, J. LEVÊQUE1, V. LAVOUÉ1 1 Département de Gynécologie Obstétrique et Reproduction Humaine, CHU Anne de Bretagne, Rennes 2 Département d’oncologie médicale, CRLC Eugène Marquis, Rennes "Publié dans Gynécologie Pratique"

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