Dermatologie
Publié le 13 mai 2019Lecture 9 min
Les mélanomes en microscopie confocale in vivo
Elisa CINOTTI(a), Bruno LABEILLE(b), Frédéric CAMBAZARD(b), Pietro RUBEGNI(a), Jean-Luc PERROT(b) - a. Service de dermatologie, CHU de Sienne, Italie ; b. Service de dermatologie, CHU de Saint-Étienne, France
La microscopie confocale par réflectance (MC) in vivo est une technique d’imagerie cutanée non invasive qui produit des coupes optiques horizontales, avec une résolution proche de la microscopie optique sur des coupes histologiques classiques(1). Les images, qui apparaissent en niveaux de gris, sont obtenues grâce à la réflexion d’un rayon laser (d’une longueur d’onde de 830 nm pour l’appareil le plus couramment utilisé, le VivaScope 3000 ou 1500)* par les différentes molécules contenues dans la peau – notamment mélanine, kératine et collagène(1). En particulier, la MC permet l’étude des lésions mélanocytaires du fait de l’indice de réflectance élevé de la mélanine qui apparaît hyper-reflétante (blanche, brillante)(2). Plusieurs études dont deux études observationnelles démontrent que la MC a une sensibilité et une spécificité élevées pour différencier les nævus du mélanome(3,4). Cet article se propose de décrire les principaux aspects des mélanomes en MC.
Le mélanome est une tumeur maligne dérivée des mélanocytes. La présentation clinique peut être variée : avec des lésions plates initiales et des formes nodulaires et ulcérées évoluées.
La classification clinicopathologique du mélanome comprend :
– le lentigo malin ;
– le mélanome à extension superficielle ;
– le mélanome nodulaire ;
– le mélanome muqueux ;
– le mélanome lentigineux acral.
Le lentigo malin
Le lentigo malin (LM) est un type de mélanome qui apparaît sur les zones photoexposées en particulier chez les personnes âgées. Il apparaît sous la forme d’une tâche brun clair et/ou brun foncé, mal limitée, qui peut être cliniquement identique au lentigo actinique (figure 1, A).
Caractéristiques histologiques et en dermoscopie
Le LM est caractérisé par une prolifération de mélanocytes atypiques sous forme de cellules isolées ou en petits nids avec une ascension des mélanocytes tumoraux dans les couches supra-basales de l’épiderme (diffusion pagétoïde) et une invasion des follicules pileux. L’invasion tumorale du derme est possible lorsque le LM devient invasif (lentigo maligna melanoma, LMM). La prolifération mélanocytaire est souvent associée à des signes de photovieillissement : atrophie épidermique, jonction dermoépidermique (JDE) plate et élastose solaire. La dermatoscopie peut aider au diagnostic en montrant deux aspects principaux : des points et des globules gris et une pigmentation brune et/ou grise autour et dans les follicules pileux (figure 1, B).
Aspects en microscopie confocale par réflectance
La MC montre une prolifération de mélanocytes atypiques (grosses cellules hyper-reflétantes) dans l’épiderme (cellules pagétoïdes) correspondant aux mélanocytes tumoraux (figure 1, C et D). Ces cellules peuvent avoir une forme ronde ou plus fréquemment dendritique dans le LM. Quand leur forme est ronde, il est possible d’affirmer avec sécurité leur nature mélanocytaire, tandis qu’en cas de forme dendritique ces cellules peuvent aussi correspondre à des cellules de Langerhans activées. Le LM est le sous-type de mélanome qui présente le plus fréquemment des mélanocytes dendritiques et les dendrites peuvent être courts et épais ou longs et fins, tandis que dans les autres sous-types de mélanomes les mélanocytes dendritiques ont plutôt des dendrites courts et épais.
La prolifération tumorale cause une perte de l’architecture normale en « nid-d’abeilles » de l’épiderme et de la JDE. Les papilles de la jonction dermoépidermique deviennent non marginées (non-edged papillae), correspondant à des papilles dermiques dont les bords ne sont pas bien limités et dont la structure est interrompue par des cellules reflétantes atypiques(2). Dans les formes plus avancées, il existe un épaississement localisé de la JDE sous forme de cordons infiltrés par des cellules atypiques qui partent souvent des follicules pileux (aspect caractéristique en tête de méduse, figure 1, D).
Au niveau du derme papillaire il est possible d’observer plus rarement la présence de cellules nucléées envahissant les papilles dermiques (lentigo malin invasif). Toutefois, la détermination du caractère micro-invasif du LM n’est pas encore fiable en MC car la distorsion de la JDE par des cellules atypiques rend difficile la détermination exacte de leur localisation(2).
Figure 1. Aspect clinique (A), dermatoscopique (B) et en microscopie confocale (C) d’un lentigo malin. La dermatoscopie (B)montre une pigmentation grise périfolliculaire formant des structures rhomboïdes et en « zig-zag ». La microscopie confocale montre (C) une prolifération de cellules atypiques hyper-reflétantes de forme dendritique (flèche rouge) et arrondie (flèche jaune) dans l’épiderme et un épaississement localisé de la jonction dermoépidermique (D) sous forme de cordons infiltrés (étoiles rouges) par des cellules dendritiques qui partent des follicules pileux (étoile jaune ; aspect caractéristique en tête de méduse).
Le mélanome à extension superficielle
Le mélanome à extension superficielle (SSM) est le mélanome le plus fréquent, représentant environ 70 % de tous les mélanomes (figure 2, A). Il peut se développer sur n’importe quelle partie du corps et à n’importe quel âge. Il est particulièrement fréquent sur le tronc chez les hommes et sur les membres inférieurs chez les femmes.
Caractéristiques histologiques et en dermoscopie
Le SSM est caractérisé par des atypies de l’architecture (asymétrie, lésion mal circonscrite, forme irrégulière des nids mélanocytaires et mélanocytes épidermiques isolés) et de la cytologie (pléomorphisme nucléaire et nucléolaire, mitoses et apoptoses). Il a deux phases de croissance : d’abord horizontale, puis verticale. La phase de croissance horizontale du SSM est plus rapide que celle du LM et il est plus souvent déjà invasif au moment du diagnostic. Plusieurs critères ont été identifiés en dermoscopie, tels que la présence de stries périphériques, de voile blancbleu, d’un réseau atypique (figure 2, B).
Aspects en microscopie confocale par réflectance
La MC montre couramment dans l’épiderme la présence de cellules isolées ou diffuses, avec une forme arrondie et des noyaux noirs souvent proéminents(5-7). Parfois les cellules pagétoïdes sont à la fois arrondies et dendritiques (avec des dendrites courtes et épaisses) (figure 2, C et D). En règle générale, il est possible de détecter une cytologie pléomorphe. À la JDE, la MC montre des papilles non marginées (non-edged papillae), infiltrées par des cellules rondes ou dendritiques brillantes atypiques et des nids jonctionnels avec variabilité de taille, de réflectance et de forme. Dans le derme papillaire, la MC montre des nids de forme irrégulière présentant une hétérogénéité de réflectance et des nids non cohésifs (dense and sparse nests).
Dans l’ensemble, le SSM est caractérisé par un pléomorphisme cellulaire marqué et une dissémination pagétoïde généralisée par rapport aux nævi. Parfois, le diagnostic différentiel avec le nævus dysplasique peut être difficile et il faut alors considérer que c’est probablement un mélanome si les cellules atypiques sont nombreuses et sont situées dans la partie périphérique de la lésion.
Figure 2. Aspect clinique (A), dermatoscopique (B) et en microscopie confocale (C, D) d’un mélanome à extension superficielle. La dermatoscopie (B) montre un réseau brun clair avec des mailles régulières. L’examen en microscopie confocale par réflectance (C, D) montre une prolifération de cellules atypiques hyper-reflétantes de forme dendritique (flèche rouge) et arrondie (flèche jaune) dans l’épiderme.
Le mélanome nodulaire
Le mélanome nodulaire (MN) est le type de mélanome histologique le plus agressif et représente environ 15 % de tous les mélanomes (figure 3, A).
Caractéristiques histologiques et dermoscopiques
Le MN a la même atypie architecturale et cytologique que le SSM avec une croissance verticale et aucune phase de croissance radiale antécédente. Lorsqu’il est pigmenté, il peut présenter une couleur bleue et noire (figure 3, B), et quand il est amélanotique, la présence de vaisseaux atypiques est le seul indice.
Aspects en microscopie confocale par réflectance
À l’examen en MC, il est possible d’observer un épiderme aplati avec peu de cellules pagétoïdes et un remplissage de l’épiderme par une migration vers le haut d’amas de mélanocytes dermiques atypiques. La JDE est altérée avec des structures en forme de grosses thèques (figure 3, C et D) ou de nappes de grands mélanocytes et possible présence des nids « cérébriformes » (figure 3, D). Les nids cérébriformes ne sont pas toujours visibles, mais quand ils sont présents, ils sont spécifiques de MN ou de métastase cutanée de mélanome. Des vaisseaux dilatés et tortueux sont souvent visibles à proximité de la prolifération tumorale. L’ulcération est fréquente et apparaît sous forme de zones hypo-reflétantes avec des bord nets et irréguliers et contenant du matér iel amorphe ou des petites particules brillantes.
Figure 3. Aspect clinique (A), dermatoscopique (B) et en microscopie confocale (C, D) d’un mélanome nodulaire. La dermatoscopie montre une polychromie avec zones blanches, roses, noires et marron et une ulcération centrale. La microscopie confocale montre dans le derme superficiel (C) des thèques avec cellules hyper-reflétantes polymorphes arrondies éparses (flèche jaune). À la jonction dermoépidermique (D), il est possible d’observer des thèques mélanocytaires avec cellules hyper-reflétantes polymorphes arrondies éparses (cercle jaune) et des thèques cérébriformes avec mélanocytes peu reflétants et tassés (cercle rouge).
Le mélanome muqueux
Le mélanome muqueux est une tumeur rare mais agressive(8). Le diagnostic différentiel avec les lésions bénignes et en particulier avec les mélanoses peut être difficile(9).
Caractéristiques histologiques et dermoscopiques
Dans la première phase, le mélanome muqueux peut avoir une croissance lentigineuse et multifocale comme le lentigo malin. Cependant, il est souvent diagnostiqué à un stade tardif avec une croissance verticale. Le principal indice dermoscopique est la présence d’une pigmentation bleue, blanche ou grise sans structure(10). Cependant, ces critères ne permettent pas toujours de reconnaître les tumeurs initiales.
Aspects en microscopie confocale par réflectance
La MC est un outil prometteur pour le diagnostic différentiel des lésions pigmentées dans la région génitale, la muqueuse buccale et oculaire(9,11-13), et notamment pour différencier le mélanome initial de la mélanose(9,13) qui est plus fréquente. Le mélanome muqueux comporte quatre caractéristiques principales : présence de cellules brillantes pagétoïdes dans l’épithélium (essentiellement arrondies), haute densité de cellules dendritiques hyper-reflétantes dans la couche basale, perte de l’architecture normale des papilles du chorion et prolifération de cellules atypiques en nappe dans le chorion(9,13).
Lors de l’examen de la conjonctive, le mélanome peut être diagnostiqué seulement si un élément invasif est présent ; pour les ophtalmologues, les proliférations mélanocytaires atypiques limitées à l’épithélium de la conjonctive sont nommées mélanose acquise primaire avec atypie et ne sont pas considérées comme des mélanomes in situ(11,12). Le mélanome in situ de la muqueuse buccale et génitale peut être difficile à diagnostiquer en MC parce que l’architecture de l’épithélium et de la jonction épithélium-chorion peut être préservée et la plupart du temps, seuls quelques mélanocytes atypiques peuvent être observés dans l’épithélium.
Le mélanome lentigineux acral cutané
Le mélanome acral peut être cutané (avec une prédominance aux zones palmo-plantaires) ou du lit de l’ongle. Il est plus fréquent chez les Asiatiques et les Africains et son diagnostic différentiel avec le nævus peut être très difficile dans la phase de croissance horizontale initiale.
Caractéristiques histologiques et dermoscopiques
En histologie, il est caractérisé dans les premières phases de croissance par une prolifération jonctionnelle de mélanocytes isolés (d’où le nom mélanome lentigineux) avec des thèques mélanocytaires larges et isolées. Des cellules pagétoïdes sont présentes (moins que dans le SSM) et sont localisées autour des acrosyringium. Dans la phase invasive, les mélanocytes peuvent être fusiformes ou épithélioïdes. En dermoscopie, il est caractérisé par la présence d’une pigmentation le long des crêtes épidermiques.
Aspects en microscopie confocale par réflectance
Classiquement, la MC n’est pas utilisée pour l’examen de la région acrale en raison de sa limite d’exploration en profondeur. Cependant, le mélanome acral initial est caractérisé par une propagation lentigineuse et l’épaisseur épidermique des zones acrales est variable. Il existe seulement une étude sur les aspects en MC du mélanome acral cutané qui porte sur 17 cas(14).
Des cellules pagétoïdes étaient présentes dans tous les mélanomes lentigineux acraux avec un épiderme visible. Une prolifération de mélanocytes atypiques à la JDE et/ou dans le derme était visible dans neuf mélanomes. De manière intéressante, l’examen histologique sur biopsie était négatif dans quatre cas, contrairement à la MC qui a pu identifier les cellules tumorales malignes en explorant la totalité de chaque lésion. Il faut noter que dans certains cas, lorsque la couche cornée est très épaisse, il est possible de la décaper pour faciliter l’examen en MC.
Le mélanome sous-unguéal n’est pas discuté ici car il ne peut pas être observé en MC in vivo de manière directe, mais il nécessite de soulever l’éponychium pour atteindre la matrice de l’ongle(15).
Conclusion
La microscopie confocale par réflectance (MC) est particulièrement adaptée au diagnostic des lésions mélanocytaires parce que la mélanine offre un contraste naturel en MC.
Le diagnostic de mélanome peut être affirmé devant la présence de cellules atypiques (cellules arrondies ou dendritiques de grosse taille et polymorphes) dans l’épiderme (cellule pagétoïde), à la JDE et dans le derme superficiel.
La prolifération tumorale cause une perte de l’architecture normale de l’épiderme et surtout de la jonction dermoépidermique (JDE). Les papilles de la JDE deviennent non marginées (non-edged papillae), correspondant à des papilles dermiques dont les bords ne sont pas bien limités et dont la structure est interrompue par les cellules tumorales. Des nids cérébriformes dermiques caractéristiques sont souvent visibles en cas de mélanome nodulaire.
*Caliber Inc, États-Unis, distribué en France par Mavig, Munich.
"Publié dans Dermatologie Pratique"
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