Publié le 22 oct 2020Lecture 6 min
Cancers de l’oropharynx et papillomavirus oncogènes
Haïtham MIRGHANI, service de chirurgie, Institut Gustave Roussy, Villejuif
Les papillomavirus oncogènes sont responsables d’une part croissante de cancers oropharyngés (COP). La prévalence de ces cancers est particulièrement élevée en Amérique du Nord et en Scandinavie où 60 à 80 % des COP sont causés par les papillomavirus oncogènes(1,2). En France, d’après plusieurs études récentes, 30 à 40 % des COP sont attribués aux papillomavirus et leur incidence est vraisemblablement en augmentation(3).
Les COP induits par les papillomavirus représentent une entité clairement distincte des cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) traditionnels, causés par le tabac et l’alcool, comme en attestent leurs caractéristiques épidémiologiques, clinicopathologiques et biologiques.
L’objectif de cet article est de réaliser une mise au point sur cette pathologie émergente qui reste peu connue par la communauté médicale et scientifique ainsi que du grand public.
Les papillomavirus
Les papillomavirus humains (HPV) sont des virus à ADN strictement épithéliotropes. Certains se transmettent par contacts cutanés et infectent la peau, d’autres se transmettent par voie sexuelle et infectent les muqueuses particulièrement au niveau de la région anogénitale. Ces infections sont généralement asymptomatiques et sont éliminées par le système immunitaire en 6 à 24 mois. Dans de rares cas, il existe des manifestations cliniques dont les plus connues au niveau cutané et muqueux sont, respectivement, les verrues vulgaires et les condylomes qui sont des pathologies bénignes, bien que parfois très invalidantes. La gravité potentielle de certaines infections est liée au fait qu’une vingtaine d’HPV, dits « à haut risque », sont pourvus de propriétés cancérigènes. Dans certaines conditions, l’infection peut persister de nombreuses années et évoluer vers une lésion précancéreuse puis cancéreuse.
Les cancers le plus fréquemment induits par les HPV-O sont localisés au niveau du col de l’utérus (plus de 500 000 nouveaux cas par an dans le monde, près de 100 % des cas sont liés aux HPV), mais d’autres sites anatomiques peuvent également être affectés et en particulier l’oropharynx (tableau). Les données actuelles suggèrent que près de 1 % de la population générale a une infection orale à HPV16 qui est le génotype responsable de près de 90 % des COP HPV-induits. L’infection est significativement plus fréquente chez les hommes notamment après la cinquantaine et augmente avec le nombre de partenaires sexuels et la consommation de tabac(4). L’histoire naturelle de l’infection orale à HPV est encore mal connue notamment car elle se focalise dans les cryptes des amygdales linguales et palatines qui sont des régions dont l’accès est difficile.
Les HPV-O sont responsables de près de 5 % de l’ensemble des cancers diagnostiqués chaque année dans le monde. Le cancer du col utérin étant la localisation anatomique la plus fréquente. (Estimation d’après Parkin D et al. 2006 et Schield et al. 2017).
Particularités des COP HPV-positifs
Contrairement à la majorité des cancers des VADS, dont l’incidence a significativement diminué en Occident depuis la fin des années 1970, les COP ont sensiblement augmenté dans de nombreux pays ces 20 dernières années. Ces changements épidémiologiques notables sont attribués, d’une part, à la baisse du tabagisme et, d’autre part, à l’accroissement des COP HPV-induits comme cela a été souligné par plusieurs études réalisées à partir de registres de population(1-3).
Les cancers HPV-induits se développent préférentiellement, voire quasi exclusivement, au niveau des amygdales linguales et palatines. La population affectée par cette pathologie est majoritairement masculine (4 hommes pour une femme) et se caractérise par un bon niveau socio-économique, peu de comorbidités et une consommation de tabac modérée, voire nulle ce qui tranche avec les patients atteints d’un cancer des VADS traditionnel.
Lors du diagnostic, les patients ont le plus souvent une tumeur peu évoluée (T1/T2), mais une atteinte ganglionnaire importante. Ces adénopathies sont fréquemment kystiques pouvant faire évoquer à tort un kyste du deuxième arc branchial (figure 1). En dépit de cette présentation d’apparence agressive, le pronostic de ces patients est dans l’ensemble très favorable. En effet, ils bénéficient d’un meilleur contrôle locorégional de la maladie et d’une réduction significative du risque de décès lié au cancer comparativement à leurs homologues HPV-négatifs (le taux de survie globale à 5 ans des patients HPV-positifs étant d’environ 80 % – soit quasiment le double des patients HPV-négatifs)(5). Ces résultats favorables sont observés indépendamment de la nature du traitement effectué tant que les standards sont respectés.
Figure 1. Adénopathie cervicale kystique. Les métastases ganglionnaires kystiques sont un mode de révélation des carcinomes épidermoïdes oropharyngés HPV-positifs.
Au niveau pathologique, les COP HPV-induits sont volontiers d’aspect peu différencié non kératinisant et sur-expriment la protéine p16 (protéine impliquée dans la régulation négative du cycle cellulaire qui est le plus souvent inactivée dans les cancers HPV-négatifs ; figure 2). Enfin, le profil moléculaire des COP HPV-induits est totalement distinct des autres cancers des VADS. En effet, les cancers liés à l’intoxication alcoolo-tabagique sont caractérisés par de nombreuses altérations génétiques affectant des oncogènes et des gènes sup presseurs de tumeurs alors que le processus de cancérogenèse des cancers HPV+ est dominé par les dérégulations causées par les oncogènes viraux E6/E7.
Figure 2. Expression de la protéine p16 et statut HPV. Il existe une forte corrélation entre le statut HPV et l’expression de la protéine p16. Les COP HPV-induits surexpriment cette protéine (A) alors que le les COP HPV-négatifs de l’expriment généralement pas (B).
Implications pratiques
Les recommandations récentes de plusieurs sociétés savantes, incitent fortement à définir systématiquement le statut HPV des COP. Actuellement, cette information permet :
• de rassurer les patients sur la gravité de leur pathologie, la probabilité de guérison étant élevée ;
• d’identifier l’origine d’une adénopathie cervicale métastatique d’un carcinome épidermoïde sans porte d’entrée évidente (la présence d’HPV dans l’adénopathie permettant d’incriminer l’existence d’un COP occulte) ;
• d’interpréter correctement les résultats des essais thérapeutiques recrutant des COP ;
• d’utiliser la classification TNM adaptée. En effet la 8e édition de la TNM, disponible depuis janvier 2018, propose 2 classifications distinctes pour les COP en fonction du statut HPV(5).
Enfin, il est très fortement probable que dans les années à venir les choix thérapeutiques et les modalités de surveillance seront guidés par ce paramètre.
Perspectives
Les COP HPV-induits suscitent de multiples interrogations se traduisant par un nombre important d’études cliniques, translationelles et fondamentales. La personnalisation des soins et notamment la déflation thérapeutique est au cœur de nombreux essais cliniques(6). En effet, nos approches thérapeutiques actuelles, qui sont associées à une toxicité importante, sont potentiellement inadaptées à une pathologie dont le pronostic est bon. Ces travaux évaluent principalement les possibilités de diminuer les doses de radiothérapie/chimiothérapie, de recourir aux thérapies anti-EGFR (cétuximab) et d’apprécier l’intérêt de la chirurgie par voie transorale au robot.
La prévention, au sens large du terme, est aussi une thématique de premier plan au vu de l’évolution épidémiologique de cette pathologie. La question de la vaccination prophylactique notamment chez les garçons est un sujet d’actualité brulant qui n’est pas encore consensuelle. Le développement de mesures de dépistage adaptées à l’oropharynx, pour identifier les lésions précancéreuses et cancéreuses débutantes, est également un enjeu primordial.
Conclusion
Les COP HPV-induits représentent une pathologie distincte des cancers des VADS traditionnels. Ce diagnostic doit être évoqué devant un tableau d’angine traînante chez un patient non fumeur/non buveur et/ou en cas d’adénopathies cervicales prévalentes. L’accroissement significatif des COP HPV-positifs et leurs spécificités incitent à développer des approches thérapeutiques dédiées et des mesures de prévention efficaces.
"Publié dans OPA Pratique"
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